Classe bilingue à Rennes : à l’école des signes

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Par Angélique Pineau-Hamaguchi

Temps de lecture estimé 4 minute(s)

Illustration
© Vincent Ogloblinsky – John Woodcock/Getty Images

À Rennes, deux classes du groupe scolaire Châteaugiron-Landry sont dédiées aux enfants sourds. Une chance pour eux de bénéficier d’un enseignement complet en français écrit et en langue des signes. Et une véritable école du « vivre ensemble ».

À l’heure de la récréation, quand Maël, Roza, Julien et Luka se racontent leur week-end, c’est en langue des signes. Plus aucun autre enfant ne s’étonne de voir le ballet de leurs mains dans la cour de l’école Châteaugiron-Landry de Rennes. Ici, la classe bilingue de CP-CE1 est ouverte depuis la rentrée 2013. Un an après celle de maternelle, au sein du même groupe scolaire. Elles accueillent neuf élèves au total et sont dites « bilingues » car les enfants y apprennent à la fois la langue des signes française (LSF) et le français écrit. À Rennes, elles sont nées sous l’impulsion d’un groupe de parents et de Kerveiza, un établissement spécialisé dans l’accompagnement de la surdité*. Car il n’en existait aucune en Bretagne.

La particularité des classes bilingues ? Elles sont intégrées au sein d’une école, d’un collège ou d’un lycée et toutes les matières y sont enseignées en langue des signes par un professeur sourd ou entendant, mais maîtrisant la LSF. « L’une des difficultés est de trouver ces enseignants, souligne Xavier Debroise, chef de service à Kerveiza. Lorsque celle de CP-CE1 est partie en congé maternité cette année, on a eu du mal à la remplacer. » Chacun d’entre eux est épaulé par une auxiliaire de vie scolaire (AVS)**, sourde en maternelle, entendante en élémentaire. Les élèves bénéficient aussi de temps d’échange dans la semaine avec une orthophoniste et, au besoin, avec une psychologue, elle-même sourde.

Pour Xavier Debroise, « ces professionnels font office de “ modèles ” pour les enfants, ils peuvent s’identifier à ces adultes sourds, et ainsi se projeter dans l’avenir ».

* Spécialisé dans l’accueil et l’accompagnement des enfants sourds, malentendants ou porteurs de troubles sévères du langage, Kerveiza pilote ces deux classes bilingues, avec l’Éducation nationale et la ville de Rennes. www.kerveiza.org.
** Depuis la rentrée 2014, les auxiliaires de vie scolaire (AVS) s’appellent les « accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH).

Apprendre à se connaître

Marion Le Guerneuve, AVS en maternelle, allume et éteint les lumières de la classe, un signal destiné à attirer l’attention de Mattéo, Emma, Apolline, Nathan et Julia. Elle signe pour leur indiquer que Ludivine, leur enseignante, s’apprête à leur raconter une histoire. Ils s’assoient, les yeux écarquillés, prêts à regarder les personnages s’incarner dans ses mains. « Nous partageons également beaucoup de moments avec les autres classes de maternelle, comme les temps de motricité, précise Ludivine Kervoëlen. Et chaque semaine, nous accueillons quelques enfants à qui nous cherchons “ un nom de signe ”, un geste qui va symboliser leur prénom. »

Les CP-CE1 participent eux aussi aux activités sportives et culturelles avec l’ensemble de l’école élémentaire. Et tous les midis, des ateliers « langue des signes » sont proposés aux élèves entendants. Leurs enseignants, quant à eux, ont pu bénéficier d’une initiation.
Une mixité qui permet d’apprendre à se connaître, et à Maël, Roza, Julien et Luka de ne pas toujours jouer qu’entre eux, à l’heure de la récréation.

La langue des signes française (LSF)

En 1760, après sa rencontre avec deux jumelles sourdes qui communiquent par gestes, l’abbé Charles Michel de L’Épée crée un cours d’instruction par signes à Paris, pour permettre aux enfants sourds d’accéder à l’éducation. La langue des signes française (LSF) est née. Mais elle est finalement interdite dans l’enseignement entre 1880 et les années 1980, au profit de l’oralisme. Et ce n’est qu’en 2005, avec la loi du 11 février, que la LSF est reconnue en France comme une langue à part entière. Une loi qui réaffirme aussi le droit pour les parents de choisir une scolarité bilingue pour leur enfant.

« Des adultes plus tolérants »

Le point de vue de Catherine Vella, Présidente de l’Association nationale de parents d’enfants sourds (ANPES)

« Les classes bilingues sont trop peu nombreuses en France, surtout au collège et au lycée, et elles manquent cruellement de moyens. Ce double cursus est pourtant une très bonne formule. Les jeunes sourds ont besoin d’un enseignement de même contenu et de même qualité que les autres enfants mais dans leur langue, la langue des signes. Cela leur permet d’éviter d’énormes lacunes en français écrit. Grâce à cet enseignement bilingue, ils peuvent avoir accès aux études supérieures. Et fréquenter une école, où ils côtoient des enfants entendants au quotidien, plutôt qu’un établissement spécialisé est aussi une vraie richesse, pour les uns comme pour les autres. L’espoir que tous deviennent des adultes plus tolérants. »

En chiffre


14
villes en France comptent au moins une classe bilingue, la plupart au sein d’une école primaire.

Liste sur Anpes.org, le site de l’Association nationale de parents d’enfants sourds.

Par Angélique Pineau-Hamaguchi

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