Face aux défis sociaux, économiques ou encore environnementaux, une mutuelle a-t-elle un rôle à jouer, autre que celui d’assureur santé ?
Stéphane Junique : En effet, notre société connaît de rapides transformations qui, pour certaines d’entre elles, remettent en cause des fonctionnements établis et appellent à de nouvelles solidarités et de nouvelles protections.
Le changement climatique et les attaques faites à l’environnement appellent à repenser notre rapport au vivant. Il induit de modifier nos façons de vivre, d’habiter, de produire. Il aura aussi des conséquences réelles sur notre santé, à commencer par celle des plus fragiles. 5 à 10 % des cancers ont une cause environnementale selon Santé Publique France.
Nous entrons également dans la société de la longévité. En 2050, 4 millions de Français seront en perte d’autonomie contre 2,5 millions aujourd’hui. Ceux-là auront besoin qu’on les considère, qu’on les accompagne, qu’on les protège. Il y a de plus en plus de maladies chroniques. Nous vivons désormais longtemps avec une affection de longue durée.
La société se transforme aussi dans ses structures sociales. Le monde du travail évolue, nous vivrons plusieurs vies professionnelles en une vie. De plus en plus, les parcours professionnels se traduisent par des changements d’employeurs, de statut et des périodes d’inactivité. Ce phénomène nous oblige à penser à un accompagnement qui perdure au-delà des accidents de vie ou des changements de statut.
L’évolution de notre société, c’est enfin la crise démocratique qui remet en cause les institutions, les corps intermédiaires. Pourtant, le souhait de participation aux décisions et le souhait d’être acteur de son propre destin n’ont jamais été aussi forts ces dernières années. Notre mutuelle, comme d’autres acteurs, doit prendre en compte ces nouvelles aspirations et leur offrir des débouchés nouveaux, à même de revivifier notre démocratie.
Face à ces changements en cours, Harmonie Mutuelle a la conviction qu’elle doit poursuivre le chemin de l’innovation sociale, écologique et solidaire pour exercer pleinement sa mission d’acteur de transformation sociale.
Suite à la crise sanitaire, comment envisagez-vous de contribuer à construire différemment le monde de demain ?
Catherine Touvrey : La crise a un aspect positif, celui de nous interroger plus fortement sur notre modèle de développement et le fonctionnement de notre société. Pour autant, il faut se méfier des formules toutes faites sur le « monde de demain » qui parfois consistent à recycler les recettes d’hier ou nous bercent d’illusions sur un changement radical en un claquement de doigts. De nombreux besoins et fractures existaient déjà avant la crise. Elle a été un révélateur, nous rappelant l’urgence à agir.
Je retiens plusieurs sujets sur lesquels Harmonie Mutuelle doit s’engager plus fortement encore. Le premier, c’est bien sûr la question de l’environnement. Elle demeure centrale dans les crises qui pourront survenir. L’environnement est un déterminant de santé majeur et sa dégradation aura des répercussions d’abord sur les plus fragiles et les plus précaires. En grande partie du fait de ces phénomènes, l’espérance de vie progresse moins vite désormais et ce ralentissement aggrave les inégalités entre les catégories socioprofessionnelles. La conférence citoyenne sur le climat nous a montré le chemin à suivre avec 149 propositions. Harmonie Mutuelle est prête à s’engager.
Le second sujet sur lequel nous devons agir est celui des fractures territoriales. Suivant le territoire où l’on vit, on n’a pas les mêmes chances de réussite, le même accès aux services essentiels dont la santé. Il en résulte des désordres sociaux mais aussi environnementaux car beaucoup de Français ne peuvent plus travailler sur le territoire où ils résident. Harmonie Mutuelle, premier partenaire de la protection sociale des entreprises, est consciente de sa responsabilité sur ce sujet et agit. Nous injectons cette année 200 millions d’euros dans le développement et la sauvegarde de l’emploi sur les territoires grâce à notre fonds d’investissement Harmonie Mutuelle emplois France. Nous sommes particulièrement vigilants sur la qualité de l’emploi dans les entreprises que nous finançons, ainsi qu’à leurs engagements sociaux et environnementaux.
Le troisième sujet enfin, c’est celui de la transition du monde du travail. Il y aura bien sûr les conséquences immédiates de la crise à gérer mais aussi des transformations plus profondes avec le développement du travail en proximité de son lieu de vie et de nouvelles formes d’emplois. Jamais depuis 1945 l’appel à de nouvelles protections sociales n’aura été aussi fort. Nous devons retrouver un cadre collectif pour les inventer.
L’assemblée générale 2020 a montré que le fonctionnement démocratique de la mutuelle n’avait pas été perturbé par la crise du Covid-19. Celui-ci va-t-il évoluer à l’avenir ?
Stéphane Junique : Rappelons d’abord que les mutuelles sont un modèle particulier d’organisation puisqu’elles sont des sociétés de personne et que leur but est non-lucratif. Nous n’avons pas d’actionnaires à rétribuer, nous n’agissons que dans l’intérêt de nos adhérents qui sont représentés par leurs délégués. Le président que je suis compte parmi les représentants des adhérents. Chez Harmonie Mutuelle, la vie démocratique interne est très forte et surtout très ancrée dans nos 50 territoires, en proximité.
Dans la période de confinement, nous aurions pu mettre entre parenthèses notre fonctionnement démocratique. Nous n’y avons pas renoncé et il s’est intensifié car les 2 100 délégués ont redoublé d’implication et ont formé une formidable chaine de solidarité.
Nos commissions d’action sociale ont continué à se réunir. Les dossiers de 1 000 adhérents ont été examinés avec humanité et bienveillance. Localement, des militants Harmonie Mutuelle se sont impliqués dans les EHPAD pour faire le lien avec les familles, dans des associations solidaires pour fabriquer et distribuer des masques, dans les associations de secours alimentaires, auprès des personnes vivant à la rue. Nous avons soutenu et travaillé avec le pôle des solidarités actives. Nous sommes un collectif solidaire depuis toujours, ça ne s’est pas arrêté avec la crise.
Nous avons passé plus de 170 000 appels vers nos adhérents les plus en danger face au virus. Nos délégués y ont largement contribué et y ont trouvé une nouvelle place dans les relations avec les adhérents. J’y vois une piste très intéressante pour un rapport et une implication plus directs demain des élus de la mutuelle, en proximité.
Nous nous inscrivons dans une société de l’aide et de l’entraide.
Au cours de cette assemblée générale, vous venez de prendre plusieurs engagements pour améliorer la situation des personnes en situation de handicap. Lesquels ?
Catherine Touvrey : Notre ambition est de faire d’Harmonie Mutuelle la première entreprise labellisée « handi-accueillante ». En France, 12 millions de Français souffrent d’un handicap, soit une personne sur six. Cela concerne aussi environ 750 000 de nos adhérents. Notre mutuelle est engagée historiquement autour de la question du handicap. Nous pouvons être fiers du chemin parcouru et des actions menées, en particulier pour lutter contre les préjugés et changer le regard de notre société sur le handicap. Mais nous souhaitons être plus volontaristes encore.
Après débat au niveau national auprès de la communauté des élus, nous avons défini notre « feuille de route triennale pour le handicap – 2020-2023 » pour les élus et les collaborateurs d’Harmonie Mutuelle. Elle s’appuie sur 5 engagements déclinés en 24 actions. Nous nous engageons à améliorer la qualité de notre relation avec nos adhérents en situation de handicap, à faire évoluer nos offres, à nous impliquer dans le débat public et à valoriser la dimension citoyenne des personnes en situation de handicap, en particulier les plus jeunes.
Vous allez lancer une démarche visant à faire d’Harmonie Mutuelle une « entreprise à mission ». Qu’est-ce que cela implique ?
Stéphane Junique : Parce que nous faisons face au défi climatique, parce que notre société exprime des besoins immenses de solidarités nouvelles pour construire une vie meilleure, les acteurs économiques doivent agir concrètement pour le changement en changeant eux-mêmes. Harmonie Mutuelle est, depuis sa création, engagée pour la transformation sociale. Notre ADN, c’est la solidarité organisée par un collectif puissant et agissant, ancré dans les territoires et dans la vie des entreprises.
Nous avons notre spécificité puisque nous sommes à la fois un acteur économique et un acteur mutualiste très engagé dans la société. Nos statuts actuels mentionnent déjà notre vocation de solidarité, d’entraide et d’amélioration des conditions de vie. Mais nous souhaitons nous saisir des nouvelles opportunités de la loi PACTE pour aller plus loin et devenir entreprise mutualiste à mission. Concrètement, nous allons actualiser nos statuts pour adopter une raison d’être qui précisera notre vocation sociétale et notre contribution à l’intérêt général. Et nous lui adosserons une ou plusieurs missions qui seront évaluées chaque année par un organisme indépendant. C’est une démarche de responsabilité qui nous conduira à inscrire noir sur blanc nos engagements, que tout le monde pourra vérifier. Ce sera un travail collectif d’un an que nous allons mener ensemble.
Rendez-vous à l’assemblée générale à Rennes, en 2021, où nous adopterons ces modifications très importantes.
Lors de votre assemblée générale, vous avez pris des engagements nouveaux sur la redistribution et sur la participation d’Harmonie Mutuelle au financement de la sécurité sociale après la crise sanitaire. Lesquels ?
Stéphane Junique Nous vivons une période hors-normes, il a fallu réagir très vite face au covid-19. La sécurité sociale a pris en charge à 100 % durant cette période des dépenses auxquelles les mutuelles participaient précédemment, je pense notamment au ticket modérateur ou aux téléconsultations. Ce sont autant de dépenses économisées pour la mutuelle. Nous avons considéré qu’il était de notre responsabilité morale et solidaire de réinjecter ses sommes dans le système de santé et de ne pas faire d’économies sur le dos de la crise. Harmonie Mutuelle est prête à verser 50 millions d’euros, sauf en cas de taxe exceptionnelle. Cette solution est préférable à celle d’une taxe car elle serait répercutée automatiquement sur nos adhérents. L’idée d’un impôt sur la santé n’est pas acceptable.
Durant la crise, nous avons aussi constaté que nos adhérents comme les Français se sont moins soignés dans des proportions parfois inquiétantes pour leur état de santé d’ailleurs. Depuis, les consultations ont repris et nous espérons un effet de rattrapage qui serait salutaire d’ici à la fin de l’année. Comme les années précédentes, nous visons un taux de redistribution d’au moins 80 % des cotisations versées. Les années précédentes cela s’est traduit par exemple par la non-répercussion de l’inflation médicale, notamment pour les adhérents de plus de 60 ans, lorsque les résultats le permettaient. Lors de notre assemblée générale, nous avons franchi une marche supplémentaire en rendant opposable notre taux de redistribution. Nous sommes la première mutuelle santé de France à nous engager sur cette voie. Lorsque les résultats d’une année seront positifs, nous les provisionnerons pour pouvoir les redistribuer sous forme de ristourne à nos adhérents les années suivantes
Par ces décisions, nous faisons la démonstration que nous ne sommes pas guidés par le profit mais par notre volonté de permettre l’accès aux soins.