Entre 1860 et 1976, environ 27 millions d’Italiens ont émigré. « C’est l’équivalent de la population au moment de l’unification italienne, en 1861 : comme si, en un siècle, tout un pays s’était vidé de ses habitants », rappelle Rocco Femia, directeur de la revue Radici, inspirateur et animateur du colloque soutenu par Harmonie Mutuelle.
Cette épopée migratoire a apporté une contribution décisive à l’économie, la culture et l’histoire de nombreux pays, aux premiers rangs desquels la France.
Dans les années 20, la migration ouvrière se double d’une migration politique, antifasciste, intellectuelle, et fait de l’agglomération parisienne la capitale des réfugiés. « De la fin du XIXe aux années 30, l’intégration des Italiens progresse au travers de multiples chemins : ascension sociale des commerçants, artisans et entrepreneurs ; communauté de vie ouvrière ; militantisme ; engagement volontaire, aux côtés des Français, dans la première Guerre mondiale. Sans oublier les innombrables apports culturels, depuis Modigliani, prince de la bohème parisienne, jusqu’au bal musette, heureuse fusion entre la bourrée auvergnate et l’accordéon italien », souligne Marie-Claude Blanc-Chaléard, historienne qui a retracé sur plus d’un siècle la formation de « Petites Italie » en Île-de-France.
L’Italie est désormais devenue un pays d’immigration – son solde migratoire s’est inversé en 1976 – placé au plus près d’une autre odyssée, tragique : celle des migrants. En l’absence de politique nationale et européenne en la matière, ce sont la société civile, le tissu associatif qui s’engagent et donnent l’exemple. Et créent aujourd’hui, à leur échelle, les conditions d’accueil et d’intégration dont ont bénéficié hier les émigrés italiens. En témoigne un petit village de Calabre, Riace, vivante illustration de volontarisme et d’intelligence collective. « Riace était passé de 4 000 à 500 âmes entre 1945 et 1998. Nous nous appelions le pays des mouchoirs, à force de voir partir les nôtres pour d’autres contrées », raconte Domenico Lucano, le maire de la commune. Quand, en 1998, un bateau rempli de réfugiés kurdes et pakistanais fait naufrage sur la côte calabraise, le maire n’y voit pas un risque ou un danger mais des personnes qui ont besoin d’assistance, et une chance formidable. Sans aucune aide de l’État, avec un prêt bancaire, la commune rachète les maisons abandonnées du village et les offre aux réfugiés. Aujourd’hui, Riace compte 2 000 habitants, dont 500 immigrés de 20 pays différents. Les écoles ont rouvert, les commerces repartent, des entreprises et des exploitations agricoles se créent, les impôts rentrent. « Il ne faut pas grand-chose pour avoir une relation normale avec quelqu’un. Vaincre les peurs, les préjugés, respecter, s’intéresser. Cela vaut le coup de risquer la connaissance de l’autre. Sinon la vie n’a aucune signification », observe Domenico Lucano.
C’est ici tout le sens des valeurs mutualistes, et la raison d’être de ce colloque : montrer que la solidarité, l’intelligence collective, la capacité de réinventer le vivre ensemble peuvent surmonter les pires obstacles et les préjugés les plus profonds. Car l’immigration italienne, si elle est parvenue à une intégration harmonieuse et grandement bénéfique à la France, n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle a été accusée, pendant la Grande Dépression, entre 1873 et 1946, de prendre le travail des ouvriers français, de former une main-d’œuvre malléable et bon marché. Elle a fait l’objet de multiples suspicions et stéréotypes. Combien redoutaient que les fondements de l’État laïc soient mis à mal par une population trop pieuse et à la solde, disait-on, du Vatican ? Combien, de l’autre côté, craignaient une cinquième colonne communiste ? L’immigration italienne a réussi parce que les fondements de l’État républicain l’ont permis, à commencer par une école de l’égalité des chances. Et parce qu’au quotidien se sont tissés ces innombrables liens, affectifs, culturels, économiques, qui font toute la richesse d’une société. « Le regard posé sur l’immigration italienne nous rappelle la nécessité de repenser les conditions du vivre ensemble. Nous devons construire des réponses sociales et sociétales favorisant la solidarité, l’égalité et l’accompagnement de tous. C’est au nom de cette conviction qu’Harmonie Mutuelle soutient cette manifestation et rappelle ainsi le rôle de la protection sociale comme ciment du vivre ensemble », conclut Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle.