Roland Berthilier : Nous nous félicitons de l’ouverture du débat sur le lien entre l’entreprise et l’intérêt général. Il s’agit d’un vrai débat de société. Il y a là une envie commune de voir les valeurs citoyennes incarnées par l’ESS devenir la norme. Je souhaiterais cependant rappeler les différences entre les entreprises dites « classiques » et celles de l’ESS, associations, coopératives et mutuelles notamment. Les entreprises capitalistes ont pour premier objectif la recherche du profit, même si certaines se veulent soucieuses de l’intérêt général et de la personne. Les entreprises de l’ESS, elles, ont pour objet premier de répondre à une problématique d’intérêt général et reposent sur un mode de gestion spécifique, porteur de sens, et une finalité sociale forte. Dans ce cas, la finalité et le mode d’organisation sont indissociables. Créer une offre et parler d’un marché n’est pas la même chose que de répondre à un objectif d’utilité et de transformation sociale ou d’émancipation collective. L’intérêt général ou la solidarité ne peuvent être assimilés à des marchandises ou servir à améliorer l’image d’une entreprise. Nous serons vigilants.
Stéphane Junique : Nous avons d’abord un rapport au temps qui est très différent puisque nous pensons et nous investissons avec nos mutuelles sur le temps long. Face aux défis de notre système de santé et de protection sociale, c’est un très grand atout. Les mutuelles doivent se positionner davantage encore comme des maillons indispensables de la chaîne de solidarité dont notre pays a besoin pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé, qui minent la cohésion sociale et la confiance dans l’avenir, mais aussi poursuivre leur action pour la diminution des restes
à charge, qui sont la principale raison du renoncement aux soins. Notre avenir ne sera pas celui de simples « payeurs de prestations », mais de véritables fabriques de protection sociale collective et d’innovation sociale, en mettant notamment à profit toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Ces mutations sont déjà en germe ou bien engagées. La création du Groupe VYV en est une belle illustration. En protégeant un Français sur six, VYV devient le premier groupe mutualiste de protection sociale dans notre pays. C’est inédit : jamais une structure mutualiste n’a joué un rôle aussi important dans la protection sociale, le soin et l’accompagnement des citoyens.
S. J. : Les acteurs mutualistes, associatifs et coopératifs sont des architectes des solidarités actives. Par leurs activités, au plus près de chaque citoyen, comme par l’esprit désintéressé qui les inspire, ils concourent à l’intérêt général. Ils doivent mieux collaborer et tisser des alliances fortes pour porter des actions communes qui auront des effets concrets sur la vie de tous les Français. Avec Timothée Duverger dans notre ouvrage, nous proposons de former un pôle des solidarités actives tourné vers un nouvel horizon d’égalité. Dans un premier manifeste, nous proposons quelques actions fortes que ce pôle pourrait initier telles que la promotion d’un label permettant à chaque citoyen de savoir si les biens et les services qu’il consomme ont été produits par des entreprises à but non lucratif. Nous proposons également un chèque engagement permettant aux millions de Français qui le veulent de s’engager au service de l’intérêt général. Nous proposons enfin de sortir de la vision de court terme en santé pour engager des politiques de prévention sur le temps long, au service de la qualité de vie pour tous.
Oui, nous pouvons vivre mieux – tous !
Voilà un propos à contre-courant du discours ambiant quand il est question de santé ou de protection sociale. Pour les deux auteurs, l’État ne peut plus tout. Leur solution : constituer un « pôle des solidarités actives ». Une alliance pour et par l’action des structures historiques de l’économie sociale et solidaire et de nouvelles entités tournées vers l’intérêt général. Nourrissant leur échange de nombreux exemples et de propositions (une politique de santé réorientée vers la prévention, un socle de droits universels garanti, une reconnaissance européenne des modèles alternatifs…), les auteurs dessinent une société plus juste et désirable. Une société d’égalité possible.
R. B. : Les mutuelles ont fait de la politique de prévention un enjeu majeur. Au sein de MGEN, nous considérons qu’il faut sortir de la logique du tout curatif et se donner les moyens de prévenir les pathologies et les risques professionnels. Cela nécessite une mobilisation de tous les acteurs pour intégrer les travaux liés au développement des pathologies chroniques, à l’évolution démographique et aux enjeux d’adaptation du cadre de travail.
Nous sommes ouverts aux échanges sur toutes les réflexions actuelles liées à la prise en charge de ces risques on ne peut plus actuels. Engagée dans l’ESS, MGEN a également décidé d’ouvrir depuis quelques mois la réflexion sur la place qu’occupe la notion de but non lucratif avec Laëtitia Rodriguez, maître de conférences à l’université Panthéon Sorbonne-Paris. Nous engageons avec la Mutualité Française et le Groupe VYV, des actions très variées pour la reconnaissance de la diversité des formes d’entreprendre et la promotion de l’économie sociale, à relier aux actions éducatives de L’ESPER.