Depuis 2004, le Prix Solidarité, en partenariat avec l’Obs et soutenu par la Fondation d’entreprise Harmonie mutuelle, récompense des travaux littéraires en accord avec les valeurs de l’Union Harmonie Mutuelles. Depuis deux ans, le prix a évolué : ce sont désormais deux prix qui sont décernés, à un roman et une bande dessinée. Cette année, les œuvres primées sont Les Victorieuses, le roman de Laëtitia Colombani et Les Oiseaux ne se retournent pas, le roman graphique de Nadia Nakhlé, avec qui la rédaction a pu s’entretenir.
Pourquoi avez-vous choisi de faire un roman graphique ?
Nadia Nakhlé : J’avais la volonté de raconter l’exil du point de vue d’une enfant qui fuit la guerre. J’avais un sentiment de révolte face à la situation des réfugiés à l’heure actuelle et un réel désir : celui de transformer cette réalité sombre par le dessin et la poésie, comme une tentative de répondre à la douleur de l’exil par la beauté, l’humanisme et l’espoir.
Amel, l’héroïne, est une orpheline de 12 ans forcée à l’exil pour échapper à la guerre. Sur sa route elle rencontre Bacem, qui est un ancien soldat et musicien joueur d’oud. Une amitié va naître entre le soldat et l’enfant, et ils vont se reconstruire grâce à la musique et la poésie.
J’ai choisi de ne pas citer le pays qu’Amel fuit, mais on peut penser à la Syrie ou au Liban. Mais l’histoire pourrait se passer dans n’importe quel pays en guerre. J’avais plus envie de parler des personnages, de leur identité, plutôt que des frontières, en étant plus dans la symbolique. Il y a tout un parallèle dans le roman graphique avec un poème persan qui s’appelle La Conférence des oiseaux, de Farid al-Din Attar.
Pourquoi avoir situé le point de vue au niveau d’une enfant ?
N.N. : L’enfance est un thème qui revient souvent dans mes créations. Je voulais pouvoir parler du sujet difficile de l’exil avec l’innocence et l’imaginaire de l’enfance. Au début du récit, elle joue avec son cerf-volant rouge au milieu des ruines d’une ville détruite par des bombardements successifs. Le cerf-volant symbolise l’enfance et le désir d’envol.
J’avais envie d’amener une note d’espoir avec une touche de couleur. C’était important pour moi d’avoir un dessin sombre parce que c’est un sujet grave, mais le noir permet d’apporter des contrastes avec des couleurs vives, saturées, d’autant plus lumineuses. Chaque chapitre a une couleur particulière : le rouge est la couleur d’Amel, l’héroïne, le bleu est associé à l’espoir, représenté par le personnage d’Aïda qui va la guider dans sa quête…
Outre l’actualité, qu’est-ce qui vous a poussée à raconter cette histoire ?
N.N. : Mon histoire familiale est traversée par l’exil. Mon père est d’origine libanaise mais est né à Homs en Syrie. En voyant les images de cette ville détruite par les bombardements, j’ai été bouleversée. D’où ce désir de faire passer cette mémoire, mais surtout de transmettre l’espoir de ceux qui tentent d’échapper à cette guerre. Je pense notamment aux mineurs isolés, qui sont très mal pris en charge actuellement. J’ai pu me rendre dans plusieurs camps de réfugiés pour m’inspirer du réel, à Calais, à Grande-Synthe ou au Liban. Ce qui m’a marqué chez ces enfants, c’est de voir que l’espoir subsiste chez eux : ils ont envie d’aller à l’école, d’apprendre… malgré ce qu’ils ont traversé, ils restent des enfants.
Les Oiseaux ne se retournent pas est aussi un spectacle musical et dessiné…
N.N. : J’aime explorer différentes formes de récit pour m’exprimer. C’est un roman graphique, mais aussi une exposition, et un spectacle mis en musique par un joueur d’oud, qui a été montré à Stereolux à Nantes. Cela permet aux différentes formes de se compléter. La musique est centrale dans l’histoire, je souhaitais donner à entendre l’oud, j’ai donc travaillé avec un compositeur pour le spectacle.
Les Oiseaux ne se retournent pas, éditions Delcourt
Excellent! Je vais courir acheter cet album graphique…