« Crise de l’hôpital, difficultés liées à l’attractivité des métiers de la santé… Nous avons tenu cet été grâce à la mobilisation des soignants, mais à quel prix ? Peut-on durablement continuer à fonctionner de cette manière ? », lance Éric Chenut, président de la Mutualité Française. Des propos tenus dans le cadre d’un échange avec les journalistes de l’Ajis (l’Association des journalistes de l’information sociale), le 2 septembre. Juste avant le 43e congrès de la Mutualité Française qui se tient à Marseille, du 7 au 9 septembre.
Face à l’ampleur des enjeux auxquels le secteur est confronté, le président de la Mutualité Française insiste sur la nécessité « de refonder le système de santé ». Ce qui implique d’y allouer « plus de moyens ». Un signal envoyé à l’Exécutif.
Éric Chenut est revenu sur les propositions de la Mutualité Française pour réformer le système de santé.
Un « rééquilibrage entre la médecine de ville et l’hôpital » s’impose selon lui. « Il faut veiller à ne pas transférer des actes qui pourraient se faire en ville vers l’hôpital. Cet été, des actions ont été mises en place, comme une meilleure rémunération des gardes, dans le cadre de la permanence des soins en ville. Ce qui a permis d’éviter des passages aux urgences et à l’hôpital », ajoute-t-il.
Si cette initiative, plus incitative pour les professionnels, va, selon lui, dans le bon sens, Éric Chenut estime toutefois que le sujet doit être creusé plus en profondeur et qu’il « ne faut pas en rester là ».
Il rappelle également que six millions d’assurés sociaux sont sans médecin traitant, les laissant ainsi sans suivi coordonné.
Face à ce qu’il qualifie de « perte de chance » pour les patients, il plaide en faveur du développement de « l’équipe de soins traitante », pour une meilleure répartition des rôles entre le médical et le paramédical.
Autre sujet phare : celui de la dépendance. Le président de la Mutualité Française revient sur le développement de la 5e branche de la Sécurité Sociale. Actuellement, elle n’est dotée que de 2,5 milliards d’euros.
Or, il souligne qu’un rapport intitulé « Grand âge et autonomie »*, recommande plutôt d’y consacrer 10 milliards d’euros. « Ce n’est pas suffisant pour résoudre la question de la dépendance pour les familles. Mais cela pourrait au moins permettre de structurer une nouvelle filière », souligne-t-il.
Par ailleurs, Éric Chenut observe depuis peu une nouvelle hausse des dépassements d’honoraires. Elle s’explique selon lui par la complexité de la nomenclature*** des actes médicaux. « Les assurés sociaux ne comprennent même plus ce qu’ils payent. Les professionnels sont également totalement perdus. Cette situation témoigne des limites de l’Optam (Option pratique tarifaire maîtrisée)**, engagée dans le quinquennat précédent. »
« La mise en place de règles éthiques et claires en matière de numérique en santé est indispensable », poursuit Éric Chenut. « Mais j’aimerais savoir pourquoi, en France, nous nous interdisons certaines pratiques, concernant notamment le croisement de données (mettre en perspective des informations provenant de diverses sources, puis les analyser, ndlr). Dans d’autres pays européens, comme la Suède, c’est tout à fait possible. C’est pourtant la même réglementation****. Il y a une vraie défiance dans notre pays sur ce sujet », relève-t-il.
Selon lui, cela permettrait pourtant une plus grande personnalisation du suivi médical, le développement de la médecine prédictive, ainsi qu’un gisement d’économies non négligeables. C’est pourquoi la Mutualité Française souhaite ouvrir un débat autour de ces enjeux.
Éric Chenut évoque aussi le développement de l’outil « Mon espace santé ». Pour mémoire, il permet de stocker et partager ses données de santé de manière sécurisée. « Les premières briques sont intéressantes et il faut capitaliser dessus. Mais cela suppose là encore de lever les craintes qui s’expriment de la part des assurés sociaux et des professionnels, qui sont légitimes. »
Concernant la contribution des assureurs santé, le président de la Mutualité Française a exclu l’idée d’une nouvelle taxation.
Il signale que le niveau de taxe actuel équivaut déjà « à prélever près de deux mois sur le montant des cotisations annuelles versées par les assurés ».
« Le secteur de la complémentaire santé a vu son niveau de taxation multiplié par huit en vingt ans. Est-ce qu’il est juste qu’une complémentaire santé, dont la mission est de permettre un meilleur accès aux soins, soit taxée à 14 % ? », interpelle enfin Éric Chenut.
Le président de la République lance le Conseil national de la refondation le 8 septembre 2022. Ce dernier doit réunir des professionnels et des citoyens pour étudier différents dossiers qui doivent faire l’objet de grandes réformes : le « plein emploi », l’école, la santé, le « bien-vieillir », ou encore la transition écologique. François Bayrou, président du MoDem (Mouvement Démocrate) et haut-commissaire au Plan, a été nommé secrétaire général de cette instance.
« Nous avons besoin d’un débat fort. Nous espérons vraiment que le Conseil national de la refondation donnera lieu à une véritable concertation. Un point qui a fait défaut lors du précédent quinquennat », déclare à ce sujet Éric Chenut.
* Le rapport de la concertation « Grand âge et autonomie » a été remis par Dominique Libault au ministre de la Santé en mars 2019. Il est le fruit d’une vaste concertation nationale s’appuyant sur des propositions élaborées avec les personnes et les acteurs concernés.
**L’Assurance maladie explique que les médecins conventionnés du secteur 2, en souscrivant à l’option Optam, s’engage à maîtriser leurs dépassements d’honoraires, en permettant ainsi de faire bénéficier aux patients d’un moindre reste à charge et d’un meilleur remboursement des soins.
***La nomenclature médicale est la liste de l’ensemble des actes médicaux que peuvent effectuer les professionnels de santé avec l’indication de leur valeur respective. Elle permet le remboursement des soins dispensés par les praticiens aux assurés sociaux.
****Le règlement général de protection des données (RGPD) est un texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union Européenne. Il est entré en application le 25 mai 2018. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) éclaire sur la notion de « données de santé » et sur leur traitement.