Cindy Bokobza est post-doctorante en neurosciences à l’hôpital Robert-Debré à Paris dans l’unité de recherche Inserm-UMR 11-41. Elle travaille sur les lésions cérébrales en période pédiatrique, dont celles des enfants prématurés. Elle a mené une thèse sur ce sujet. Depuis un an, elle est employée par le consortium européen Premstem qui étudie l’utilisation de cellules souches comme thérapie pour les lésions cérébrales des prématurés.
Sur quoi s’articule le projet de recherche pour lequel vous avez reçu le prix Harmonie Mutuelle Alzheimer ?
Cindy Bokobza : Mon projet porte sur les conséquences cérébrales à long terme de la prématurité. Dans le cerveau, se trouve une cellule immunitaire appelée la microglie. Au cours du développement cérébral, elle va, entre autres, sélectionner les neurones et les synapses* et faire toutes les connexions nécessaires au bon fonctionnement du cerveau.
Mes travaux ont démontré qu’il pouvait y avoir une altération de la microglie chez les prématurés. Cela empêche la mise en place des connexions normales du cerveau lors de son développement. La prématurité est liée dans 45 % des cas à des infections, des inflammations qui déclenchent l’accouchement plus tôt que prévu. Ces infections activent la microglie chez l’enfant né prématuré. Cette dernière ne va plus fonctionner correctement.
Dans le cas des maladies neurodégénératives comme Alzheimer, la microglie est déréglée. Elle mange les neurones et les synapses encore fonctionnelles et elle n’assure plus les connexions. De ce fait, je me suis demandé si la microglie, déjà altérée chez certains prématurés, ne risquait pas de réagir encore plus fortement face au processus de vieillissement.
Les prématurés sont-ils tous porteurs de lésions cérébrales ?
C. B. : On parle de spectre en l’espèce. On peut avoir des enfants qui ne présentent pas du tout de lésions. Environ 15 millions d’enfants prématurés naissent chaque année. Certains n’ont aucune séquelle liée à leur naissance avant terme. Cependant, des déficits peuvent apparaître tels que des troubles moteurs et/ou cognitifs. De surcroît, le devenir des individus est extrêmement variable en fonction de leur capital génétique, de la prise en charge médicale dont ils bénéficient, de leur exposition aux produits toxiques…
Il y a plus de vingt ans, peu d’enfants prématurés survivaient quand ils souffraient de lésions importantes. Avec les progrès de la médecine et des soins en réanimation, ces enfants ont moins de lésions majeures. Or, on se rend compte que d’autres déficits peuvent possiblement apparaître avec l’âge. Chez les enfants et les adolescents, ce peut être des troubles de l’attention, des troubles du spectre autistique. De la dépression, ou des troubles schizophrènes chez les jeunes trentenaires. C’est pour cela qu’il est intéressant de se questionner sur les effets du vieillissement.
En quoi votre découverte est innovante ?
C. B. : J’émets l’hypothèse qu’un enfant prématuré, porteur de lésions cérébrales, peut être soumis à un vieillissement précoce de son cerveau. Il développe plus de risques d’avoir une maladie neurodégénérative comme Alzheimer. Cela permet de donner des éléments aux médecins pour suivre de manière plus poussée cette population de prématurés quand viendra l’âge d’un possible vieillissement précoce.
Le cerveau humain commence ce processus en moyenne à l’âge de 40/45 ans. C’est là qu’il faudra redoubler de vigilance envers les personnes prématurées nées à partir des années 1990, période où la mortalité de ces bébés s’est raréfiée. Peut-être arrivera-t-on ainsi à devancer l’apparition d’une nouvelle population qui risque de présenter des maladies telles qu’Alzheimer.
Le fait qu’on sache qu’il y a un possible spectre de vieillissement précoce chez les prématurés peut permettre de faciliter un diagnostic anticipé et une meilleure prise en charge. Dans beaucoup de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, et de maladies du trouble du comportement, on peut mettre en place un suivi particulier, des exercices qui vont retarder l’échéance de l’apparition de symptômes graves.
Quelles suites allez-vous donner à vos travaux avec le prix Harmonie Mutuelle Alzheimer ?
C. B. : Mes études étaient préliminaires et hypothétiques. Le prix va me permettre de monter complètement mon projet et d’aller plus loin, notamment de démontrer que des modifications géniques dans les cellules microgliales peuvent se manifester, ce qui expliquerait le vieillissement précoce.
*Synapse : région d’interaction entre deux cellules nerveuses qui permet le passage d’un signal.
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