Pierre-Yves Jonin est psychologue spécialisé en neuropsychologie au CHU de Rennes, et docteur en neuropsychologie. Il vient de recevoir le 11ème Prix Harmonie Mutuelle Alzheimer 2020 pour un projet de recherche qui permettrait de faire un diagnostic plus précoce de la maladie d’Alzheimer.
Quel est l’objet de votre projet de recherche ?
Nous allons explorer une piste de recherche découverte dans notre laboratoire. Une des premières formes de mémoire touchée par Alzheimer est la mémoire associative. On l’utilise tous les jours, dans notre vie quotidienne, par exemple pour lier un nom et un visage.
La question qu’on s’est posée est la suivante : lorsqu’on doit former de nouveaux souvenirs, le fait d’avoir des connaissances préalables sur ce qu’on doit mémoriser a-t-il un impact ? Chez les personnes jeunes et les personnes âgées en bonne santé, avoir des connaissances préalables booste incroyablement la mémoire. Dans notre étude, chez les personnes âgées non malades, ces connaissances gommaient même les effets du vieillissement. En revanche, chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer cela n’améliorait pas leur capacité de mémoire associative.
On a donc construit notre projet autour de ces constats.
Le but du volet Alzheimer de notre projet est de tester l’idée selon laquelle tenir compte des connaissances préalables pourrait permettre de mettre en évidence les difficultés de mémoire plus tôt et ainsi améliorer le diagnostic de la maladie d’Alzheimer.
Une autre implication importante de ce projet est d’explorer des pistes de thérapies non médicamenteuses. Actuellement, dans la maladie d’Alzheimer, les médicaments ne sont plus remboursés, car leurs bénéfices sont considérés comme trop minimes. Nous aimerions mettre en évidence les bénéfices potentiels de thérapies visant à réduire le handicap dû aux pertes de mémoire, qui pourraient s’appuyer sur l’accompagnement individuel de chaque malade, en impliquant les proches aidants.
Quels sont les enjeux actuels pour la recherche dans la maladie d’Alzheimer ?
En tant que psychologue, avec les bilans neuropsychologiques, je contribue au diagnostic de cette maladie, que les médecins posent en regardant d’autres éléments, comme l’examen neurologique, l’examen radiologique ou biologique. Concrètement, un bilan neuropsychologique est un entretien avec un psychologue suivi par des tests de mémoire, d’attention, de langage.
C’est un diagnostic complexe : consulter son médecin parce qu’on est gêné par des problèmes de mémoire est assez courant à 70-80 ans. La majorité des personnes qui sont gênés par des problèmes de mémoire n’ont pas la maladie d’Alzheimer, et heureusement.
Un des enjeux importants aujourd’hui dans la recherche, c’est d’avoir de meilleurs outils de diagnostic afin de détecter le plus tôt possible la maladie. Si on est capable de faire le diagnostic avant le stade de perte d’autonomie, on va être plus à même de proposer un accompagnement et des soins pluridisciplinaires qui vont permettre de retarder la perte d’autonomie.
Existe-t-il des moyens de prévenir la maladie d’Alzheimer ?
Je suis convaincu que la stimulation cognitive, la « gymnastique du cerveau », ne fonctionne pas dans la prévention d’Alzheimer. Cela peut même être délétère si la personne se retrouve en échec. En revanche, les ateliers mémoire peuvent être un moyen de créer du lien social, ce qui est bénéfique pour la santé en général.
Ensuite, pour moi, la prévention des maladies liées au vieillissement cérébral comme Alzheimer passe par des évolutions sociétales plus que médicales. Tant qu’on évoluera dans un environnement social où les personnes sont cloisonnées, voire discriminées en fonction de leur âge, on continuera à alimenter des stéréotypes négatifs sur le vieillissement. De nombreuses données montrent que c’est non seulement anxiogène, mais aussi délétère pour la mémoire. Pour prévenir la maladie d’Alzheimer, il faudrait prendre des mesures pour une société plus inclusive et intergénérationnelle.
Sur un plan plus médical, tout ce qui est bon pour notre santé – en particulier cardiovasculaire – est bon pour la prévention de la maladie d’Alzheimer. Ce sont des bonnes pratiques à adopter dès le plus jeune âge.