« Transmettre, donne un sens à notre vie. Cela permet également d’entretenir une mémoire collective sans laquelle il n’y aurait pas de société ». Dans le contexte de l’après-pandémie où une quête de sens émerge de plus en plus, Claire Norton a voulu rappeler, dans son roman Le sens de nos pas* l’importance de la transmission, qui ne se limite pas aux membres d’une même famille. Les relations intergénérationnelles sont au cœur de ce roman récompensé par le Prix Solidarité. Il raconte le périple d’un duo improbable que rien n’aurait dû réunir, Philomène, 15 ans et Auguste 85 ans. Au moment de leur rencontre, Auguste vient d’apprendre coup sur coup que le cancer dont il est atteint s’est généralisé et que sa belle-fille envisage de le placer dans un Ehpad. Philomène, quant à elle, est en plein désarroi après la perte brutale de sa mère dans un accident de voiture. Cette rencontre va changer leurs vies, mais aussi celles des personnes dont ils croiseront la route.
« J’avais très à cœur de mettre en scène deux personnages qui ne soient pas liés par une attache familiale parce que je pense que la transmission peut aussi passer par des rencontres. Cette histoire repose sur deux personnages se trouvant aux deux extrémités de la vie et qui ont pour seul point commun d’être confrontés à une épreuve difficile ».
A travers le personnage d’Auguste, l’auteure aborde aussi la difficulté de se sentir vieillir et le sujet délicat de la fin de vie. « J’ai été heurtée, dit-elle, par la défiance qui semble s’être accentuée entre nos aînés et les plus jeunes générations durant la crise sanitaire : les personnes âgées étaient présentées comme étant presque responsables des contraintes que nous devions supporter… J’ai également été bouleversée par les conditions de solitude extrême dans lesquelles beaucoup de nos anciens ont dû terminer leurs jours. Nous avons beaucoup entendu parler de mortalité, mais nous avons souvent oublié de préserver la dignité de ces fins de vie là. ».
Le but ultime du voyage d’Auguste est la Suisse, où il se rend pour bénéficier d’une aide active à mourir. « Sur ce sujet, tant d’un point de vue intellectuel, que philosophique, moral, scientifique, artistique ou religieux, chaque opinion est respectable, explique-t-elle. Mais lorsque vous vous savez atteint d’un mal incurable, le sujet devient davantage émotionnel et pragmatique. C’est à cela qu’est confronté Auguste. Trop souvent la peur de la mort nous plonge dans le déni et nous empêche de réfléchir à notre propre finitude. Par ailleurs, avec un prologue un peu choc, je souhaitais que chaque lecteur puisse se demander : « si tout devait s’arrêter pour moi maintenant, à quoi ou à qui mes derniers moments me ramèneraient-ils ? « . ».
La nature est aussi un sujet très présent au fil des pages. « La crise sanitaire nous a rappelé combien la nature était importante, précise Claire Norton. Avec la pandémie, de nouveaux comportements ont émergé, dont certains démontrent une vraie prise de conscience vis-à-vis de la préservation de la nature. C’est une occasion inespérée de repenser nos habitudes et de basculer vers une société plus collective, plus écologique et plus juste. ».
Le roman graphique, Amalia** d’Aude Picault est une critique assez vive et pleine d’humour de la course au rendement et à l’efficacité. Mère d’une famille recomposée et salariée d’une entreprise de gestion, Amalia, le personnage central de la bande dessinée, s’évertue à être efficace sur tous les fronts. Elle s’occupe de sa fille Lili, 4 ans et de sa belle-fille Nora, 17 ans, pas toujours sans heurt. . . Côté travail, elle est coach mais a perdu le sens de ce qu’elle fait. Submergée par la charge mentale, épuisée par la course incessante qu’elle s’inflige, elle finit par s’effondrer. Diagnostiquée « intolérante au rendement », Amalia part quelques jours à la campagne avec sa famille. L’occasion de repenser et de réorganiser sa vie.
« Chaque personnage a une problématique dont il essaye de se sortir, explique l’auteure. Nora, la fille aînée, est perdue avec des parents dont l’exemple ne l’inspire pas. Elle cherche une issue de secours. Il se trouve qu’avec les réseaux sociaux, elle se lance un peu dans une chimère : les écueils que proposent certaines applications sont particulièrement vides de sens. ».
Lili, la plus jeune des filles d’Amalia, est une petite boule de vie et d’énergie. « Elle apporte quelque chose d’important à l’histoire. Une forme de joie pure qu’on a tendance à perdre », précise Aude Picault.
Les préoccupations liées à l’environnement sont également très présentes dans cet album. Victime de la pollution et boostée par des « stimulants », la nature elle aussi s’épuise. Le blé est malade, les poissons meurent en nombre « faute de n’avoir pas su s’adapter à la marche du monde » … « Nous devons agir individuellement, indique Aude Picault. Ne rien faire, c’est encore pire, donc s’engager chacun à son échelle me semble une voix plus positive. Après, c’est la prise de conscience politique. Quand on commence à faire de petits efforts, on en exige de nos politiques. C’est un chemin logique et nécessaire. ».
Ce récit sur fond de crise de sens et de crises écologique et sociale aurait pu être alarmiste, mais Aude Picault suggère d’autres comportements et propose des alternatives pour démontrer que plein de choses sont possibles. « Le mari d’Amalia fait un changement radical parce qu’il n’a presque pas le choix. Amalia, elle, se ménage. Elle maîtrise mieux son temps, elle conserve son travail mais a une approche différente. Elle pose ses limites de façon beaucoup plus claire », explique-t-elle. Pour Nora, la fille aînée, qui est en conflit avec tout le monde au début de l’histoire, les relations sont moins tendues, la communication circule mieux et donc, l’adolescente va mieux. C’est un cercle vertueux. ».
* Robert Laffont, 2022
** DARGAUD, 2022
Le Prix Solidarité 2022 a été remis le samedi 26 novembre, lors du Festival du livre de Marseille, organisé par l’association Parlez-moi d’un livre en présence d’Aude Picault. « Les prix en bande dessinée sont très rares, il me semble. C’est vraiment un cadeau ».
Claire Norton, qui ne pouvait pas être présente à cette occasion, nous a fait part de l’importance de ce prix « Au-delà de la récompense, ce prix a une portée symbolique très forte pour moi, parce qu’il salue des valeurs qui me sont chères d’entraide, de solidarité et de tolérance. Je suis très touchée de le recevoir. ».