Le prochain projet de budget de la Sécurité sociale prévoit une taxe exceptionnelle sur les complémentaires santé en 2020 et 2021. Pourquoi cette nouvelle taxe ? Est-elle justifiée ?
Thierry Beaudet : Durant le confinement, la polarisation sur la prise en charge des patients atteints du Covid ainsi que les craintes de contamination et la mise en place des mesures barrières ont conduit les Français non touchés par le virus à moins recourir au système de soins. Au global, cela s’est traduit par une baisse des remboursements des mutuelles à leurs adhérents. Le Gouvernement a estimé que, de ce fait, les complémentaires santé devaient rembourser à la Sécurité sociale les montants « économisés ». Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) institue à cet effet une taxe exceptionnelle sur le chiffre d’affaires des organismes de complémentaire santé. La Mutualité Française conteste le principe même de cette taxe. Les mutuelles, qui ne rémunèrent pas d’actionnaires, n’ont jamais imaginé tirer un quelconque avantage de la crise sanitaire et de ses conséquences. Très vite, elles ont d’ailleurs proposé de rembourser la part avancée par la Sécurité sociale pendant la crise, par exemple sur les téléconsultations ou les hospitalisations, et qui leur revenait. Et elles ont été sur tous les fronts, pour continuer à rembourser les prestations, pour soigner et accompagner les patients dans leurs établissements. Taxer les complémentaires santé revient à taxer la solidarité. Le niveau de fiscalité des contrats atteint 16,5 % ! Et l’on peut s’étonner que d’autres acteurs, dans d’autres secteurs, qui eux ont réalisé des profits record, ne soient pas taxés.
Son montant est-il bien calibré ?
T.B. : La Mutualité Française conteste également les modalités et le montant de la taxe. En effet, il est à espérer, pour éviter des pertes de chances des patients, qu’une partie des soins évités durant le confinement sera reportée dans les mois et années qui suivent. C’est d’ailleurs ce qu’on a pu constater dès le mois de juillet. Ce n’est qu’en 2021, ou même en 2022, que pourra se mesurer la totalité des impacts, sur les mutuelles, de cette crise sanitaire et de la crise économique redoutée. Ce n’est qu’à l’issue de cette période que seront connus l’ampleur du rattrapage des soins, le montant des impayés des cotisations liés à la fragilisation de nombreuses entreprises, le coût lié au maintien des garanties santé et prévoyance pour les personnes privées d’emploi, comme le prévoit le dispositif dit de « portabilité ».
Lors du confinement, les appels au « monde d’après », à des changements radicaux, se sont multipliés, jusqu’au plus haut niveau de l’État. Ce projet de loi de financement de notre Sécurité sociale marque-t-il une vraie rupture ?
T.B. : La crise a conforté le rôle de notre Assurance maladie, construite sur un modèle partenarial entre les régimes de base et les assureurs complémentaires. La mobilisation rapide de ses ressources financières, et de ses salariés, a permis aux plus fragiles d’entre nous d’affronter une situation sanitaire et économique difficile. Ce modèle, nous devons le conforter, et non pas le fragiliser. Or, ce PLFSS se situe davantage dans la continuité des précédents qu’en rupture. L’instauration de la taxe Covid en est une illustration frappante. Le système de santé a besoin d’investissements massifs pour se transformer. Or, si le budget proposé présente un plan d’investissement de 19 milliards d’euros pour les établissements sanitaires et médico-sociaux, il s’agit en réalité essentiellement, pour 13 milliards, d’un mécanisme de reprise de dette des hôpitaux. Pour changer d’échelle, et correspondre aux attentes des patients et des acteurs du soin, le système de santé mérite un plus haut niveau d’investissement.
Qu’en est-il du sujet du grand âge et de la perte d’autonomie ?
T.B. : La Mutualité Française salue la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie*. Son périmètre, qui recouvre celui des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, est adapté aux enjeux. Comme l’est également son pilotage, confié à la CNSA, qui est l’organe public chargé depuis près de 15 ans du suivi et de l’expertise de ces questions ainsi que du financement des aides en faveur des personnes concernées. Mais le niveau des financements n’est pas à la hauteur des besoins : d’ici à 2040, le nombre de personnes âgées en situation de perte d’autonomie devrait doubler, pour atteindre 2,6 millions. L’ambition des pouvoirs publics doit être revue à la hausse. Les recettes annoncées à ce jour sont clairement insuffisantes au regard du besoin de financement, notamment avec la crise économique que nous traversons, alors qu’il a été identifié par plusieurs rapports à 10 milliards d’euros par an d’ici 2030. Pour le seul grand âge.
* Les quatre branches de la Sécurité sociale sont, en 2020 : la branche famille, gérée par les Allocations familiales, la branche maladie, gérée par l’Assurance maladie, la branche accidents du travail – maladies professionnelles, également gérée par l’Assurance maladie, et la branche retraite, gérée par l’Assurance retraite.