À quoi sert l’orthoptie ?

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Par Sandrine Letellier

Temps de lecture estimé 8 minute(s)

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Utilisée pour le dépistage, la rééducation, la réadaptation et l'exploration de l'œil en cas de troubles de la vision, l'orthoptie peut nous venir en aide à tout âge. Elle permet une prise en charge globale des patients et compense, en partie, la pénurie d'ophtalmologistes. Céline Sonnet, orthoptiste à l'Hôpital Sainte-Marie, à Paris, détaille les différentes missions d'une profession aux compétences de plus en plus étendues.

Comment peut-on définir l'orthoptie ?

Céline Sonnet : L'orthoptie vient du grec ortho : droit, et opto : vision. Elle ne soigne pas les structures anatomiques de la vision mais le dysfonctionnement de celle-ci. Si le rétablissement de la fonction visuelle n'est pas possible, par exemple en raison d'une pathologie dégénérative, l'orthoptiste aide la personne à utiliser au mieux sa vision dans ses activités. Il s'agit d'une discipline paramédicale composée de professionnels qui travaillent sur prescription médicale, en général à la demande d'un médecin ophtalmologue. La majorité exerce en libéral, dans leur cabinet privé ou bien dans celui d'un ophtalmologue. D'autres sont salariés (hôpital, structure médico-sociale, Ehpad, SSR Soin de Suite et de Réadaptation…).

Pourquoi faire des séances d'orthoptie ?

C.S. : Nous prenons en charge des patients de tout âge, de la petite enfance à la personne âgée. Nous pouvons traiter ou participer au traitement d'une vision double (diplopie), d'une insuffisance de convergence, d'une difficulté d'adaptation aux lunettes, d'une paralysie oculomotrice faisant suite à un accident vasculaire cérébral (AVC), mais aussi de troubles neurovisuels (par exemple, dyspraxies visuo spatiale, troubles de la reconnaissance, troubles de l'exploration visuelle...). En fonction des troubles constatés, les séances d'orthoptie peuvent s'inscrire dans le cadre d'une prise en charge pluridisciplinaire faisant appel à d'autres spécialistes : opticiens, ergothérapeutes, psychomotriciens, neurologues, pédiatres, gériatres, en plus d'une collaboration étroite avec l'ophtalmologue.

Des séances de 20 à 40 minutes

Comment se déroule une séance d'orthoptie ?

C.S. : La durée d'une séance d'orthoptie est variable, fixée par la nomenclature de l'acte lui-même défini par l'âge du patient, allant de 20 minutes à 40 minutes. Le premier rendez-vous est plus long puisque nous procédons à la réalisation du bilan orthoptique L'orthoptiste fait réaliser des exercices dont certains seront à poursuivre à domicile. Il peut aussi proposer d'aller voir un opticien spécialisé pour acquérir des aides optiques adaptées à la problématique du patient (loupes, systèmes télescopiques…)

En quoi le bilan orthoptique est-il essentiel ?

C.S. : Le but d'un bilan orthoptique est d'établir un diagnostic orthoptique, c'est-à-dire s'il existe des raisons de dysfonctionnement de la vision ou de mauvaise utilisation de la vision, expliquant les symptômes directs (vision double, baisse visuelle…) ou indirects (fatigue, céphalées, problème d'équilibre, maladresse, difficultés d'apprentissage).
Le bilan orthoptique s'intéresse à trois aspects fondamentaux de la vision. L'aspect sensoriel doit déterminer la capacité du patient à voir simple (au sens une image pas deux) et à discriminer les contrastes, les couleurs, les détails. Plus précisément, il s'agit d'estimer la netteté de la vision, du relief et de la vision d'ensemble. L'aspect moteur s'intéresse au fonctionnement des muscles oculomoteurs et aux mouvements oculaires. Enfin, l'aspect fonctionnel doit évaluer la capacité visuelle du patient dans l'accomplissement de toutes ses activités quotidiennes (scolaires, professionnelles, sociales…).
Ce bilan comprend différents tests étalonnés et normés avec des valeurs chiffrées (acuité visuelle, valeur de convergence et divergence) et de mises en situation (lecture, écriture, jeux, coordination oculo-manuelle, perception des formes...). Il peut comprendre aussi des examens complémentaires (champs visuels, imageries type OCT, rétinophotos…) N'oublions pas l'entretien faisant partie intégrante du bilan orthoptique qui permet de cibler la demande, la question posée et oriente les tests.
Une fois le diagnostic établi, l'orthoptiste décide, en accord avec le patient, le plan de traitement à adopter pour améliorer la situation visuelle (du dysfonctionnement de la vision ou de la participation de la vision). Le diagnostic orthoptique est aussi l'occasion d'estimer le nombre nécessaire de séances à effectuer, en général entre 6 et 20.

Comment savoir si on a besoin de consulter un orthoptiste ?

C.S. : Il faut être attentif à différents signes d'alerte. Certains peuvent être purement visuels, comme une vision double ou trouble, mais d'autres, comme des maux de tête, de la fatigue ou encore des chutes à répétition peuvent aussi être la conséquence d'une perte d'autonomie possiblement liée à des difficultés visuelles.

Rééduquer à tous les âges de la vie

Quelles sont les problématiques fréquentes chez l'enfant ?

C.S. : Chez l'enfant, nous intervenons régulièrement en présence d'un strabisme. Ce défaut d'alignement des yeux doit être traité précocement pour éviter l'amblyopie, qui se caractérise par une différence d'acuité visuelle entre les deux yeux. Cette complication n'est pas liée à l'œil lui-même, mais à un mauvais alignement de sa vue. L'un des yeux, appelé œil paresseux, transmet des images qui sont de qualité insuffisante pour être traitées par le cerveau. Ce phénomène entraîne, à terme, une très mauvaise vision de l'œil dévié et une dégradation de la vue globale.
Mais nous pouvons aussi être amenés à prendre en charge d'autres pathologies survenant dans l'enfance comme, par exemple, un glaucome congénital, une rétinite pigmentaire (maladie héréditaire grave engendrant une dégénérescence progressive des cellules rétiniennes) ou encore un nystagmus (mouvement d'oscillation involontaire et saccadé du globe oculaire causé par une perturbation de la coordination des muscles de l'œil).

On voit souvent les adultes évoquer une certaine fatigue visuelle. Comment les aidez-vous ?

C.S. : Un motif fréquent de consultation d'un orthoptiste est lié l'utilisation récurrente dans la vie personnelle et professionnelle des écrans ou de lectures intensives sans correction optique adaptée. Cela concerne effectivement les adultes, mais aussi les enfants. Il suffit d'un suivi de quelques semaines pour réapprendre aux yeux leur « bon » fonctionnement.

Comment intervenez-vous auprès des personnes âgées ?

C.S : Chez la personne âgée, les raisons de consulter un orthoptiste sont multiples en raison des nombreuses pathologies survenant avec l'âge (glaucome, DMLA, complications liées à un AVC ou de la rétinopathie diabétique) et du vieillissement de l'ensemble de l'appareil visuel. Le rôle de l'orthoptiste est de dépister, rééduquer, voire réadapter. L'impact d'un dysfonctionnement de la vision chez la personne âgée se situe sur la perte d'autonomie. L'orthoptiste intervient notamment pour aider les patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), première cause de malvoyance après 50 ans. L'orthoptiste met alors en place des stratégies compensatrices (apprendre à diriger son regard autrement, aides optiques particulières…) qui permettront de mieux fonctionner dans la vie quotidienne.

Suppléer le manque d'ophtalmologues, sous certaines conditions

Depuis quelques années, les orthoptistes ne cessent d'élargir leurs compétences. Prescription de renouvellement de lunettes, suivi du glaucome, réalisation de fond d'œil… Ce métier peut-il réellement faire face à la pénurie d'ophtalmologues ?

C.S. : De nombreux praticiens ont réussi à trouver une organisation pour réduire leurs délais d'attente. Ils ont formé des binômes orthoptistes-ophtalmologues qui travaillent ensemble dans le cabinet de l'ophtalmologue. L'orthoptiste accueille les patients et les examine en premier lieu. Il prend des mesures, la tension, fait lire de loin et de près... Cela permet un gain de temps pour l'ophtalmologue qui peut se concentrer sur son rôle. Mais depuis octobre 2021, les orthoptistes qui travaillent seuls, en libéral, dans leur cabinet privé, reçoivent aussi des patients pour des bilans visuels simples ou des corrections faibles de leur vue, sans prescription médicale. Cette ouverture toujours croissante du champ de compétences* est une bonne chose. À condition toutefois que l'orthoptiste soit très bien formé, notamment en ce qui concerne la réalisation du bilan orthoptique, et qu'il ne cherche pas à se substituer à l'ophtalmologue.

Quel est le coût de la prise en charge ?

C.S. : Le coût d'une séance d'orthoptie varie en fonction de l'acte réalisé, passant de 16,90 euros pour la rééducation du strabisme à 78 euros pour un bilan orthoptique Basse Vision. La participation de l'Assurance maladie correspond à 60 % du tarif conventionnel. Il est important ensuite de se rapprocher de sa mutuelle pour savoir si elle rembourse les 40 % restant à sa charge. De fait, entre une consultation pour un simple bilan et les nombreuses séances nécessaires à une bonne rééducation visuelle, le reste à charge pour le patient peut être très élevé.

*Depuis le 1er février 2023, les patients âgés de 16 à 42 ans peuvent consulter un orthoptiste pour une première prescription de verres correcteurs.

Solange, 68 ans, retraitée atteinte d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA)

« J'étais heureuse de prendre ma retraite. Je pensais lire, voyager, visiter des musées… Mais, très vite, mon ophtalmologue m'a diagnostiqué une forme atrophique, dite « sèche », de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), maladie dont l'évolution, hélas, se fait toujours dans le sens de l'aggravation et de la perte de la vision centrale. Il m'a fortement conseillé des séances de rééducation orthoptique Basse Vision pour apprendre à mieux utiliser la vision restante, c'est-à-dire la vision résiduelle périphérique. Au début, j'ai eu du mal avec les exercices que je trouvais difficiles. Je sais bien que je ne pourrai jamais revoir comme avant, mais après une dizaine de séances, j'ai tout de même constaté une amélioration de ma qualité de vie. Et j'ai pu reprendre certaines activités typiquement visuelles comme la lecture sans « manger » les lettres et la conduite automobile. En fait, j'ai appris à voir autrement… »

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