Annabel Desgrées Du Loû et Pr Régis Aubry alertent sur « l’insuffisance de l’accompagnement de la fin de vie »

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Par Victoire N’Sondé

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Le Comité consultatif national d’éthique a rendu un avis sur la fin de vie qui ouvre la voie à une aide active à mourir, sous conditions. Le Pr Régis Aubry, corapporteur de l’avis majoritaire, et Annabel Desgrées Du Loû, signataire d'un avis minoritaire réservé, dressent un constat commun sur les soins palliatifs, malgré leurs désaccords. Entretien croisé.

Le Pr Régis Aubry (1) est médecin et corapporteur de l’avis majoritaire de « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » publié en septembre 2022 par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
Annabel Desgrées Du Loû (2) est démographe. Elle est signataire de l’avis réservé minoritaire.
Vous représentez deux positions au sein du CCNE. Mais vous vous accordez sur un même constat.

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Annabel Desgrées Du Loû : Nous posons un diagnostic commun sur l’insuffisance des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie en France, à l’hôpital mais aussi dans les Ehpad et à domicile. Nous lançons un appel aux décideurs pour un accompagnement à la fois médical et social et disponibles pour tous, quelles que soient ses ressources sociales et financières et quel que soit l’endroit de France où on habite. Nous partageons aussi un diagnostic sur l’insuffisance de connaissances sur la façon dont est appliquée la loi. Peu de recherches ont été menées pour objectiver les conditions dans lesquelles sont faites les demandes d’aide active à mourir. Quand les personnes sont accompagnées, comment évolue cette demande, quelles sont celles qui subsistent ?

 

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Régis Aubry : Nous en sommes au 5ème plan sur les soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie. On a eu tellement de plans que cela signifie clairement qu’on n’a pas de politique suffisamment développée. Nous sommes encore loin d’avoir une culture palliative intégrée à la pratique de l’ensemble des professionnels de santé et dans le grand public, pour qu’il soit possible d’aborder ces questions sous un angle autre que polémique ou partisan.

Pouvez-vous résumer l’avis majoritaire rendu par le CCNE ?

R.A. : Depuis 20 à 30 ans, les progrès dans le domaine de la médecine génèrent des situations qui confrontent, parfois de manière prolongée, certaines personnes à la question de leur fin de vie. Ce sont des patients atteints, par exemple, de cancers qui présentent des métastases. Grâce à l’apport de nouvelles molécules comme l’immunothérapie, elles se retrouvent en stand-by de leur maladie mais avec des situations de handicaps secondaires, de fatigue, d’épuisement, etc. De même, dans des situations de maladies neurodégénératives, les personnes concernées connaissent des évolutions plus lentes du fait de nouvelles thérapeutiques… mais inéluctables.
La seconde dimension est -que l’on soit d’accord ou pas- le fait que nous sommes face à une revendication de nature sociétale autour de la volonté de maîtrise de tout, de soi, de sa vie, voire de sa mort. Quand le pronostic vital est engagé à moyen terme, de l’ordre de quelques semaines à quelques mois, nous disons que le droit actuel est insuffisant. Une demande d’aide active à mourir doit être prise en compte.

Sur quels points porte la réserve que vous avez exprimée avec sept autres membres du CCNE (sur 45) ?

A.D.D.L. : Nous exprimons une réserve en terme de temporalité. Tant que les soins palliatifs ne seront pas suffisamment développés, tant que nous n’aurons pas une meilleure connaissance des demandes d’aide active à mourir et de ce qui se fait à l’étranger, nous ne souhaitons pas ouvrir la possibilité législative d’une aide active à mourir car cela impliquerait un quadruple danger.
Le plus gros danger serait un recours à l’aide active à mourir par défaut de soins palliatifs. Les personnes qui n’ont pas accès aux soins palliatifs pourraient demander l’aide active à mourir pour en finir plus vite. Peut-être que l’environnement (les soignants, la famille…) pourrait influencer vers une aide à mourir s’il juge que l’accompagnement est trop compliqué à mettre en place. Cela nous apparaît d’autant plus inégalitaire que cela toucherait majoritairement les personnes les plus vulnérables financièrement et socialement.
Le deuxième risque concerne le message envoyé à la société. Alors que le CCNE a rendu un avis très riche, le débat ne porte que sur l’aide à mourir. C’est une façon d’escamoter la vraie question sur ce qu’est une fin de vie.
Ensuite, dans l’avis du CCNE, un paragraphe très précieux dit que la dignité est intrinsèque à la vie humaine. Ce n’est pas parce qu’on va avoir accès à l’aide à mourir qu’on va mourir plus dignement.
Enfin, il ne nous parait pas prudent de légiférer à partir de quelques cas particuliers. De plus, en ce moment, le système de santé connaît une très grave crise avec un besoin de réformes et d’évolutions qui ne voient pas suffisamment le jour. Est-ce bien le moment d’aller vers une évolution législative pour répondre à quelques cas particuliers, même si on reconnaît qu’ils sont très difficiles ?

R.A : Je partage les constats et les inquiétudes sur les risques. Mais sur un plan éthique, cela pose question. Certaines demandes d’aide active à mourir apparaissent légitimes et justifiées. Dans l’avis majoritaire, il nous semble injuste de maintenir certaines personnes en situation de grande souffrance, en attendant le développement effectif d’une politique d’accompagnement. Ce n’est pas parce que ces demandes sont rares qu’elles ne sont pas importantes.
Si le législateur souhaite faire évoluer le droit en faveur de l’aide active à mourir, il devra limiter ce droit aux situations exceptionnelles. J’entends par là des personnes atteintes de maladies graves, évoluées et incurables en fin de vie, avec une espérance de vie à moyen terme et qui expriment une volonté d’aide active à mourir. Et nous disons qu'il faudra faire une différence entre le suicide assisté et l’euthanasie.

Vous exprimez, tous deux, d’extrêmes réserves autour de l’euthanasie. Pourquoi ?

A.D.D.L. : Pour avoir participé à l’ensemble des échanges au sein du CCNE, j’ai perçu énormément d’inquiétude autour de l’euthanasie.

R.A. : Dans l’assistance au suicide, qui consiste à rendre accessible à la personne un produit léthal, c’est la personne qui absorbe elle-même le produit. Dans l’euthanasie, c’est un tiers qui injecte le produit. La différence se situe à deux niveaux. D’abord, en analysant les données issues des travaux menés dans des pays qui ont dépénalisé l’assistance au suicide, en particulier aux Etats-Unis, en Oregon, on constate qu’un tiers à la moitié des personnes qui ont accès à l’aide au suicide, finalement, ne vont pas se procurer le produit qu'elles ont demandé. Et un tiers de celles qui se le procurent ne l’absorbent pas.
Ce qui signifie peut-être, c’est mon interprétation, qu’il existe une forme d’ambivalence ultime chez les personnes qui demandent une aide active à mourir, qu’elles ont une hésitation. L’euthanasie ne respecte pas cette ambivalence, par définition.
Ensuite, au niveau du soignant, l’intervention du médecin est limitée dans le suicide assisté. Elle est majeure dans l’euthanasie. Dans l’avis majoritaire du CCNE, nous estimons que, si le législateur veut faire évoluer la loi, c’est en direction de l’assistance au suicide.

(1) Le Pr Régis Aubry est chef d’un pôle dédié aux vulnérabilités au CHU de Besançon.
(2) Annabel Desgrées Du Loû, est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.

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