Baptiste Beaulieu : « On a tant de choses à apprendre à écouter les patients »

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Par Pauline Hervé

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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© Julien Falsimagne/Leemage/Editions Fayard

À 31 ans, Baptiste Beaulieu partage son temps entre ses patients, ses romans et ses chroniques radios. Le point commun entre toutes les activités de ce jeune médecin généraliste : réconcilier les soignants et les soignés dans un milieu médical de plus en plus dur, pour les uns comme pour les autres.

Sur votre blog, les réseaux sociaux, à la radio et dans vos romans, la relation entre les soignants et les soignés est au cœur de ce que vous écrivez. À quand remonte cette « obsession » ?

Baptiste Beaulieu : J’en parle très peu, mais j’ai depuis l’âge de six ans un lupus qui m’a ravagé durant des années, enfant et adolescent. Quand on a douze ans, le visage rouge et bouffi à cause d’une maladie auto-immune, qu’on passe comme tout adolescent des heures devant la glace à se mettre du gel dans les cheveux pour essayer de plaire à une fille et que le médecin vous dit : « Mais ça ne se voit pas, ça n’est pas grave » alors que pour soi, il n’y a rien de plus grave au monde, ça coince.

J’ai réalisé que certains médecins ne comprenaient pas le vécu des patients. Le docteur voit une pathologie là où pour le patient, des espoirs, une vie sociale, une estime de soi sont en jeu. Je me suis senti face à un mur d’incompréhension. C’est là, au cours de l’adolescence, que je me suis dit que ce serait une bonne chose de faire des études de médecine, pour changer cela. Une fois que j’ai eu le concours et que j’ai découvert le monde de l’hôpital, j’ai été conforté dans cette volonté de faire bouger les choses à mon niveau.

Est-ce pour cette raison que vous avez choisi la médecine générale ?

B.B. : Au départ, je voulais être cancérologue car ce qui m’intéressait, autant que soigner, c’était d’accompagner au mieux le patient et sa famille - y compris vers le deuil quand c’est le cas. Mais la vie – un chagrin d’amour, en l’occurrence ! - a fait que mes résultats au concours ne m’ont pas permis de choisir cette spécialité. J’ai opté pour la médecine générale. Aucun regret, car c’est probablement ce qui m’a offert toutes les rencontres qui m’ont permis d’écrire, et finalement d’accomplir mon rêve d’enfant : des romans. J’exerce en cabinet, dans une grande ville de province, depuis trois ans, trois jours par semaine.

Qu’est-ce que cela signifie, être médecin généraliste en France, en 2019 ?

B.B. : C’est du stress, et souvent le sentiment que « ça n’en finira jamais ». Parfois, le soir en rentrant après une énorme journée, on se berce de l’illusion que c’est fini : il ne doit plus rester de malades tant on a vu de monde ! Mais le lendemain matin, on arrive au cabinet et il y a déjà trois ou quatre personnes qui attendent devant la porte. C’est sans fin… Pour les médecins qui travaillent sans rendez-vous, notamment, ce peut être submergeant, au beau milieu d’une journée, d’ouvrir la porte de la salle d’attente et de voir quinze personnes…

Est-ce qu’on est préparé à cet aspect du métier ?

B.B. : Les études sont purement médicales, rien ne nous prépare à ça : rien dans le cursus ne concerne les ressources psychologiques. Il existe une seule heure de cours intitulée « Consultation et annonce d’une maladie grave ». Une heure ! Autant dire que si l’on ne savait pas comment s’y prendre avant, on n’en sait pas davantage après. Cela donne une idée de l’importance que l’enseignement médical donne à la prise en compte du patient, comment lui parler, comment le considérer…

Un autre exemple : durant les études de médecine, très jeune donc, à 22-23 ans, on fait sa première dissection. C’est commun d’arriver à cet âge sans avoir jamais vu un cadavre. Tout le monde sourit pour ne pas montrer qu’on est totalement terrorisé. Il faut montrer qu’on est fort, qu’on est capable d’encaisser parce que c’est cela, la médecine : un métier très marqué du sceau de l’efficacité. Il faut être au top tout le temps et ne pas confier ses angoisses ou ses petits problèmes.

Bien évidemment, face à un patient gravement brûlé ou atteint d’un cancer en phase terminale, il semble obscène de parler de ses propres petites angoisses ! Pourtant, nous avons le droit d’être malheureux aussi et il faut se l’autoriser… En tant qu’étudiant, j’ai eu le sentiment que nous étions livrés à nous-mêmes. On trouve les ressources auprès de nos proches, amis, familles, en parlant… L’écriture aussi m’a beaucoup aidé.

Qu’est-ce qui pourrait sensibiliser davantage les soignants à l’écoute, à l’empathie dont vous déplorez le manque ?

B.B. : Dans certains pays comme le Canada, la formation médicale inclut des jeux de rôles où le futur médecin se met à la place du malade : je pense que ça peut aider. En plus des cours, il faudrait inviter dans les facs des personnes « militantes » qui viendraient parler de leurs conditions de vie, de leur statut de patient : des femmes pour témoigner comment on soigne et traite leur corps à l’hôpital, des personnes homosexuelles, handicapées… Cela obligerait à passer de l’autre côté de la barrière et préparerait une génération de médecins tout à fait différents.

On a tellement à apprendre à écouter les patients ! Une personne dialysée depuis trente ans connaît plus de choses sur sa maladie que son néphrologue. Les malades chroniques sont « des mines d’or », ils savent ce que c’est que de vivre à l’hôpital, d’être confronté aux injustices liées à la maladie. Il existe bien en France les « patients experts » mais c’est encore très mal considéré de la part de certains médecins qui ont l’impression qu’on leur vole leurs prérogatives.

Vos écrits ont été connus du grand public grâce à votre blog, « Alors voilà ». Mais dans votre quotidien de médecin, qu’a changé Internet ?

B.B. : Internet, et ce qu’on y lit, nous oblige à plus d’éducation thérapeutique et plus d’écoute envers les patients (donc plus de temps et de fatigue !). Hier, une patiente qui venait faire vacciner son enfant me confiait ses craintes car elle avait « lu sur Internet qu’un bébé était mort de la mort subite du nourrisson après un vaccin ». Je lui ai donc expliqué ce qu’est la mort subite, les liens de cause à effet, qu’une coïncidence n’est pas forcément une causalité, etc… Cela prend du temps et de l’énergie.

Le plus grand changement que je note par ailleurs, et qui change beaucoup, c’est qu’une partie croissante des patients sont dans une attitude de « consommation ». Je reçois des appels de personnes qui souhaitent une ordonnance pour tel ou tel traitement sans passer au cabinet « parce qu’ils travaillent et n’ont pas le temps ». J’imagine que cela va de pair avec notre mode de vie de plus en plus consumériste : on n’a pas le temps, on a pris pour habitude de commander en ligne…

Je sais que cela peut sembler pénible d’attendre deux heures dans la salle d’attente du médecin, mais, comme je l’ai expliqué dans une vidéo à ce propos, le médecin que vous attendez est peut-être en train de soigner en urgence un accidenté, d’écouter une personne suicidaire… Un jour ce peut être vous, cette personne pour qui le médecin a pris une heure de retard sur ses rendez-vous.

Vous songez à arrêter ?

B.B. : Arrêter la médecine ? Pas du tout, non je ne l’imagine pas un seul instant, même si je viens de ralentir un peu le rythme. C’est la médecine qui me permet de rester « dans la vie », de garder des antennes en quelque sorte, d’être lié aux gens… et ainsi de nourrir des histoires à raconter en tant que romancier.

En savoir plus

Dernier roman publié : Toutes les histoires d’amour du monde, Ed. Mazarine, 2018.
Alors voilà. Journal de soignées/soignantes réconciliées : le blog de Baptiste Beaulieu.

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