Consultation maternité-gynécologie et handicap : un lieu unique à Paris

Publié le

Par Pauline Hervé

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

Illustration
© Thomas Gogny

À Paris, deux consultations accueillent les femmes en situation de handicap pour leur suivi gynécologique et leur grossesse. Ce lieu atypique tente de combler un manque criant en France. Reportage à l’Institut mutualiste Montsouris.

À 9 heures, en ce matin de semaine, au premier étage de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM), peu d’éclats de voix viennent troubler le calme de l’accueil de l’Espace mère-enfant. Femmes enceintes à l’air fatigué et futurs papas tendus patientent en salle d’attente. L’arrivée en trombe de Béatrice Idiard-Chamois ne passe pas inaperçue. En deux minutes, la sage-femme traverse deux fois la pièce, dossiers à la main, éclat de rire au bord des lèvres et énergie débordante. Blouse rose pâle de rigueur, chevelure argentée, la quinquagénaire n’est pas une sage-femme tout à fait comme les autres. Signes particuliers : se déplace en fauteuil roulant et gère d’une main de fer deux consultations uniques en leur genre en France (parentalité/obstétrique et gynécologie pour les femmes en situation de handicap). La première a ouvert en 2006 et la seconde en 2014.

Maternité pas encouragée

À l’origine de ce projet, un triste constat, vécu par Béatrice Idiard-Chamois elle-même. En France, les femmes en situation de handicap ne sont ni encouragées à devenir mères, ni suivies correctement sur le plan gynécologique. « Ça n’intéresse personne, le handicap ! », s’exclame celle qui confie qu’elle n’hésite jamais à « foutre un peu son bordel » quand le sujet est abordé lors de colloques professionnels, par exemple. La Légion d’honneur qu’elle a reçue en 2014 n’a pas affadi ses propos. « Les médecins français ne sont pas du tout formés à ces questions. Le présupposé, c’est que les femmes en situation de handicap n’ont pas de sexualité, voyez-vous ! Alors parler de maternité… », souligne avec ironie celle qui a connu les propos décourageants du corps médical avant de devenir mère malgré sa maladie génétique.

« 90 % des femmes que nous recevons ici n’ont eu aucun suivi gynéco auparavant ! », s’exclame Béatrice Idiard-Chamois. « Nous », c’est elle, la sage-femme, et un gynécologue, le docteur Nathan Wrobel. Ils se chargent à deux des consultations de gynécologie. Béatrice Idiard-Chamois assure, seule, des consultations de préparation à la parentalité/obstétrique et le suivi administratif.

« Pas de regard qui se détourne »

Le docteur Nathan Wrodel, 47 ans de gynécologie, n’avait pas d’expérience particulière avec le handicap quand il a rejoint Béatrice Idiard-Chamois en 2015, mais une solide ouverture à la relation entre le soignant et le soigné… « Ca ne change rien le handicap, souligne-t-il. Cela nécessite juste une accessibilité en plus, quelques aménagements comme cette table d’examen adaptée, plus large et modulable que les tables classiques. Mais le plus important réside dans la tête de ceux qui reçoivent et de celles qui consultent : ne pas avoir de regard qui se détourne face à la patiente ni de mépris. On s’adresse à des personnes, pas à un symptôme, ni à un utérus ».

Les consultations de l’IMM proposent une prise en charge globale : suivi gynécologique, accès à la parentalité, suivi pendant la grossesse et jusqu’au un an du bébé. Cet accompagnement sur le long terme, Kuy l’expérimente depuis plus de six ans et la naissance de son premier enfant. Cette femme de 35 ans vient aujourd’hui discuter de sa contraception avec Béatrice Idiard-Chamois et le Dr Nathan Wrodel.

« Avant de rencontrer Béatrice, se souvient la Francilienne, en fauteuil en raison d’un handicap moteur, j’ai dû poser à deux médecins et un gynécologue différents la question : “Me sera-t-il possible d’avoir un enfant ?” Aucun n’a été capable de me répondre. J’ai heureusement fini par entendre parler de la consultation de Montsouris… Mes deux grossesses ont été suivies par Béatrice. Avec ses conseils, nous avons pu, avec mon mari, apprendre comment adapter un lit de bébé classique à mon fauteuil, je me suis familiarisée avec le portage de l’enfant sur le fauteuil, anticiper comment se passerait le début de la marche… » Autant de questions jamais abordées par ailleurs.

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Temps et empathie

Au tour de Garance, 20 ans, de passer la porte de la consultation. Ni examen gynécologique, ni prescription : la jeune femme porteuse d’un handicap cognitif, est simplement ici pour une prise de sang. Un acte médical qui n’a rien de simple, ainsi que l’explique Béatrice Idiard : « Jusqu’ici, Garance n’a eu de prélèvement sanguin que sous anesthésie générale ou à l’aide de gaz hilarant ».

Forte de sa formation en haptosynésie (l’haptonomie, ou science du toucher, appliquée au soin médical) la sage-femme va prendre tout son temps, et faire des pauses pour expliquer et pratiquer le geste dans le calme. Chose faite en une vingtaine de minutes : un temps qui ne pourrait pas être pris ailleurs. Ici, les consultations durent de 45 minutes à plus de deux heures s’il le faut. « Dans notre travail, trois facteurs sont importants, sourit Béatrice Idiard-Chamois : le temps, le temps… et le temps ».

Le fait que Béatrice Idiard soit elle-même en fauteuil et mère instaure une empathie incontestable avec les patientes. Lydie, enceinte de 8 mois, vient de Dreux pour trouver ici « une véritable écoute. Et comme Béatrice connaît elle-même le vécu du handicap, on est à l’aise pour parler de nos problèmes : il n’y a pas besoin d’expliquer, elle comprend à demi-mot ! » La future maman attend son deuxième garçon dans quelques semaines et accouchera à l’institut Montsouris. La médecine de ville « classique », elle a donné, et n’en garde pas de bons souvenirs : « L’un de mes premiers gynécos m’a proposé, alors que j’avais un problème à l’utérus, de le retirer toute bonnement, en commentant : “Vous n’avez plus 20 ans, en plus de votre handicap…” »

Ici, Lydie se sent écoutée et prise en compte dans la globalité de sa vie avec le handicap. Ce matin, en plus du suivi de sa grossesse et du monitoring de son bébé, elle passera du temps dans le bureau de Béatrice Idiard-Chamois pour… remplir des documents administratifs.

Trois mois pour un rendez-vous

La consultation tourne à plein régime avec une vingtaine de rendez-vous par semaine. « Nous ne refusons personne, souligne le Dr Nathan Wrobel, mais il faut patienter trois mois pour un rendez-vous gynéco. » Médiatisées et très applaudies, ces consultations pas comme les autres ont-elles fait des émules ? « On nous pose des questions, sourit Béatrice Idiard-Chamois, certains se disent intéressés et deux autres consultations, à Paris et à Lille, proposent un suivi en parentalité. Mais honnêtement ça n’avance pas beaucoup. »

En attendant, ceux qui se décrivent comme des « ovnis » dans le monde médical continuent sans relâche leur accompagnement des patientes en situation de handicap. La nuit dernière, Béatrice Idiard-Chamois a reçu un sms de l’une d’elles lui annonçant qu’elle perdait les eaux. Des soignants qui laissent leur numéro de portable, là encore, c’est peu banal, mais c’est revendiqué. « Il y a dans cette consultation un petit côté artisanal que nous tenons à conserver », assure Béatrice Idiard-Chamois. « C’est beaucoup de tricotage, mais cela doit le rester pour conserver le plus important : l’aspect humain. »

En pratique

Les consultations d’obstétrique, parentalité et de gynécologie de l’Institut Mutualiste Montsouris, à Paris 14e, sont ouvertes aux femmes et couples porteurs de toutes formes de handicap : moteur, sensoriel, et mental. Renseignements et rendez-vous par téléphone ou SMS au 01 56 61 62 63 ou 06 98 02 42 73

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