La crise sanitaire, économique et sociale actuelle augmente de façon significative les problèmes de santé mentale parmi la population. Partant de ce constat et de celui de la dégradation du système de santé psychiatrique en France, cinq professionnels de la santé mentale ont lancé jeudi 3 décembre un appel pour la psychiatrie. Nous sommes entrés dans la troisième vague psychiatrique, expliquent Rachel Bocher, Serge Hefez, Marion Leboyer, Marie-Rose Moro et Cynthia Fleury (1). Ils proposent des solutions à court terme, pour répondre à l’urgence créée par l’épidémie. Mais aussi à long terme, car le secteur faisait déjà face à une grave crise avant 2020.
« Nous sommes tous exposés aux conséquences psychologiques de la pandémie », martèle Marion Leboyer. Elle rappelle que l’augmentation des cas de dépression avoisine les 30 %, tandis que celle des cas de troubles anxieux est d’environ 20 %. Serge Hefez pointe l’émergence de symptômes : « fatigue, sidération psychique, peur, anxiété, angoisse, insomnies, colère, beaucoup de colère… » Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés. Marie-Rose Moro, à leur sujet, parle même de « double peine », car l’épisode actuel modifie leur développement.
Et la crise actuelle intervient alors que le système psychiatrique est très dégradé. « La psychiatrie publique est devenue la branche pauvre de la médecine et a été déshabillée depuis des années dans ses moyens et dans ses possibilités d’action », dénonce Serge Hefez. Les agendas des professionnels sont souvent tellement remplis qu’ils peinent à accueillir de nouveaux patients. Et les prix des consultations en ville sont souvent tellement élevés qu’ils sont dissuasifs.
La situation est encore pire en pédopsychiatrie. « On s’est beaucoup indigné durant cette épidémie du fait qu’il fallait trier les malades pour savoir qui on allait soigner. Eh bien ce tri, nous le connaissons depuis longtemps dans les centres spécialisés. En permanence on doit s’interroger sur quel enfant on va devoir soigner, alors que d’autres sont laissés à la porte », explique Serge Hefez.
Les cinq professionnels de la santé mentale proposent d’un côté, des mesures d’urgence pour « répondre à cette vague psychiatrique de l’épidémie », et de l’autre, « une refonte globale de la psychiatrie, avec un accent mis sur la prévention ». Ils rappellent qu’avant la pandémie, en 2019, 12 millions de Français étaient touchés par une maladie psychiatrique sévère (troubles anxieux, dépression, schizophrénie, troubles du spectre de l’autisme…).
La « situation nécessite la mise en place de solutions d’urgence dont nous pensons qu’elles sont simples, qu’elles devraient être très rapidement déployées, afin de prendre en charge les nouveaux patients », explique Marion Leboyer. Elle dépeint trois grands axes :
« La réforme de la santé n’est pas envisageable sans réforme de la santé mentale », explique Rachel Bocher. L’objectif est de « favoriser un accès aux soins de proximité pour tous, à des tarifs non dissuasifs, sans retards excessifs ». Mais aussi de changer le regard sur la maladie mentale.
Les cinq professionnels de la santé mentale appellent à un « Matignon de la psychiatrie et de la santé mentale ». Il s’agirait d’une mission interministérielle chargée de préparer, avant l’été 2021, une loi psychiatrie santé mentale. Celle-ci serait notamment axée sur la recherche et développement en matière de psychiatrie ; et sur la création d’une structure dédiée à la santé des jeunes. Il est en effet nécessaire que les cas de détresse soient détectés et pris en charge le plus tôt possible, pour éviter les aggravations. Rachel Bocher insiste : « Ce travail est utile, urgent, nécessaire et fédérateur. »
(1) Rachel Bocher est psychiatre au CHU de Nantes. Serge Hefez est psychiatre et psychanalyste à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Marion Leboyer est psychiatre, chercheuse et professeure de psychiatrie à l’université Paris-Est-Créteil. Marie-Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et directrice de la Maison de Solenn. Cynthia Fleury est philosophe et psychanalyste, professeure titulaire de la chaire Humanité et santé au Conservatoire national des arts et métiers et de la chaire de philosophie au GHU Paris psychiatrie et neurosciences.