« Tout le monde a été tétanisé par ce tsunami », assure le docteur Philippe Chalumeau, député de la 1ère circonscription d’Indre et Loire. La crise sanitaire engendrée par le Covid-19 a fortement impacté la prise en charge des plus âgés en Ehpad ainsi que le travail des professionnels à leurs côtés. Un constat pragmatique fait par tous les experts autour de la table ronde organisée par le Usetech’lab, le 16 juin 2021.
« L’épidémie a été d’une violence inouïe pour les personnes hébergées et leurs familles », assure Dominique Joseph, secrétaire générale à la Mutualité Française. Car avec l’isolement obligatoire des résidents en Ehpad, se sont posées des questions d’éthiques : « on sait que des personnes sont décédées car elles se sont retrouvées coupées de tout ». Un deuil impossible à faire pour les familles qui n’ont pu leur dire au revoir et qui souvent, n’ont pas compris des restrictions qu’elles ont jugé abusives. « C’était très tendu », confirme le Dr Isabelle Annaheim-Jamet, membre de l’ARS (Centre-Val de Loire. « On a dû faire preuve de pédagogie auprès des familles pour leur expliquer au mieux les démarches sanitaires à respecter », poursuit-elle.
D’autant que sans visite, les professionnels ont dû se substituer aux familles : « on a transformé les soignants en aimants », explique le Pr Bertrand Fougère, chef du pôle Vieillissement au CHRU de Tours.
Des soignants qui ont d’ailleurs souffert de devoir enfermer les résidents dont ils s’occupaient. Parallèlement, d’autres craignaient aussi de contaminer leurs patients. « Un fort sentiment de culpabilité s’est propagé chez ces professionnels, notamment lorsqu’ils voyaient que la maladie rentrait malgré des conditions sanitaires drastiques », explique le Pr Bertrand Fougère.
Dans chaque Ehpad, cette crise a demandé un puissant effort logistique, que ce soit pour les masques, l’organisation de la prise en charge ou la gestion du risque infectieux. Les équipes étaient toutes en « work in progress » selon le Dr Philippe Chalumeau. « Il a fallu s’organiser très vite : mettre en place des espaces dédiés, des services de maladie infectieuse, isoler les résidents… », explique le Dr Philippe Chalumeau.
L’ARS a de son côté souhaité accompagner le plus possible les Ehpad, en échangeant régulièrement. « On a dû s’organiser pour faire appliquer la distanciation, pour que les consignes nationales puissent s’adapter aux spécificités de chaque établissement », explique le Dr Isabelle Annaheim-Jamet.
Ces bouleversements ont révélé la fracture existante entre le sanitaire et le médico-social. Ils ont aggravé tous les manques, les difficultés en termes de moyens et d’accompagnement. « On a rajouté une crise à une crise déjà présente », affirme Dominique Joseph.
Alors quelles leçons tirer de cette catastrophe ? Selon le Dr Philippe Chalumeau, s’il existe déjà des plans de gestion de crise, « celle-là a été rapide, inédite, fulgurante ». Et puisqu’il est impossible de tout anticiper, « ce qui est important c’est d’être réactif et agile ». Pour cela, il préconise d’être plus autonome, moins dépendant de l’étranger en « relocalisant les produits essentiels comme les médicaments et être capable de fabriquer vite ».
Cette crise a prouvé la capacité d’adaptation des personnels d’Ehpad dans la mesure où ces lieux de vie sont devenus des lieux de soins. Ce glissement contraint vers le sanitaire a eu pour effet de « casser les silos », obligeant des équipes médicales d’ordinaire séparées, à travailler ensemble.
Or, « la crise a montré la nécessité d’une complémentarité entre le public, le privé, le sanitaire, le médico-social, entre les instances gouvernementales », affirme le Dr Philippe Chalumeau. Afin de favoriser une meilleure cohésion, pour casser ce fonctionnement en silo : « il faut mettre tout le monde autour de la table », assure le Professeur Bertrand Fougère. « Il faut aussi associer les patients, les résidents, et les familles aux prises de décision, leur demander leur avis », ajoute Dominique Joseph.
D’autant que la population française est vieillissante : « la population âgée de demain ne sera pas celle d’aujourd’hui », assure Dr Isabelle Annaheim-Jamet. Davantage tournée vers le numérique et la technologie, il faudra adapter les structures d’hébergement ainsi que la prise en charge, à domicile comme en Ehpad.
« Il faudrait aussi ouvrir nos Ehpad sur la société car ils sont trop fermés », assure Dominique Joseph. Tourné vers la cité, plus intégratif, l’Ehpad de demain doit être « un lieu de vie, proche d’une école, à deux pas du centre-ville, en partenariat avec un club sportif ou le cinéma d’à côté », poursuit le Pr Fougère.
Pour ce faire, de nombreuses discussions sont d’ores et déjà engagées. « Dans le prochain texte*, une réflexion est menée sur la question de la gouvernance, afin que tous les établissements s’occupant des personnes âgées puissent agir en commun, créer une nouvelle proximité », explique Philippe Chalumeau. « Nous avons une véritable révolution à mener pour préparer notre société à la dépendance, qui n’est pas une fatalité », conclut-il.
* Le projet de loi « Grand âge et autonomie »
Pour revoir la table ronde organisée par le Usetech’lab, rendez-vous sur le lien : http://bit.ly/replaycolloque |