Enrique Casalino : « Le patient doit être au cœur du dispositif des urgences »

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Par Cécile Fratellini

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L’infectiologue Enrique Casalino, chef du service des urgences de l’hôpital Bichat Claude-Bernard à Paris était l’invité d’un petit-déjeuner « virtuel », organisé par l’Association nationale de la presse mutualiste (ANPM), jeudi 10 décembre. Au menu : l’avenir des urgences dans le système hospitalier, leurs missions mais également, actualité oblige, la vaccination contre le Covid.

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Enrique Casalino

Des missions des urgences à leurs défis pour l’avenir en passant par leurs moyens, le Pr Enrique Casalino, chef du service des urgences de l’hôpital Bichat à Paris a fait un tour d’horizon de ces questions. À l’occasion de ce petit-déjeuner en visioconférence organisé par l’ANPM en partenariat avec la Fondation de l’avenir, cet infectiologue a également évoqué la campagne de vaccination contre le Covid.

Une diminution de l’offre de soins

Dans les 30 dernières années, l’offre de soins a diminué avec notamment la fermeture de 50 000 lits hospitaliers, l’instauration du numerus clausus… Or la demande de soins est croissante. « On consomme plus de soins à cause de l’évolution scientifique mais également de l’évolution sociétale. Il y a donc un delta entre l’offre et la demande, et ce delta a été rempli par les urgences. Tout ceci pose un problème, d’un côté nous avons les patients qui attendent pendant des heures, de l’autre nous avons le personnel qui est fatigué psychologiquement. On ne peut pas avoir un système où les deux partenaires sont en souffrance et sont insatisfaits », explique le Pr Enrique Casalino.

Et de rappeler le paradoxe existant, selon les enquêtes d’opinion, les Français ont confiance à 95 % dans les médecins, les infirmières ou les urgentistes. Mais quand ils sont interrogés sur leur passage aux urgences, ils sont insatisfaits.

En moyenne, un Français sur trois se rend chaque année aux urgences. « Les urgences c’est la première image de l’hôpital, nous sommes en première ligne face à la précarité, aux difficultés d'accès aux soins… », rappelle-t-il.

Développer la bientraitance

Le Pr Casalino tient à des valeurs fortes pour le patient et pour le personnel de santé. « Le patient doit être au centre du dispositif. Il ne doit pas payer les erreurs d’organisation du système de santé. Aucune procédure n’est plus importante qu’un patient. Un exemple : vous habitez le 15e à Paris, vous allez dans un hôpital du 18e et on vous répond que vous ne pouvez pas être pris en charge car vous n’êtes pas du quartier. Ce n’est pas acceptable », martèle le Pr Casalino. Il veut développer la bientraitance qu’il définit ainsi auprès de ses internes : « Faites à vos patients ce que vous feriez à vos parents ».

En parallèle, il rappelle l’importance du personnel de santé et de ses conditions de travail en citant une enquête de l’AMUF de 2018. À la question : « Y a-t-il un ou plusieurs cas de burn-out au sein de votre équipe ? », la réponse était positive dans 67,3 % des cas. « Il faut travailler sur les conditions de travail, d’ergonomie, de sécurité, sur le développement professionnel. Le plaisir au travail est l’élément essentiel. Nous devons nous occuper du personnel pour répondre aux attentes légitimes des patients », explique le Pr Casalino.

Des missions multiples

Pour le chef du service des urgences de Bichat, les urgences sont le trait d’union entre la médecine de ville et l’hôpital. « Dans certains hôpitaux, 80 % des patients admis sont passés par les urgences. Nous devons accueillir tous les patients tout le temps et notamment les patients les plus précaires : femmes victimes de violence, les sans-domicile fixe… C’est une noblesse de notre mission. Elle donne du sens à notre travail. Je dis souvent, le service des urgences, c’est la dernière lumière qui reste allumée dans la ville à 3 heures du matin ».

Un des défis pour l’avenir est d’attirer les professionnels de santé aux urgences. Il y a des postes vacants d’infirmiers, de médecins… « Il faut redonner envie aux jeunes de venir travailler dans les services d’urgence. Le plaisir au travail est essentiel. Le contenu, l’intérêt de l’activité, la nature de la relation avec les collègues sont importants. Il ne faut pas travailler que sur les moyens et la rémunération. Il faut redonner du sens au métier des soignants pour qu’ils retrouvent du plaisir au travail », précise-t-il.

« Ouvrir l’hôpital sur la ville »

Et l’avenir alors ? Le Pr Casalino est clair : viser l’excellence en améliorant les conditions de travail des équipes et d’accueil des patients. Et il compte bien tirer de nombreux enseignements de la crise sanitaire que nous traversons. « Pendant la période Covid, nous avons eu moins d’absentéisme que pendant le reste de l’année. Et pourtant le personnel qui avait le Covid était absent de facto. Cela signifie que dans l’absentéisme quotidien, il y a un problème lié à une perte de sens. L’hôpital a répondu présent. Nous avons montré que nous étions capables d’aller au-delà de nos forces. Nous devons nous remettre en question, étonner, améliorer notre organisation et construire des projets de soins qui respectent les patients et donnent du sens au travail de nos équipes », insiste-t-il.

Selon lui ce changement passe par l’ouverture de l’hôpital sur la ville pour être au service des gens. « Il faut arrêter de penser que l’hôpital est une forteresse moyenâgeuse avec des murailles. Il faut créer des dispositifs et des liens. Un exemple : un médecin généraliste devrait pouvoir hospitaliser un patient sans me demander mon avis. Les lits n'appartiennent pas aux médecins mais aux patients. On doit lâcher des lits mais aussi certaines missions en déléguant par exemple auprès des infirmier(e)s de pratique avancée. Les pratiques vont évoluer », prévoit l’infectiologue.

Covid-19 : « Se faire vacciner dans l’intérêt de tous »

Pour terminer cette rencontre virtuelle, l’infectiologue a rappelé l’intérêt de la vaccination notamment contre le Covid-19 : « 10 % de la population sera toujours opposée à la vaccination, 10 % sera toujours d’accord. Il faut convaincre les 80 % qui hésitent. Il faut avoir une conviction scientifique que le vaccin est important, je l’ai. La conviction que les membres des comités scientifiques qui évaluent les médicaments sont des gens compétents et qui vont donner en leur âme et conscience un avis, je l’ai. Je me ferai vacciner quand l’agence européenne et l’agence française du médicament auront dit : “ce vaccin est sûr, le rapport bénéfices risques est cohérent”. Je donnerai l’exemple. Il faut que les Français se vaccinent dans l’intérêt de tous. Le Covid est une vraie menace. Le potentiel de décès d’une maladie comme celle-là est entre 400 000 et 500 000 morts en France, c’est colossal. L’intérêt de vacciner en France et dans le monde est de bloquer la circulation virale et d’éradiquer le virus pour éviter la potentialité de nouvelles formes, qui alors échapperaient aux modèles du vaccin ».

Concernant la fin du port du masque, pour le Pr Casalino, ce n’est pas pour demain. « Il ne faut pas revenir à la normalité d’avant, le temps a changé et il faut l’accepter. Porter le masque permet aussi de protéger nos enfants de la bronchiolite et les personnes âgées de la grippe ».

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