Fin du numerus clausus : quel impact sur les déserts médicaux ?

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Par Paola Da Silva

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Face à la désertification médicale grandissante, le gouvernement a décidé de modifier les conditions d’accès aux études de médecine. Le numerus clausus va donc être augmenté de 10 % en 2019, pour ensuite être supprimé dès septembre 2020.

Dans le cadre de la loi santé, adoptée par le Parlement le 16 juillet 2019, et face à la pénurie grandissante de médecins en France, le gouvernement a décidé de modifier l’accès aux études de médecine. Le numerus clausus (ou « nombre fixe » en latin), qui arrête le nombre d’étudiants autorisés à poursuivre leurs études de santé, va être augmenté de 10 % au niveau national en septembre 2019. 14 928 places seront ouvertes, toutes voies d’accès confondues, soit 1 405 de plus qu’en 2018. Il sera ensuite supprimé en 2020.

« La question du numerus clausus est très complexe », explique le docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des Médecins (CNOM). « Il a été instauré en 1972. On estimait que trop d’élèves étaient formés en médecine et on s’inquiétait des dépenses de santé à venir. De 15 000 étudiants admis en 1969, on est passé à 8 500 en 1972, jusqu’à atteindre 3 200 en 1992 ! La pénurie actuelle de médecins vient de là. »

À partir de septembre 2020, les universités fixeront elles-mêmes le nombre d’étudiants admis en seconde année en lien avec l’Agence régionale de santé, en fonction de leurs capacités de formation, mais aussi du manque de médecins sur leur territoire. Un nombre qui représentera environ 20 % d’étudiants admis en plus par rapport à aujourd’hui. « Mais il faut être réaliste. Il y aura toujours une sélection et des échecs en fac de médecine. Les étudiants doivent vraiment réfléchir en amont à leurs motivations. »

Partir à l’étranger étudier la médecine

Julia et Margaux ont 19 ans. Toutes les deux élèves en PACES (Première Année Commune aux Études de Santé) à la faculté de médecine de Nantes, elles ont appris en juin 2019 avec soulagement qu’elles étaient admises à redoubler. Donc à retenter le concours d’admission en deuxième année l’an prochain. « Nous étions 1 517 en début d’année pour 223 places en médecine, et 230 pour l’ensemble des autres filières », détaille Julia.

Beaucoup de ces étudiants souhaitent s’orienter vers médecine. Or, le taux d’admission en seconde année pour les primants est très faible. « Tous les étudiants ne sont pas autorisés à redoubler, tout dépend du classement au concours. C’est d’autant plus dur quand on passe 10 heures par jour sur ses cours toute l’année. » Des études exigeantes, une pression et une sélection forte qui incitent des élèves à s’exiler. « Pour augmenter leurs chances de faire médecine, certains étudiants français partent en Roumanie. D’autres vont en Espagne ou au Portugal. C’est une pratique courante », raconte Margaux.

Certains y vont directement après le bac, d’autres après avoir échoué à la PACES. Si elles sont toujours aussi motivées, les deux étudiantes se disent peu au courant de la réforme. « C’est flou, la fac ne nous tient pas informées. Il faut aller chercher l’information par nous-mêmes. »

Un effet sur la pénurie dans 10 ans seulement

Si la suppression du numerus clausus a pour but d’augmenter le nombre de médecins en France, son effet ne se fera sentir que dans une dizaine d’années environ. « Il faut de 10 à 12 ans pour former un médecin », argumente le docteur Mourgues.

« On est donc sur une réponse à moyen terme. Le paysage médical sera en outre radicalement différent. Quels seront les besoins de la population ? Comment aura-t-elle évolué ? Quelles seront les compétences du médecin ? Quelle place prendront les nouvelles technologies ? Si ce travail d’analyse ambitieux n’est pas bien réalisé en amont, attention aux conséquences qui en découleront. »

S’installer où l’on veut

Reste le problème des déserts médicaux. L’idée, initialement évoquée, d’obliger les futurs médecins à passer une année dans ces territoires a été modifiée pour arriver à un compromis. Le texte prévoit que les étudiants en dernière année, notamment en médecine générale, effectuent un stage sur le terrain d’au moins six mois et soient supervisés par un médecin.

Mais les professionnels de santé pensent aussi à d’autres solutions. « On pourrait par exemple envisager la création de maisons médicales avec des médecins tournants. Le rôle des professions de santé telles que les pharmaciens et les infirmiers sera également déterminant pour les prochaines années afin d’assurer un accès aux soins mieux réparti, celles-ci pouvant avoir accès à une « spécialisation » appelé en France « Pratiques Avancées ». C’est vrai en particulier pour le suivi des patients lorsque les missions sont bien définies (suivi de pathologies chroniques, campagne de vaccination…) », estime le professeur Francis Couturaud, vice-doyen à la recherche à la faculté de médecine de Brest.

Pour le docteur Mourgues, les décisions imposées et mal vécues sont à bannir. « Le CNOM incite les universités à professionnaliser leurs études. L’expérimentation qui a été menée à l’Université de Toulouse a été concluante. En irriguant toute la région en stages dans des cabinets libéraux, on a vu une meilleure répartition de l’installation des nouveaux médecins. Ils ne se sont plus cantonnés au CHU. C’est une réponse à la fois tout à fait satisfaisante et non contraignante. »

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