Hommes et femmes inégaux en santé ?

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Par Cécile Fratellini

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Une jeune femme victime d’un infarctus ? Jamais. Un homme qui souffre d’ostéoporose ? Évidemment que non, c’est une « maladie de femmes ». Les clichés sur la santé des hommes et des femmes ont la vie dure. Mais qu’en est-il réellement ?

Les femmes vivent plus longtemps que les hommes. C’est vrai. En 2017, l’espérance de vie pour les femmes est de 85,3 ans contre 79,5 ans pour les hommes. Mais si l’on parle d’espérance de vie en bonne santé, alors l’écart se resserre. Elle est de 64,9 ans pour les femmes et de 62,6 ans* pour les hommes.

Tout d’abord, il existe des différences biologiques liées au sexe (chromosomes, hormones, organes génitaux…). Donc certaines maladies concernent différemment les femmes et les hommes. Huit personnes sur dix** touchées par une maladie auto-immune (sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde…) sont des femmes. À l’inverse, l’hémophilie ou le daltonisme touchent essentiellement les hommes.

Des essais cliniques pour les femmes ?

Mais les inégalités de santé entre hommes et femmes ne se résument pas à ces facteurs biologiques. Loin de là. Les représentations sociales liées au genre masculin et féminin jouent aussi un rôle.

Prenons l’exemple des essais cliniques. La prise de conscience de sous-représentation des femmes dans les essais cliniques a eu lieu aux États-Unis dans les années 1990. Les normes physiologiques étaient celles des hommes. Ce n’est que dans les années 2000 que l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’Europe et de nombreux organismes ont commencé à se mobiliser sur le sujet. « Selon plusieurs enquêtes menées au niveau international et en France, seulement 33,5 % des participants aux protocoles de recherche clinique sont des femmes », précise Catherine Vidal, neurobiologiste dans son livre Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? *** .

Michel Cymes : « Changer les mentalités et améliorer la formation »

« Concernant les maladies cardiovasculaires, tous les médecins de ma génération ont appris qu’une femme jeune était protégée par ses hormones. Et que les risques augmentaient chez la femme après la ménopause car elle n’avait plus ses hormones protectrices. Pour nous, médecins, cette idée était bien ancrée.

Alors pour penser à un infarctus ou à une angine de poitrine chez une femme jeune se plaignant de douleurs thoraciques, il fallait vraiment qu’il y ait une grosse douleur. Aujourd’hui, il est vrai qu’il faut faire changer ces mentalités et améliorer la formation pour espérer que les futurs médecins ne se posent plus de question devant une femme se plaignant de douleur thoracique ».

Accès aux soins

Quant au renoncement aux soins, les femmes sont plus concernées que les hommes par ce phénomène. Selon une étude de juin 2016****, 64 % des personnes ayant reporté ou renoncé à des soins au cours des 12 derniers mois sont des femmes contre 36 % d’hommes. « Pourquoi renoncent-elles ? Car elles courent partout. Ces femmes ne sont pas forcément pauvres mais en précarité, leur situation peut basculer d’un moment à l’autre. La plupart d’entre elles sont partagées entre plusieurs employeurs donc ont peu accès à la médecine du travail. Leur santé passe après celle de leur mari et de leurs enfants », précise Geneviève Couraud, co-rapporteure du rapport « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Un diagnostic différent

Et puis les inégalités arrivent également au moment du diagnostic, les maladies cardiovasculaires sont mieux détectées chez l’homme que chez la femme. À l’inverse, la dépression ou l’ostéoporose sont souvent considérées comme des « maladies de femmes » alors que les hommes sont également touchés. Un quart des fractures liées à une fragilité osseuse surviennent chez des hommes. « L’ostéoporose peut se voir chez l’homme âgé ou qui prend de la cortisone, ce qui provoque une fragilité osseuse. Le tabac, l’alcool ou un déficit hormonal sont des facteurs de risque pour l’ostéoporose masculine. Mais l’ostéoporose la plus fréquente est quand même celle qui apparaît chez la femme après la ménopause », explique le Pr Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine. La meilleure prévention pour les hommes ou les femmes reste l’activité physique, et à tout âge.

*Insee
**Inserm
***Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Catherine Vidal, Muriel Salle, éditions Belin, collection Egale à égal, 2017.
**** Odenore-Diagnostic quantitatif du renoncement aux soins de 18 CPAM.

Trois questions à Catherine Vidal


Catherine Vidal, neurobiologiste, co-responsable du groupe « Genre et recherche en santé » du comité d’éthique de l’Inserm.

« C’est un problème de santé publique »

La question du genre en santé est assez récente. Ce n’est qu’en 2013 que le groupe de travail « Genre et recherche en santé » a été créé au sein du comité d’éthique de l’Inserm. Quel est son rôle ?

Catherine Vidal : Ces préoccupations étaient connues mais la prise de conscience en France a commencé dans les années 2000. L’objectif du groupe est de mener une réflexion éthique sur les inégalités de santé entre les hommes et les femmes. Ces inégalités conduisent à une discrimination dans l’accès aux soins et dans la prise en charge médicale. Nous étudions comment s’articulent les facteurs biologiques, les sociaux, culturels et économiques pour mieux comprendre comment les sources de ces inégalités et proposer des actions pour y remédier.

Comment peut-on expliquer les inégalités de santé entre les hommes et les femmes ?

C.V. : Elles s’expliquent principalement par un contexte socio-culturel et économique et pas uniquement par des raisons biologiques. Il faut prendre en compte l’ensemble de ces facteurs. Ainsi, les codes sociaux influencent la façon dont un homme et une femme vont exprimer leurs symptômes. Les soignants peuvent aussi décoder les signes cliniques différemment selon le sexe du patient. Une source importante d’inégalité dans la santé est la précarité économique qui touche principalement les femmes : temps partiel, chômage, faibles retraites… Cette précarité entraîne une mauvaise hygiène de vie (alimentation, tabac, alcool) et le renoncement aux soins. Il y a aussi les violences sexuelles qui se répercutent sur la santé physique et mentale. Ces inégalités entre les hommes et les femmes sont un problème de santé publique, ce n’est pas marginal.

Quelles solutions pour réduire ces inégalités ?

C.V. : Il faut former les professionnels de santé. Des efforts doivent être faits aussi bien en formation initiale que continue. La question de la santé des femmes reste largement ignorée dans les études de médecine. Côté patients, il faut les sensibiliser. Les femmes doivent apprendre à faire vérifier leur cœur et les hommes leur squelette. Pour cela, l’Inserm a produit une série de vidéos pour le grand public « Genre et santé : attention aux clichés ! » sur les maladies cardiovasculaires, la dépression, l’ostéoporose, le cerveau, la douleur…

Quant à l’accès aux soins, il a fallu attendre 2016 et la création de la PUMa (protection universelle maladie) pour qu’une femme au foyer ait son assurance maladie sans dépendre de son mari ! Les mentalités et les façons de procéder sont longues à changer. Il reste donc beaucoup de défis à relever pour une médecine plus égalitaire, et cela pour le plus grand bénéfice des femmes et des hommes.

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