Inégalités de santé : plaidoyer pour une même santé pour tous

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Par Nathania Cahen

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

Illustration
Stethoscope and cardiograph, computer artwork. © Getty Images

Issues de nos modes d’organisation éducative, sociale et politique, les inégalités affectent sérieusement la santé. L’espérance et la qualité de vie sont loin d’être les mêmes selon qu’on est pauvre ou fortuné. Dans un essai intitulé « Santé. Les inégalités tuent »*, le Pr Alfred Spira et le Dr Nicolas Leblanc décryptent ce phénomène, ses mécanismes et ses origines pour proposer des pistes à même d’y remédier.

Aujourd’hui en France, comme dans tous les « États providence », plus on se trouve en bas de l’échelle sociale, moins on vit bien, plus on meurt tôt. Autrement dit, ce que les médecins américains appellent le « shit-life syndrome » (« syndrome de la vie de merde »), est mortel.

Les inégalités de santé atterrent et passionnent deux médecins. Alfred Spira, professeur d’épidémiologie, très impliqué dans les questions de santé publique, notamment les enjeux d’environnement et de dynamique sociale. Et Nicolas Leblanc, médecin de santé publique, conseiller santé du Groupe mutualiste VYV. À l’aune de données statistiques, de recherches historiques et en sciences sociales, de comparaisons à l’échelle de l’Europe ou du monde, ils déconstruisent ce phénomène et surtout réfléchissent au moyen de combattre ce qui ne saurait être une fatalité.

L’espérance de vie, un marqueur essentiel

Au milieu du XIXe siècle, un médecin français, Louis René Villermé, fit une découverte qui allait révolutionner les représentations de la santé. La durée de vie, que l’on nomme aujourd’hui l’espérance de vie à la naissance, est bien moins déterminée par des forces occultes ou la volonté divine que par l’aisance, le niveau des revenus et d’éducation, la profession et l’habitat. Presque deux siècles plus tard, la donne n’a pas changé, les plus pauvres meurent plus jeunes !

De fait, les données sociodémographiques et épidémiologiques montrent de fortes inégalités sociales dans les risques de survenue de maladies et de décès. En France, selon l’INSEE, pour les hommes, 13 années d’espérance de vie séparent les 5 % les plus pauvres (environ 470 euros mensuels pour vivre) des 5 % les plus riches (au moins 5 800 euros mensuels) soit 71,1 ans pour les uns, 84,4 ans pour les autres. Pour les femmes, 8 années d’espérance de vie séparent les deux extrêmes.

« Les catégories les plus pauvres en France ont une espérance de vie à la naissance comparable à celle des pays d’Asie ou d’Amérique du Sud, à celle du Bangladesh pour les hommes et de l’Argentine pour les femmes, c’est-à-dire des pays disposant de niveaux de revenus et de développement des systèmes de santé bien inférieurs à ceux que l’on connaît en France », dénoncent les auteurs de l’ouvrage.

Mais, pour tous cette fois, l’espérance de vie a globalement reculé de six mois depuis 2020 et la déferlante Covid-19.

L’impact des inégalités territoriales et environnementales

D’abord sociales, les inégalités de santé sont aussi territoriales, liées au genre, et environnementales. Elles découlent des conditions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, sont éduquées, vivent, travaillent, vieillissent…

« Les personnes les plus aisées sont en moyenne plus éduquées, ont les activités professionnelles les moins délétères pour la santé, recourent plus souvent aux services de santé, qu’il s’agisse de la prévention ou des soins… », soulignent les médecins. Il y a par exemple plus de fumeurs parmi les non-diplômés et parmi les chômeurs.

Tuberculose, infarctus, suicide… : davantage de mortalité chez les personnes précaires

La situation des migrants en France, comme en Europe, a élargi le cercle de ces personnes précaires et vulnérables qui rencontrent des difficultés pour traiter leurs problèmes de santé, bien souvent des maladies chroniques (pour plus de la moitié). De plus, l’éventail des pathologies pour lesquelles des inégalités de mortalité sont constatées est très large, allant de la tuberculose à la démence, des cardiopathies (AVC ou infarctus du myocarde) aux blessures. Et en particulier les troubles de la santé mentale, les suicides. Du reste, le retard ou le renoncement aux soins est fréquent dans ces catégories de population.

Quand s’ajoute au tableau le Covid-19, une maladie infectieuse nouvelle qui déferle subitement sans qu’on sache tout de suite la prévenir ou la guérir, et les inégalités, y compris de santé, se creusent encore. Les plus pauvres connaissent plus de promiscuité de logement, sont plus exposés lors de leurs transports et de leurs activités professionnelles, prennent plus de risques, recourent moins à la prévention et aux soins, se méfient plus des experts et des décideurs.

Perspectives et solutions contre les inégalités

« La tâche semble incommensurable », reconnaissent les deux auteurs. Néanmoins, « en dépit des défis à relever, les possibles sont à portée de main ». Et cette période de crise sanitaire due au Covid-19 leur semble justement le moment propice pour s’attaquer aux inégalités sociales de santé. « La pandémie de Covid-19 est un symptôme d’un modèle victime d’une maladie grave, chronique mais guérissable, celle du développement insoutenable et inégalitaire ».

L’histoire révèle que les épidémies frappent plus durement les classes laborieuses. Dans le cas du Covid, outre un âge avancé, le second facteur de risque est le fait d’être porteur d’une « comorbidité », une maladie chronique (cancer, obésité, diabète, hypertension…), souvent amplifiée par les inégalités sociales.

La période est propice au changement de modèle

En 2022, il est temps d’agir. D’abord parce que les besoins sont criants, immenses. D’autre part, parce que les connaissances sont suffisantes pour lancer l’action. Alfred Spira et Nicolas Leblanc estiment que les manières de corriger cette situation dépendent de la volonté d’agir, de l’agilité de décision, des choix d’allocation des ressources. Il s’agit bien plus d’une problématique politique et sociale que biologique et médicale.

Les perspectives ? Un nouveau modèle de développement collectif, plus ambitieux que des ajustements et qui soit cohérent des politiques européennes jusqu’au pilotage sur le terrain. À même de faire en sorte que la vie ne soit pas une course d’obstacles pour certains et une promenade de santé pour d’autres. Qui relierait l’économique, le social et l’environnemental (car les épisodes de désordre climatique frappent davantage les plus vulnérables).

Il faudra aussi accorder plus de valeur à la prévention et à la recherche (plus de 200 milliards d’euros sont consacrés à soigner chaque année en France alors que la prévention institutionnelle est dotée d’à peine plus de 6 milliards par an). Avec des perspectives accessibles et bornées dans le temps.

Déterminants de la santé et risques sociaux.

Il est également important de renouer avec l’essence des mots « sécurité sociale » pour plus d’agilité à couvrir de nouveaux risques sociaux, c’est-à-dire élargir de la solidarité à la santé ainsi qu’à ses déterminants. Par exemple, développer l’éducation en santé dès le plus jeune âge et garantir un panier alimentaire sain à la population en favorisant les producteurs locaux.

Avant la pandémie, la précarité alimentaire touchait en effet jusqu’à 5,5 millions de personnes en France. Renforcer l’estime de soi et la prévention des comportements à risque (tabac, alcool, addictions, conduites à risque…) Bref faire en sorte que le système de santé puisse répartir les compétences, les ressources, autant en amont dans toutes activités qu’en aval des maladies.

Un pilotage exceptionnel

Enfin, vu l’ampleur de la tâche, le pilotage d’une telle politique devrait être portée au plus haut de l’État, par un ministère de grande ampleur ou une structure interministérielle. D’un point de vue administratif, il faudrait instituer une approche transversale, car la réduction des inégalités sociales passe par des actions concernant la santé et conjointement l’économie, l’éducation, le travail, l’urbanisme et le logement, l’isolement social et la pauvreté. Enfin les auteurs insistent sur la place à donner aux territoires pour mener les actions de prévention et d’accompagnement au plus près des citoyens et avec eux, de façon plus démocratique. Bref de quoi bâtir un écosystème de la santé plus pragmatique, solidaire et universel, en intervenant proportionnellement aux risques.

*Alfred Spira et Nicolas Leblanc. Ed du Croquant. Février 2022. 158 pages.

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