Les pénuries de médicaments s’aggravent en pharmacie

Publié le , actualisé le

Par Pauline Hervé

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Antibiotiques, antidouleurs… Des catégories de médicaments incontournables continuent de manquer dans les pharmacies début 2024. Pourquoi ces difficultés d’approvisionnement et comment y remédier ? On fait le point.

« La fragilité de la situation persiste » concernant l'approvisionnement en médicaments début 2024, selon un communiqué de l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) publié fin janvier. La situation reste inquiétante pour certaines molécules après les pénuries déjà connues lors de l'hiver 2022-2023. C’est notamment le cas de l’amoxicilline et de l'amoxicilline-acide clavulonique, qui manquent dans les pharmacies.
 

Les formes les plus concernées sont le Clamoxil, l’Augmentin et leurs génériques, sous forme de poudre à diluer en sirop, qui sont les plus utilisées chez les enfants. La fédération des syndicats pharmaceutiques de France indiquait ainsi en décembre 2023 que 60 % des officines n’avaient pas ou quasiment pas d’amoxicilline.

Un plan hivernal pour limiter l’impact des pénuries


Si ces antibiotiques font les gros titres, ils sont loin d’être les seuls médicaments à connaître des tensions d’approvisionnement depuis quelques années en France.
 

L’ANSM rapporte une augmentation constante des manques avec 4 925 déclarations de pénurie en 2023, contre 3 761 en 2022 et 2 160 en 2021. 40 % de ces signalements en 2023 ont nécessité des mesures pour garantir la couverture des besoins des patients : « contingentement quantitatif, qualitatif (réservation du stock pour certaines indications précises, N.D.L.R.) » ou encore importations de médicaments similaires provenant d’autres pays.
 

Face à la situation, l'ANSM a déployé un plan hivernal, construit avec les associations de patients, les représentants des professionnels de santé et l'ensemble des acteurs de la chaîne d'approvisionnement. Ce plan vise à anticiper et limiter les tensions sur certains médicaments majeurs de l’hiver et ainsi sécuriser leur disponibilité afin de répondre aux besoins pour les patients ». Ce plan implique un suivi renforcé sur les approvisionnements de ces catégories de médicaments : antibiotiques, médicaments contre la fièvre, corticoïdes administrés par voie orale, médicaments contre l'asthme.
 

Une situation qui se dégrade depuis des années


En France, une personne sur trois a déjà été confrontée à une pénurie de médicaments, selon une enquête BVA réalisée en 2023 pour France Assos Santé, l’Union nationale des associations de patients français. Elle ajoute que « 45 % des personnes confrontées à ces pénuries ont été contraintes de reporter leur traitement, de le modifier, voire d’y renoncer ou de l’arrêter ».
Des molécules incontournables sont également concernées, à commencer par le paracétamol, l’antidouleur commercialisé sous les noms de marque Doliprane, Dafalgan ou encore Efferalgan (et leurs formes génériques). À noter que cette situation perdure depuis 2020 et les débuts de la crise sanitaire.
 

Selon l'ANSM, « ces ruptures ou risques de ruptures de stocks de médicaments ont des origines multifactorielles : difficultés survenues lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, défauts de qualité sur les médicaments, capacité de production insuffisante, morcellement des étapes de fabrication… ».
 

L’ANSM continue d'alerter sur de fortes tensions d’approvisionnement portant sur « l’analogue du GLP-1 », commercialisé notamment sous le nom d’Ozempic, le traitement injectable le plus répandu contre le diabète de type 2. On trouve aussi dans la liste régulièrement mise à jour par l’agence la cortisone, des anti-hypertenseurs, des antalgiques…


Des médicaments « d'intérêt thérapeutique majeur »


Toutes les classes de médicaments sont concernées par les ruptures de stock ou les risques de ruptures. Mais les catégories de médicaments les plus exposées aux risques de rupture sont, de façon plus globale, les médicaments qui agissent sur le système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux, selon l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM).
 

Cela s’explique par le fait que ce sont des médicaments pour lesquels il n’existe pas forcément de génériques ou d’équivalents pour ces traitements. C’est ce qu’on appelle des « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur », ceux dont les tensions d’approvisionnement ont le plus de conséquences pour la santé publique car une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou être synonyme de perte de chance importante.
 

« Pour éviter les pénuries, l’ANSM a décidé d’imposer aux laboratoires un stock minimal de sécurité à 4 mois pour 422 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, contre 2 mois auparavant. La liste de ces médicaments a notamment été établie au regard des difficultés d’approvisionnement observées ces deux dernières années. Elle sera révisée tous les deux ans », indique l'agence.
 

En cause : le contexte sanitaire mondial et la géopolitique


Les causes des tensions dans l’approvisionnement de médicaments sont multiples. Elles sont pour beaucoup liées à la mondialisation de l’économie pharmaceutique. France Assos Santé dénonce de son côté d’autres causes comme « l’arrêt de production de médicaments anciens jugés non rentables au profit de médicaments nouveaux très lucratifs », explique Yann Mazens, chargé de mission.


Les tensions sur les antidiabétiques sont, par exemple, dues à « une augmentation importante de la demande mondiale », selon l’ANSM, car le diabète de type 2 progresse chaque année, alors que la production ne suit pas. « Ces traitements sont également utilisés pour la lutte contre le surpoids au détriment des personnes diabétiques », ajoute Yann Mazens de France Assos Santé.


À l’inverse, la tension mondiale sur l’amoxicilline résulte, elle, d’une baisse de la demande pendant la crise du Covid. Les restrictions sanitaires ont en effet réduit la propagation de nombreuses maladies traitées par cet antibiotique. En réponse, « certains fabricants ont baissé voire stoppé leur production », explique l’ANSM. Or, avec la levée des restrictions sanitaires dans de nombreux pays, le besoin repart à la hausse en Europe et en Amérique du Nord.


Le conflit en Ukraine provoque également des pénuries « annexes » comme celles de matériaux utilisés pour les emballages et contenants de médicaments.


Aujourd’hui, 80 % des substances actives utilisées pour les produire sont fabriquées hors d’Europe, principalement en Chine ou en Inde. Et à la moindre tension internationale sur les acheminements ou la production, c’est toute la chaîne du médicament qui est bouleversée.
 

Limiter les ventes et adapter les prescriptions


L'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) recommande à chacun, quand c’est possible, de « limiter la prise de paracétamol à trois fois par jour – une toutes les huit heures – au lieu des quatre maximum habituellement recommandées ». Il est aussi demandé de ne pas constituer de stock chez soi.


L'agence rappelle que les antibiotiques « n’ont aucune efficacité contre les infections virales, dont les bronchiolites, la grippe, le Covid-19, les rhinopharyngites et la grande majorité des angines et des otites ». La Haute autorité de santé recommande, de son côté, de limiter à 5 jours la durée d’un traitement par antibiotiques oraux dans la plupart des pathologies infectieuses courantes (angines et otites bactériennes, pneumonies…). En cas de difficulté d’approvisionnement en amoxicilline, le pharmacien pourra prendre contact avec le médecin pour définir un autre antibiotique adapté ou une autre forme d’amoxicilline.
 

Par ailleurs, « au vu des difficultés remontant des pharmacies, l'ANSM annonce pouvoir obliger les laboratoires à libérer leurs stocks concernant d’autres antibiotiques, tels que l’azithromycine et la cefpodoxime pédiatrique ».


La relocalisation de la production en question


En 2020, le gouvernement français s’est engagé à relocaliser une partie de la production des 30 médicaments qui ont le plus manqué ces dernières années, comme le paracétamol. Cette relocalisation est en cours, avec la réouverture de sites de production.


Ces mesures sont jugées insuffisantes par France Assos Santé. Celle-ci réclame au gouvernement de rétablir une mesure envisagée puis abandonnée, qui visait à « exiger des industriels, lors de la prise en charge d’un nouveau médicament, de garantir l’approvisionnement en médicaments anciens, souvent moins rentables pour les industriels », sous peine d’une pénalité importante. Ce sont en effet les médicaments les plus anciens, comme le paracétamol, qui sont le plus souvent produits à l’étranger.


« Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir tout rapatrier, » selon Éric Baseilhac, directeur Accès Économie et Export du Leem (groupement des industriels du médicament). Le Leem préconise de travailler à l’échelon européen pour les médicaments essentiels d’intérêt sanitaire et stratégique. « La prise de conscience de l’importance de l’autonomie sanitaire avec la crise du Covid doit nous amener à réfléchir sur le modèle économique. Car les coûts de fabrication ne sont pas les mêmes en France et en Europe qu’en Chine et en Inde, surtout pour les médicaments à bas prix », souligne Éric Baseilhac.

Distinguer « tension dans l'approvisionnement », « rupture » et « pénurie »

On parle de « tension en approvisionnement » quand il est impossible d'approvisionner une pharmacie en un médicament en moins d'une semaine. C'est actuellement le cas pour des médicaments comme la Ventoline. Mais dans la loi, il est uniquement fait mention de « rupture d'approvisionnement », précise Yann Mazens, chargé de mission à France Assos Santé. Celle-ci désigne l'incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient sous 72 heures. Cependant, cela n'est pas forcément synonyme de pénurie. En effet, beaucoup de médicaments existent ou ont des équivalents sous des formes multiples (comprimés ou sirop, boîtes de 7 ou 14 doses...), sans oublier les génériques.

On approche de la pénurie quand les tensions et ruptures d'approvisionnement concernent au long cours des médicaments sans alternative de substitution. Il s'agit soit de traitements très récents, soit très spécifiques comme les antidiabétiques. Le risque de pénurie est grand, quand les génériques eux aussi viennent à manquer, comme c'est le cas pour l'amoxicilline.

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