Rencontre avec Martin Winckler, défenseur de la santé des femmes

Publié le , actualisé le

Par Angélique Pineau-Hamaguchi

Temps de lecture estimé 8 minute(s)

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© Sarah Rouleau

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Auparavant comme médecin, aujourd’hui en tant qu’écrivain, Martin Winckler se fait depuis toujours l’avocat de la santé des femmes, qu’il juge trop souvent maltraitée par le corps médical. Ce féministe plaide pour une prise en charge plus respectueuse et plus à l’écoute des femmes.

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Couverture C'est mon corps Martin Winckler

Auteur de romans à succès*, Martin Winckler – de son vrai nom Marc Zaffran – était auparavant médecin. Il a d’abord exercé comme généraliste à la campagne puis dans un centre de planification et d’interruption volontaire de grossesse (IVG). Tout au long de sa carrière, il s’est préoccupé de la santé des femmes, estimant qu’elle était le parent pauvre de la médecine. Il est aussi à l’origine d’un blog consacré à la gynécologie.

Martin Winckler a également écrit plusieurs essais dont Les Brutes en blanc qui a contribué à médiatiser les violences obstétricales mais qui lui a valu des critiques de ses pairs. Dans son dernier essai, C’est mon corps**, il répond sans détour aux principales questions que se posent les femmes sur leur santé, sans parfois oser en parler à leur médecin. De la puberté (les règles et leurs maux) à la ménopause (ses symptômes, ses effets), en passant par la contraception et la grossesse… Un guide utile et sans tabou qui veut en finir avec les clichés.
Martin Winckler y aborde par ailleurs les relations entre les patientes et leurs soignants. Il considère que la médecine est encore aujourd’hui trop patriarcale, pas assez à l’écoute des femmes, de leurs envies, de leur douleur…

Les femmes parfois victimes de l’attitude de certains médecins

Les femmes ne sont pas toujours bien informées sur leur santé. Pourquoi, selon vous ?

Martin Winckler : Il est possible de trouver des informations générales sur la santé, grâce à internet notamment. Mais quand vous avez des questions spécifiques, qui correspondent à votre expérience personnelle, il faut avoir en face de soi des professionnels de santé qui écoutent ce que vous dites, ne vous jugent pas, remettent cela en perspective et vous donnent des informations qui vous soient vraiment utiles.

Il n’y a pas de questions stupides. En revanche, il peut y avoir des réponses ou des attitudes de médecins qui soient paternalistes, humiliantes, méprisantes… et ce n’est pas acceptable.

Les médecins doivent également vous expliquer toutes les possibilités qui existent. Ils devraient vous dire : « Je ne vais pas prendre la décision pour vous mais quelle que soit celle que vous choisirez, madame, je suis avec vous et je vous soutiendrai ». Malheureusement, cela ne se passe pas toujours ainsi. Pourtant, les professionnels de santé devraient être là pour éclairer, pour guider. C’est ce que j’essaie de faire dans mon livre C’est mon corps.

Comment gagner du temps en consultation ?

Dans votre livre justement, vous dites que pour bien soigner, il faut bien écouter. Mais les médecins ont-ils assez de temps pour cela, en particulier les généralistes ?

M.W. : Ce n’est pas la quantité de temps, qui est importante, mais la qualité de l’écoute pendant le temps dont on dispose. Les Anglais ont appris à faire cela. Le système leur impose de voir un patient toutes les dix minutes. Ils ont donc cherché des méthodes qui leur permettent de bonifier ce temps. Les Anglo-saxons ont fait de nombreux travaux sur le temps nécessaire pour laisser parler une personne : c’est 2 minutes 30 sans l’interrompre.

Au Québec, où je réside depuis plusieurs années, quand vous arrivez à une consultation, on vous donne un questionnaire à remplir. Et ce sont autant de questions que le médecin n’aura pas besoin de vous poser. On vous remet également des feuillets d’information à l’issue de la consultation. C’est un vrai gain de temps.

Après, c’est vrai que la situation des médecins n’est pas simple. Ils sont moins nombreux qu’auparavant et ont des tâches administratives qui sont extrêmement chronophages. Mais même s’ils n’ont pas assez de temps, ce n’est pas une raison pour ne pas apprendre à le gérer. Or, pendant leur cursus, on ne leur enseigne pas cela.

Mieux prendre en compte la douleur des femmes

Pendant longtemps, on n’a pas écouté la douleur des femmes, par exemple. On leur disait que c’était dans leur tête…

M.W. : Cela arrive encore aujourd’hui. Il suffit de regarder les réseaux sociaux, on y trouve plein d’histoires de jugement, de non-écoute et de non-prise en compte aussi bien de la douleur que d’un inconfort (démangeaison, brûlure…). Certes, ce n’est pas forcément quelque chose de mesurable car, par définition, c’est subjectif. Mais il y a une chose très simple qui permet d’appréhender la douleur* d’une personne, c’est de lui demander d’en parler.

Donc oui, écouter c’est entendre, mais c’est aussi faire raconter. Et l’un des problèmes de la médecine française, c’est qu’elle veut obtenir des réponses à partir de questions fermées.

Soulager leur sentiment de culpabilité

On a eu tendance aussi à culpabiliser les femmes, par exemple lorsque leur enfant était homosexuel, porteur d’une forme d’autisme ou bien souffrait d’anorexie. Elles pouvaient s’entendre dire que c’était « leur faute » ?

M.W. : En France, les médecins ont été formés par l’Église catholique à peu près jusqu’à la Révolution. Et jusqu’au milieu du XXe siècle, l’immense majorité d’entre eux étaient des hommes. Cela a contribué à propager l’idée que les femmes sont coupables ou tout du moins responsables. C’est très idéologique et profondément ancré. Il y a même des femmes qui ont intégré cette idée.

Quand je travaillais dans un centre d’interruption de grossesse, des femmes me demandaient : « J’ai fait une IVG, est-ce que je vais être stérile après ? ». Une IVG, ce n’est pas bien donc elles allaient forcément être punies. Ou alors « j’ai fait une fausse couche après une IVG, est-ce à cause de ça ? », parce que j’étais une « mauvaise femme » en gros. Je leur répondais que non, une fausse couche, c’est-à-dire un avortement spontané avant le troisième mois, c’est simplement physiologique. Il y a des grossesses qui ne tiennent pas, c’est comme ça.

C’est très libérateur d’avoir quelqu’un qui vous dit « non, ce n’est pas votre faute » et qui vous explique pourquoi. Mais tous les professionnels de santé ne font pas cette démarche. Or, cela permettrait de soulager beaucoup de femmes.

Des médecins pas assez formés pour soigner les femmes

Faudrait-il revoir la formation des médecins pour changer les mentalités en profondeur ?

M.W. : En France, les médecins sont formés pour penser qu’ils sont les mieux placés pour prendre des décisions à la place des gens. Si vous traversez la frontière et allez en Belgique, en Hollande, au Luxembourg ou en Suisse, cela fait bien longtemps qu’ils ne raisonnent plus comme cela.

D’ailleurs, ces quatre pays, qu’ont-ils en commun ? Ils autorisent l’assistance médicale à mourir. Ils considèrent qu’une personne est assez grande pour décider si elle souhaite mettre fin à ses jours. En France, on ne la refuse pas tellement pour des raisons religieuses, mais parce qu’on pense que seuls les médecins sont en mesure de décider qui peut mourir ou non.

L’autre problème de la formation médicale en France, c’est qu’on ne vous enseigne la physiologie féminine que si vous êtes gynécologue-obstétricien. Or, tous les médecins devraient la connaître. Et quand vous êtes gynécologue-obstétricien, vous avez tendance à ranger les femmes dans des cases : la femme pubère, celle qui demande une contraception, celle qui a des rapports sexuels qui lui font mal, celle qui est enceinte, celle qui accouche… D’abord on peut être toutes ces femmes en même temps ou successivement et ensuite cela ne résume pas votre expérience.

Revoir la formation médicale serait une bonne chose. Mais il faudrait aussi une politique d’éducation de la santé qui affirme que les professionnels de santé sont là pour répondre aux besoins de la population. Car en réalité, ils sont au service des autres. N’en déplaise à certains médecins.

Une charge physiologique qui pèse lourd

Dans votre livre, vous parlez de la charge physiologique des femmes, en écho à la charge mentale. De quoi s’agit-il ?

M.W. : La charge physiologique est la différence liée au fait d’avoir un corps de femme par rapport à un corps d’homme. Car c’est plus lourd, plus susceptible d’être douloureux, angoissant, voire mortel.

Cela commence dès la puberté. Être une fille, c’est avoir ses règles tous les mois, et peut-être les douleurs qui vont avec, c’est la perspective d’être ou de ne pas être enceinte, les éventuelles douleurs des seins… Pour les garçons, c’est tout de même plus simple.

Et cela continue avec la vie reproductive. Pour une femme, ce sont des rapports hétérosexuels avec pénétration qui ne sont pas toujours agréables, la peur d’être enceinte si on n’a pas envie de l’être ou l’envie de l’être alors qu’on n’y arrive pas, la grossesse (et on peut mourir d’être enceinte), l’accouchement (là encore, on peut mourir d’accoucher)… Et cela recommence plusieurs fois jusqu’à la ménopause.

Quand j’étais jeune, je me souviens qu’une de mes camarades de lycée m’avait raconté qu’elle avait été enceinte l’année d’avant et elle s’était posé la question d’avorter ou non. Elle avait finalement décidé de poursuivre cette grossesse mais de donner son enfant à l’adoption. Il avait été très dur pour elle de le laisser une fois qu’elle l’avait vu. Je me suis rendu compte que je ne vivrais jamais un tel déchirement. Cette histoire-là, il faudrait la raconter à tous les garçons.

* Parmi ses romans les plus connus : La Maladie de Sachs (1998), Le Chœur des femmes (2009), publiés aux éditions P.O.L.

Par Angélique Pineau-Hamaguchi

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