Rendez-vous chez un spécialiste : des délais toujours plus longs

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Par Paola Da Silva

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Les délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou passer un examen de radiologie sont actuellement très variables, de quelques jours à plusieurs mois. Ils dépendent des spécialités et de nombreux facteurs géographiques et démographiques.

Le docteur Jean-Marcel Mourgues est médecin généraliste dans le Lot-et Garonne. Il préside la section santé publique et démographie médicale au sein du Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Le délai pour passer un examen de radiologie s’est-il vraiment allongé ces dernières années ?

Jean-Marcel Mourgues : Oui c’est long, notamment pour passer un IRM où le délai peut dépasser un mois. Ce problème est lié à plusieurs facteurs : le développement de certaines spécialités très demandeuses d’images et le vieillissement de la population, qui de fait passe plus d’examens. Ce n’est pas qu’un problème de coût d’acquisition des machines comme on pourrait le penser car parallèlement, on assiste à une baisse de densité des médecins sur certains territoires.

Néanmoins, il n’y a pas d’homogénéité nationale sur la question. Il faut également distinguer les examens de contrôle de ceux effectués dans le cadre d’urgences. Si c’est le médecin qui appelle pour prendre rendez-vous, les délais sont plus courts, surtout lorsqu’il y a suspicion de pathologie grave.

Concernant les rendez-vous chez le médecin, y a-t-il certaines spécialités en souffrance ?

J-M M. : Pour les médecins généralistes, les délais restent raisonnables puisque la moyenne d’attente pour un rendez-vous est de deux jours au niveau national. Néanmoins, certaines spécialités se distinguent par des délais de rendez-vous de plus en plus longs. C’est le cas de la cardiologie, la gynécologie, la rhumatologie, la dermatologie et l’ophtalmologie par exemple.

Les effectifs de spécialistes ont diminué de 7 %, alors que la population augmente et vieillit. La France a gagné 18 millions d’habitants depuis les années 70. Or, c’est précisément en 1972 que le numérus clausus* a été introduit. Cette génération de médecins arrivant à la retraite, leur renouvellement est problématique.

Les différences de délais se ressentent également au niveau géographique, pourquoi ?

J-M M. : En France, les inégalités territoriales par rapport aux délais sont frappantes. Il existe de très grandes disparités entre les départements très urbanisés et ayant un CHU sur leur territoire et les départements ruraux. Le constat est le même entre le nord et le sud de la France. Il y a une sorte de « diagonale du vide », du nord-est à l’intérieur du sud-est du pays.

Tout cela résulte d’un problème d’attractivité général : les médecins sont des citoyens comme les autres ! Pour s’installer, ils ont besoin de structures adaptées, de plateaux techniques et d’une qualité de vie. Ce sont des problématiques d’aménagement du territoire sur lesquelles les médecins n’ont pas beaucoup d’impact. Néanmoins, il me semble qu’ils doivent s’impliquer et prendre des initiatives, et ne pas tout laisser aux élus.

Pourquoi l’ophtalmologie est-elle une spécialité particulièrement touchée ?

J-M M. : Les affections de l’œil doivent toujours être prises en charge par un ophtalmologiste, sauf la conjonctivite banale qui peut être soignée par un généraliste. Or, l’ophtalmologie est une spécialité où les délais sont très longs. La moyenne nationale est de deux mois d’attente, et dans 10 % des cas, on arrive à plus de six mois ! Les témoignages des patients nous le confirment régulièrement.

La raison vient notamment du numérus clausus qui a probablement été trop drastique dans cette spécialité, et les médecins vieillissent. Un exemple parlant : dans les Vosges, 100 % des ophtalmologistes ont plus de 60 ans !

 

 Ophtalmologie : de nombreuses disparités

La densité moyenne est de 6,01 ophtalmologistes pour 100 000 habitants en France. Dans les Alpes-Maritimes, on en compte presque le double (11,4 pour 100 000 habitants) alors que dans des départements ruraux comme les Ardennes (3,5 pour 100 000 habitants) ou le Lot (3,3 pour 100 000 habitants), c’est presque moitié moins !

Source : Chiffres d’octobre 2018 selon les études réalisées par le Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Qu’en est-il de la dermatologie et de la gynécologie ?

J-M M. : La densité de médecins dans ces spécialités est moins importante que pour les ophtalmologistes mais une partie de leurs patients peuvent être vus par les généralistes, voire par les sages-femmes pour les gynécologues. En matière de disparités, les cartes géographiques sont néanmoins très semblables à celles de l’ophtalmologie. On compte par exemple 2,3 dermatologues pour 100 000 habitants dans le département du Nord contre 17 à Paris ! Et en Lozère, ce chiffre tombe à 1,2. Ce qui veut dire qu’il n’y a qu’un seul dermatologue pour tout le département, la Lozère comptant environ 80 000 habitants…

Quelles solutions peut-on envisager pour pallier ces problèmes ?

J-M M. : Il y a le problème du numérus clausus d’abord. Il vient juste d’être supprimé, on peut imaginer que cela va augmenter le nombre d’étudiants en médecine et donc, à terme, de médecins. Or, en réalité, on ne sait pas aujourd’hui combien d’étudiants ayant une licence de santé seront réellement acceptés en médecine. Et il faut également se demander quelle est la capacité des universités à former tous ces jeunes, car on ne passe pas de 5 000 à 15 000 étudiants du jour au lendemain.

Décentraliser la formation, ne plus la laisser aux seuls CHU et envoyer les étudiants se former dans les cabinets pourrait être une piste intéressante pour mieux irriguer les régions. Enfin, une vraie politique en faveur de la prévention et le développement de la télémédecine peuvent aussi être des solutions.

*Fixé chaque année par le gouvernement, le numerus clausus détermine le nombre d’étudiants en médecine pouvant être admis en 2e année dans chaque université.

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