Santé : comment rendre l’accès aux soins plus égalitaire ?

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Par Angélique Pineau

Temps de lecture estimé 8 minute(s)

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© Julien Faure

Déserts médicaux, inégalités sociales de santé, délais d’attentes… L’égalité dans l’accès aux soins est-elle menacée aujourd’hui dans notre pays ? Quatre experts apportent leur éclairage mais aussi des pistes de solutions.

Santé : quelle égalité dans l’accès aux soins ? C’était le thème de l’un des débats qui ont animé les Assises nationales de la citoyenneté, à Rennes les 18 et 19 janvier 2019. Quatre experts du monde de la santé étaient réunis pour tenter de répondre à cette question. Et ils ont abordé différents thèmes qui préoccupent les Français au quotidien.

La France en pénurie de médecins ?

Certaines régions manquent cruellement de médecins et, plus globalement, de professionnels de santé. Comment résoudre ce problème et faire en sorte que certains territoires n’aient plus le sentiment d’être laissés à l’abandon ? Dans son plan « Ma santé 2022 » (lire encadré), le Gouvernement a présenté en septembre 2018 dix mesures. Parmi elles figurait la fin du numerus clausus. Le nombre de diplômés des études de santé (pour devenir médecin, pharmacien, chirurgien-dentiste, sage-femme, infirmier…) est en effet limité en France.

« Quand on regarde les chiffres, notamment le nombre de médecins pour 1 000 habitants par rapport aux autres pays européens, on est à peu près dans la moyenne, rappelle Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique. Donc on ne manque pas réellement de médecins. C’est bien leur répartition sur le territoire français qui pose problème. » Un constat partagé par Alain-Michel Ceretti, président de France Assos Santé (qui représente près de 80 associations d’usagers du système de santé). « En effet, on a suffisamment de médecins en exercice. Simplement, 30 % d’entre eux ne verront jamais de malades : ils partent dans l’industrie, dans les ministères, les agences… C’est une véritable hémorragie. »

Obliger les médecins à s’installer dans les déserts médicaux ?

Certains territoires manquent de médecins mais certaines spécialités sont aussi délaissées par les futurs diplômés. C’est le cas par exemple de l’ophtalmologie ou de la gynécologie. Ce qui conduit à des délais d’attente pour obtenir un rendez-vous qui dépassent parfois plusieurs mois. Alors comment mieux répartir les médecins ?

« On pourrait par exemple les laisser s’installer où ils veulent mais uniquement dans les régions et les spécialités où l’on a besoin d’eux, estime Alain-Michel Ceretti de France Assos Santé. Car contrairement à d’autres pays, comme les États-Unis par exemple, les études de médecine ne sont pas chères en France. On pourrait donc considérer, en contrepartie, qu’ils aient cette contrainte pour les X premières années d’exercice d’un médecin : les 3, 4 ou 5 premières années par exemple. » Car selon ce représentant des usagers, « la liberté totale s’arrête là où commencent les besoins fondamentaux des citoyens. Il faut donc mettre une dose d’obligation car n’en mettre aucune, c’est nous mettre nous – les usagers – dans une situation d’otage absolument inadmissible ».

 

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De gauche à droite : Alain-Michel Ceretti (président de France Assos Santé), Stéphane Junique (président d’Harmonie Mutuelle), Laurent Chambaud (directeur de l’École des hautes études en santé publique) et Jean-Yves Fagon (délégué ministériel à l’innovation en santé).

Débat accès aux soins experts - crédit Julien Faure

Délester les médecins d’une partie de leurs tâches ?

Pour Jean-Yves Fagon, délégué interministériel à l’innovation en santé, la réponse se situe plutôt dans une meilleure répartition des tâches. « Il faut envisager de redistribuer un certain nombre des missions des médecins à des paramédicaux. » Il cite en exemple l’une des mesures annoncées par le Gouvernement : la création d’assistants médicaux (lire encadré), censée faire gagner du temps aux médecins généralistes.

« Le fait qu’il puisse y avoir un partage des tâches avec d’autres professionnels de santé serait une avancée, confirme Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle. Le médecin généraliste doit bien sûr rester le pivot de l’entrée dans le système de santé. Mais pourquoi le pharmacien, par exemple, n’aurait-il pas un rôle plus important dans le premier recours ? Il pourrait être un acteur beaucoup plus précieux qu’il ne l’ait aujourd’hui. L’une des réponses se situe sans doute dans une meilleure articulation entre les responsabilités, les missions de chacun. »

Une solution qui semble faire consensus parmi les experts participant à ce débat sur l’accès aux soins. Pour Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique, « aller de plus en plus vers des équipes soignantes, c’est-à-dire plusieurs professionnels de santé – voire du social – qui travaillent ensemble, c’est améliorer la réponse aux besoins dans les différents territoires. Ce sont des équipes dans lesquelles le partage se fait de façon plus forte et plus naturelle. Mais heureusement on voit déjà ces changements en train de se produire actuellement. »

Parier sur la télémédecine ?

D’autres solutions pour faire face aux déserts médicaux ont été avancées lors de cette table ronde, comme la télémédecine. « Elle peut être une réponse, même si elle ne règle pas la totalité du problème », estime Jean-Yves Fagon, délégué interministériel à l’innovation en santé. « Il y a de vraies expérimentations aujourd’hui avec ces médecins qui travaillent à travers de l’imagerie et un écran qui leur permet de discuter avec un malade situé dans une autre ville, une autre région ». Plus globalement, il faut trouver selon lui « des alternatives à la présence systématique du médecin ».

Pour Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle, les établissements de soins comme les hôpitaux de proximité pourraient peut-être devenir des lieux de référence de la télémédecine. Des initiatives existent également dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) mutualistes. « Car la consultation médicale, qui peut se faire à distance à travers la télémédecine, à travers la consultation avancée de proximité, ne nécessite pas nécessairement de plateaux techniques lourds. »

Comment lutter contre les inégalités sociales de santé ?

Tous les experts présents ont dénoncé la réalité des inégalités territoriales. Mais il en est une autre qu’il ne faut pas négliger selon eux : les inégalités sociales de santé. « Si on regarde l’obésité chez les enfants en CM2, elle touche 6 % des enfants d’ouvriers contre seulement 1 % des enfants de cadres. Et ce n’est pas la médecine qui peut régler ça, estime Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique. Or, si on développe des problèmes de santé dès l’enfance, cela peut entraîner des maladies chroniques à l’âge adulte. Et on voit bien qu’elles explosent à l’heure actuelle. »

Pour Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle, les inégalités sociales de santé sont en effet criantes dans notre pays. « Nous ne sommes pas tous égaux devant le renoncement aux soins. Il y a un problème d’accessibilité financière aujourd’hui à la santé. Et certaines maladies sont en effet de vraies pathologies de la pauvreté, comme l’obésité des enfants. Ce qui revient à dire que la prise en charge en matière de prévention ne permet pas de lutter suffisamment contre ces inégalités. Il est donc nécessaire de faire conscience à d’autres acteurs, comme des acteurs associatifs, mutualistes… » Stéphane Junique a ainsi rappelé que les mutuelles n’étaient pas que des « rembourseurs de soins », mais également des « offreurs de soins » (à travers leurs cliniques, leurs EHPAD…) et aussi des acteurs de prévention. « Chez Harmonie Mutuelle, plus de 4 000 actions sont engagées chaque année dans les territoires, avec des associations et des collectivités territoriales. » Apportant ainsi sa pierre à l’édifice pour lutter contre ces inégalités.

« Ma santé 2022 » : la réforme du gouvernement

Le Président de la République a présenté en septembre 2018 son projet de réforme globale du système de santé. Baptisée « Ma santé 2022 », elle se fixe trois objectifs ambitieux :

  • favoriser la qualité et replacer le patient au cœur du soin,
  • organiser l’articulation entre médecine de ville, médico-social et hôpital pour mieux répondre aux besoins de soins en proximité,
  • adapter les métiers et les formations des professionnels de santé aux enjeux de la santé de demain.

La réforme comporte dix mesures phares. Parmi lesquelles : le développement d’assistants médicaux auprès de certains médecins libéraux, la suppression du numerus clausus et la refonte des premiers cycles des études en santé, la création de financements au forfait pour la prise en charge à l’hôpital des pathologies chroniques, le déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou encore la labellisation d’« hôpitaux de proximité ».

Pour en savoir plus, lire notre article : Les objectifs de la réforme Ma santé 2022.

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