Santé mentale : « Il y a une vraie nécessité de formation et de recrutement en psychiatrie »

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Par Charlotte de l'Escale

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Cela fait quelques années que la psychiatrie française alerte sur la crise qu’elle traverse. Celle-ci est encore plus criante du fait de la crise liée au Covid, qui génère de nombreux troubles psychiques parmi la population. Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes, explique que de nombreux Français n’ont pas accès aux soins psychiques dont ils ont besoin. Et donne des clés pour résoudre ce problème.

Rachel Bocher est psychiatre au CHU de Nantes. Elle est également la présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Elle explique que le dispositif psychiatrique français traverse une crise majeure, aggravée par la crise du Covid et l’augmentation du nombre de patients atteints de troubles psychiques qui en découle. Du remboursement des psychologues à la mise en place d’une loi-cadre sur la psychiatrie, le Dr Bocher propose des solutions pour éviter une situation qui s’annonce très tendue.

Comment sont organisés les soins psychiques en France ?

Rachel Bocher : Il y a d’un côté l’hôpital et le secteur de la psychiatrie publics, et de l’autre le secteur libéral. A l’hôpital public, il y a de grosses disparités. Si vous êtes dans une grande ville comme Nantes, avec un hôpital où tous les postes de médecin sont occupés, vous aurez la possibilité d’accéder aux consultations psychiatriques dans un délai raisonnable, même dans le contexte du Covid. Mais dès que l’on s’éloigne des métropoles, on déplore une désertification médicale qui impose des délais de rendez-vous qui varient de six mois à un an, notamment en pédopsychiatrie. Ceci est  lié à l’absence d’équipes suffisamment étoffées et formées à un rythme soutenu.

Dans le public, on a le problème d’une augmentation du nombre de patients actuellement, en période de Covid. Ensuite, vient le secteur libéral, dans lequel les praticiens choisissent pour la plupart un exercice en secteur 2 (ils fixent eux-mêmes leurs honoraires), et choisissent de fait leurs patients par un tri financier. Et avec la précarisation engendrée par cette pandémie, le nombre de personnes ne pouvant plus payer le secteur 2 a considérablement augmenté. Une telle situation ne permet pas de répondre aux besoins de la population.

« Les jeunes vont mal »

Y a-t-il un manque de personnels psy ?

R.B. : Il y a 3 000 psychiatres en exercice et 1 000 postes vacants, dans le secteur public. De plus, hélas, la moyenne d’âge des psychiatres publics est maintenant autour de 55 ans. Donc, dans les dix ans à venir, avec les départs à la retraite, il y a une urgente nécessité de formation et de recrutement.

Il faudrait une loi-cadre. Maintenant. On définirait les missions, les moyens humains et financiers à mobiliser, on déterminerait des parcours de soins lisibles par tous. En psychiatrie, tout est évidemment lié aux personnels, médicaux et paramédicaux. Ce que font les psychiatres, les psychologues, les infirmiers, les ergothérapeutes, les assistants sociaux est peu connu par le grand public… Ce qui est intolérable dans un grand pays, c’est la disparité entre les territoires. Il vaut mieux habiter à Paris ou à Nantes qu’en Basse-Normandie, qu’au centre de la France, ou encore que du côté de la ville de Maubeuge où le dernier psychiatre vient d’enlever sa plaque. Alors est-ce pour autant une fatalité ? Avec les moyens alloués, une volonté politique, on peut développer un dispositif d’urgence à court terme, mais également des solutions à moyen terme. Il n’y a pas de santé globale sans santé mentale.

Que pensez-vous du fait que les consultations de psychologues ne soient pas remboursées ?

R.B. : J’ai toujours été favorable au remboursement des consultations des psychologues. Cela permettra de rendre plus accessible la consultation de première intention et cela permettrait de fluidifier les parcours.

Aujourd’hui, on voit beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes. Avec le Covid, il y a une accumulation des difficultés économiques, sociales, familiales, universitaires… Donc les jeunes vont mal, c’est un fait aujourd’hui reconnu, ils sont en manque de repères et n’ont pas ou plus les moyens de se faire prendre en charge comme il se devrait.

« Une augmentation des troubles mentaux d’environ 30% »

Dans le cadre de la crise liée au Covid, on parle d’une troisième vague psychiatrique…

R.B. : Il est urgent d’agir. Dans le contexte de la pandémie, on constate une augmentation des troubles mentaux d’environ 30%. Que va-t-il se passer dans trois ou six mois, sachant que la crise n’est pas terminée ? Même si le vaccin arrive, les choses continueront à être difficiles pendant plusieurs mois aux niveaux social, économique, psycho-affectif… Les indispensables liens sociaux et de convivialité ne seront pas rétablis. Cela signifie qu’il n’y aura pas de repérage précoce, pas de prise en charge engagée, et donc les décompensations vont arriver sur un temps long. Les difficultés sont devant nous.

Qu’en est-il des enfants ?

R.B. : Il y a là un besoin criant, car les plus jeunes font partie des populations vulnérables. Les parents sont en grande difficulté. Les enfants sont affectés non seulement par la situation de crise, mais aussi par les difficultés de leurs parents et par les problématiques psychologiques, parce qu’ils sont en plein développement psycho-affectif. Malheureusement, il est à craindre que les séquelles soient être durables. Il faudra aussi être extrêmement vigilants concernant les personnes âgées.

Par Charlotte de l'Escale

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