Julie Dachez fait entendre la voix des autistes Asperger

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Par Cécile Fratellini

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© Carryl Bertet

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Docteure en psychologie sociale, Julie Dachez, diagnostiquée autiste Asperger à 27 ans, donne la parole aux personnes autistes dans son livre « Dans ta bulle ». Rencontre.

Pour vous, l’autisme n’est pas une maladie mais une différence de fonctionnement. Comment alors accompagner les personnes autistes ?

Julie Dachez : L’accompagnement, c’est compliqué. Il n’y a pas une technique qui fonctionne pour toutes les personnes autistes. Chaque cas est différent. Aujourd’hui, l’idée est de faire du sur-mesure, de la « haute couture ». Mais on manque de moyens pour le faire.

Il y a une question essentielle à se poser : est-ce que ce que l’on met en place, on le fait vraiment pour favoriser l’autonomie de la personne ? Ou est-ce qu’on le fait pour essayer de la normaliser pour le confort des non-autistes ? La motivation détermine tout.

Si l’idée, c’est de favoriser l’épanouissement et l’autonomie de la personne, on prendra toujours en compte ses besoins. On va coconstruire avec elle un projet qui lui convient. Tandis que si on calque nos propres fantasmes sur cette personne en se disant que c’est important par exemple qu’elle arrête de faire un tour sur elle-même avant de sortir d’une pièce parce qu’elle sera stigmatisée toute sa vie, alors on lui imposera quelque chose qui la fera souffrir.

La scolarisation des enfants autistes en milieu ordinaire est encore faible. La stratégie 2018-2022 annoncée par le gouvernement prévoit de la généraliser. Qu’en pensez-vous ?

J.D. : C’est indispensable que les enfants autistes, et pas qu’eux d’ailleurs, puissent aller à l’école. Il faut qu’ils soient en contact avec les autres enfants et qu’ils apprennent avec eux. C’est bien que cela soit affiché mais il faut mettre les moyens. Si on ne permet pas aux enseignants d’aider ces enfants et s’il y a une seule maîtresse pour 30, on court à la catastrophe. Pour favoriser l’apprentissage, l’enfant doit se sentir à l’aise et en confiance. Si on est toujours derrière lui en lui disant : « Ne secoue pas tes mains », « regarde-moi dans les yeux », c’est infernal.

J’aime prendre l’exemple de l’Italie où, depuis la fin des années 70, tous les enfants, quelle que soit leur situation de handicap, vont à l’école ordinaire. L’enseignante référente et une autre enseignante formée à toutes les formes de handicap sont présentes.

A lire aussi notre reportage à Albi: Quand l’autisme trouve sa place à l’école

Des unités d’enseignement autisme existent en maternelle. Avec seulement sept enfants par classe. Exemple à Albi.

Le projet d’université « Aspie-friendly » vous réjouit ?

J.D. : C’est un très beau projet qui fédère 16 universités et qui est porté le Pr Bertrand Monthubert de l’université de Toulouse. Objectif ? Favoriser l’intégration des personnes autistes sans déficience intellectuelle à l’université. L’idée est d’aider la personne à être autonome dans la vie de tous les jours : trouver un logement, faire ses courses… Car on sait que si elle s’inscrit à l’université mais qu’à côté, elle n’arrive pas à gérer ses repas ou son loyer, elle va être en échec. Autre volet de ce projet : refonder la façon de dispenser les cours. On sait que les personnes autistes Asperger sont spécialistes très tôt de leur sujet et qu’elles s’ennuient quand elles arrivent à l’université car dans les premières années, les cours sont très généralistes. L’idée est donc de repenser les contenus et de permettre aux personnes autistes d’accéder très vite à un contenu expert. L’enseignement à distance pourrait aussi être proposé. Les enseignants et le personnel administratif seront formés à l’autisme. L’expérimentation devrait commencer à la rentrée de septembre 2018 dans une filière maths- info à Toulouse.

Existe-t-il des projets de ce type dans d’autres domaines ?

J.D. : Oui dans le domaine de la santé par exemple. Le programme Simuted a été mis en place au CHU d’Amiens depuis février 2018. Ainsi les personnes autistes peuvent se familiariser avec le milieu de l’hôpital. Au sein de l’espace SimUsanté, qui est un outil pédagogique pour les étudiants et les professionnels de santé, il y a une vraie salle d’attente, un scanner, des chambres… C’est comme un véritable hôpital. Ainsi, des enfants autistes ont pu récemment se familiariser avec le scanner. Car quand on va à l’hôpital, il faut aller vite et pour une personne autiste qui est très sensible, ça peut être compliqué. Cet outil permet de vraies séances préparatoires pour l’accès aux soins.

Les témoignages de votre livre «Dans ta bulle»* montrent que les personnes autistes Asperger ont encore du mal à trouver leur place dans le monde du travail.

J.D. : C’est compliqué pour les autistes invisibles, on a l’air tellement comme tout le monde. On donne l’impression de s’adapter facilement. Alors quand on demande un bureau seul pour éviter de travailler en open space, cela parait du luxe. On oublie que la personne a des difficultés car celles-ci ne se voient pas. Je suis d’ailleurs en train de me lancer en tant que formatrice pour aller une journée en entreprise expliquer ce qu’est l’autisme et faire ainsi diminuer l’angoisse des managers. Il faut déconstruire les croyances autour de l’autisme et expliquer concrètement comment aménager un poste de travail pour une personne autiste, comment lui permettre de mieux communiquer avec l’équipe, comment modifier le parcours de recrutement pour lui donner toutes ces chances. Ce n’est pas compliqué à mettre en place : aménagement des horaires, privilégier les consignes écrites, favoriser le télétravail… C’est une remise en question du rapport au travail.

Dans son livre « Dans ta bulle » paru en mars 2018, Julie Dachez part à la rencontre de personnes autistes. Elle leur donne la parole. Ils expliquent leur histoire, leur parcours, leurs difficultés… Les témoignages de Gabriel, Pauline, Fanny et Thomas sont entrecoupés de « savoirs académiques ».

* « Dans ta bulle », éditions Marabout, 252 pages, 17,90 €.

 

Beaucoup de personnes autistes Asperger restent dans l’ombre et ne le disent pas. Comment l’expliquez-vous ?

J.D. : C’est compliqué d’assumer d’être autiste surtout dans les milieux élitistes de l’art, de la politique… Les personnes autistes se disent qu’elles vont être stigmatisées. Évidemment, c’est dramatique, mais on en est là. Et c’est dur de ne pas être tout à fait soi-même et de faire attention à ce que l’on peut dire ou pas, être dans le contrôle en permanence. Mais en annonçant ouvertement son autisme, il y a tellement de choses à perdre. La personne préfère rester dans cet inconfort interne pour préserver son job et sa réputation. Ça se comprend complètement.

Dans votre livre, vous dites que le Parlement de Londres a sur son site un guide pour les personnes autistes avec des conseils pratiques. Vous en rêvez en France ?

J.D. : Ce serait génial. Aujourd’hui, c’est le système D, on se refile les bons tuyaux entre nous. On s’entraide spontanément, c’est-à-dire que l’on conseille des endroits qui ne sont pas agressifs sensoriellement, où l’on peut s’isoler, des lieux où il y a une personne ressource qui est sensibilisée à l’autisme et qui en cas de souci peut nous aider. Ce sont des endroits « Aspie friendly » comme on les appelle.

Vous n’avez jamais souffert d’être autiste mais plutôt du regard posé par la société. Les choses évoluent-elles positivement ?

J.D. : Ce sont deux choses compliquées : la question du regard et la question de l’égalité des droits. Il faut avancer sur ses deux questions en parallèle. Oui, c’est difficile d’être regardé de travers et d’entendre les préjugés. Mais c’est aussi difficile de ne pas avoir les mêmes droits que tout le monde c’est-à-dire de ne pas pouvoir aller à l’école, de ne pas avoir de travail… Les deux vont ensemble. On change le regard et du coup, on nous accorde plus de droits. Et comme on nous accorde plus de droits, le regard de la société change. Tout cela avance… doucement.

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