ARN messager : un espoir pour d'autres pathologies

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Par Émilie Gilmer

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La pandémie de Covid-19 a permis d’accélérer la recherche pour cette innovation thérapeutique. Avec l’ARN messager, un espoir se lève pour traiter certains cancers (peau, sein, prostate) et d’autres maladies infectieuses (VIH, Ebola). Décryptage.

Voici enfin un effet positif de la crise sanitaire liée au Covid-19 ! Grâce à la mise sur le marché des vaccins à ARN messager (Pfizer et Moderna), cette technologie innovante – qui n’avait été utilisée jusqu’ici que dans le cadre d’essais cliniques – a pu démontrer son efficacité.

« L’idée d’utiliser des molécules d’ARN à visée médicale remonte aux années 1990 », rappelle la Ligue contre le cancer. Mais pendant de longues années, la recherche autour des ARN est demeurée confidentielle, voire marginalisée par le monde scientifique.

Chantal Pichon, chercheuse au centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans, travaille depuis plus de quinze ans sur l'ARN messager. « Pendant longtemps, il était assez difficile d’obtenir des financements pour nos recherches, confirme-t-elle. Ainsi, et contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le « Big Pharma » qui a porté cette technologie, mais bien quelques start-up de biotechnologie qui ont toujours cru en son potentiel et qui se sont acharnées durant des années pour la crédibiliser. »

ARN messager : pourquoi c’est innovant ?

La vaccination « classique » consiste à « administrer à un individu en bonne santé une forme atténuée ou inactivée d’un agent infectieux, avec pour objectif de déclencher une réaction immunitaire », comme le rappelle l’Inserm.

Dans le cas de l’ARN messager (pour Acides RiboNucléiques Messagers), le principe est tout autre. « Il s’agit d’apporter un message à nos cellules – la copie synthétique du gène du virus – qui va « coder » une protéine (la fameuse protéine Spike) pour entraîner sa fabrication, explique Chantal Pichon. Identifiant cette protéine comme étrangère, notre organisme va alors produire des anticorps afin de la neutraliser. »

Précision importante : une fois que la protéine est « exprimée », l’ARN messager est détruit et éliminé de l’organisme en trois jours maximum. « Dire que l’ARN messager du vaccin contre le Covid-19 peut pénétrer notre génome pour le modifier est complètement faux, précise l’experte. Tout simplement parce que cet ARN messager ne peut pas être rétrotranscrit en ADN. Autrement dit, il est incapable de rentrer dans le noyau de la cellule. »

L’ARN messager : un coup de pouce pour les défenses immunitaires

Plus rapide à fabriquer qu’un vaccin inactivé, cette technologie suscite aujourd’hui de grands espoirs dans différents domaines.

« Ce qui est intéressant, c’est que ces vaccins ARN messager peuvent servir à des fins très différentes, indique Bruno Pitard, directeur de recherche en cancérologie et immunologie au CNRS de Nantes et fondateur de la start-up nantaise In-Cell-Art. On peut les utiliser pour coder des protéines présentes dans les virus ou dans les bactéries, pour produire des vaccins prophylactiques (préventifs), pour des traitements à base d’anticorps contre le COVID-19 et pour mettre au point un contraceptif non-hormonal – comme In-Cell-Art est en train de le faire avec le soutien respectivement de l’agence américaine DARPA et la fondation Bill Gates. Mais on peut aussi les utiliser pour produire des vaccins thérapeutiques (curatifs), par exemple pour cibler les protéines tumorales dans le cadre d’un cancer. »

Avec toutefois une difficulté supplémentaire. « Dans la plupart des cancers, les protéines modifiées à l’origine de la maladie diffèrent d’un patient à l’autre, indique Chantal Pichon. Cela signifie qu’il est nécessaire de mettre au point un traitement personnalisé pour chaque patient, via l’analyse de sa biopsie. » Les mutations qui se sont opérées au sein des cellules sont alors identifiées et des ARN messager sont fabriqués pour coder ces protéines modifiées. En les réinjectant au patient, on aide son système immunitaire à les reconnaître et à éliminer les cellules cancéreuses qui les expriment.

Des vaccins à ARN messager contre le cancer d’ici cinq à dix ans

Des chercheurs travaillent actuellement sur différents types de cancers : le cancer du sein triple négatif, du col de l’utérus, de la prostate et du pancréas, le cancer tête et cou. Certains bénéficient déjà d’essais cliniques. C’est le cas du cancer de la peau pour lequel les recherches sont les plus avancées : la société allemande BioNTech (partenaire de Pfizer) est entrée dans la phase II d’un essai clinique. Au total, 120 patients atteints d’un mélanome à un stade avancé participent à l’étude.

« Il est difficile d’anticiper l’avenir mais compte tenu du foisonnement actuel en termes d’études, on peut raisonnablement penser que des vaccins contre le cancer seront mis sur le marché d’ici cinq à dix ans », remarque Chantal Pichon.

Reste un défi à relever : aider les ARN messager à gagner en efficacité pour amplifier la réponse immunitaire. À Toulouse, la société Flash Therapeutics fait aussi du cancer l’une de ses cibles privilégiées. Sa technologie propriétaire LentiFlash brevetée en 2005 possède pour cela une arme intéressante. Contrairement aux ARN messager de Pfizer et Moderna qui utilisent un emballage chimique (le liposome), l’ARN messager Lentiflash possède, lui, un emballage bioproduit (c’est-à-dire issu de cellules humaines).

« Cette technologie spécifique permet d’améliorer la pénétration de l’ARN messager dans la cellule, explique Pascale Bouillé, fondatrice et présidente de la start-up toulousaine. Cela est intéressant dans le cadre de certaines pathologies – dont le cancer – qui ont besoin d’une réponse massive en termes d’anticorps. »

Quelles sont les pathologies concernées ?

Mais au-delà du cancer, d’autres pathologies font aujourd’hui l’objet de recherches :

Les maladies infectieuses telles que les virus Ebola, le Chikungunya et Zika. Mais aussi le virus du Sida, pour lequel Moderna a annoncé en août 2021 le lancement d’un essai clinique.

Les maladies auto-immunes, à l’instar de la sclérose en plaques. « Les créateurs de BioNTech – Uğur Şahin et Ozlem Türeci – conduisent des recherches très intéressantes dans ce sens », indique la chercheuse Chantal Pichon.

Les maladies génétiques comme la mucoviscidose.

Les pathologies cardiaques, où les ARN messager pourraient servir à réparer des tissus vasculaires.

Une condition demeure toutefois pour accélérer l’innovation : un rapprochement toujours plus grand entre scientifiques et cliniciens. Pour Pascale Bouillé, présidente de Flash Therapeutics, le message est clair : « Seule une coopération renforcée permettra d’aller plus vite vers les essais cliniques. »

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