Des venins pour soigner ?

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Par Pauline Hervé

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Les toxines produites par les espèces animales venimeuses peuvent servir de bases au développement de médicaments contre la douleur, le diabète ou les maladies cardiovasculaires. Explications.

Vous avez en horreur les petites et grosses bestioles ? Pourtant, vous êtes peut-être déjà soigné sans le savoir grâce aux venins (d’un serpent, d’un lézard…) ou le serez dans les décennies à venir. Plus de 173 000 espèces animales venimeuses existent sur la planète et elles constituent un formidable réservoir pour la recherche médicale.

Les venins : des substances complexes

L’explication se trouve dans la composition des venins, des substances très complexes faites de centaines de différentes toxines. Chacune d’entre elles a un effet très puissant et précis sur une fonction ou un organe de la proie visée. C’est ce qui donne l’efficacité du venin. Or ce qui tue ou blesse si efficacement peut aussi soigner.

« La première découverte sur un possible effet thérapeutique date des années 1970, relate Denis Servent, responsable du Laboratoire Toxines, récepteurs et canaux ioniques au centre CEA de Saclay. Des chercheurs brésiliens avaient remarqué que les personnes mordues par un serpent particulier faisaient toutes d’importantes chutes de tension. Ils se sont penchés sur la composition de son venin pour isoler la molécule en cause. Celle-ci a permis, ensuite, de concevoir un médicament anti-hypertenseur : le Captopril. Aujourd’hui, un grand nombre des malades traités pour hypertension le sont avec un remède de cette famille. »

Une « ferme à venins » en Belgique

Alphabiotoxine n’est pas une entreprise comme les autres. Dans ses murs, en Belgique, on élève plus de 300 « petits pensionnaires » avec le plus grand soin pour collecter… leur venin. Il est complexe et long de recueillir en pleine nature les venins de certaines espèces. Dans les entreprises comme celle-ci, serpents, araignées, scolopendres sont « traits » régulièrement pour leur précieux venin. Celui-ci servira de matière première à la recherche fondamentale sur les pouvoirs thérapeutiques des toxines de venin.

Neutraliser l’effet toxique

Isoler la molécule active du venin, en neutraliser les éventuels effets toxiques et utiliser son effet contre un symptôme précis : c’est ainsi que la toxine peut devenir un médicament. « Les toxines des venins font d’excellents candidats pour de futurs médicaments, ajoute Denis Servent, grâce à leur forte affinité (l’action directe qu’elles ont sur les récepteurs, enzymes ou canaux ioniques de l’organisme) et leur grande sélectivité (elles bloquent un récepteur précis et pas l’autre, ce qui évite les effets secondaires). » Or affinité et réceptivité sont les critères fondamentaux pour une molécule médicamenteuse innovante.

On estime qu’il existe, parmi toutes les espèces venimeuses sur la planète, des dizaines de millions de toxines différentes. À l’heure actuelle, la science en a identifié quelques milliers seulement. Les avancées récentes de la recherche sont liées aux progrès de la technologie (imagerie, technologies de l’information appliquées à la biologie…) qui permettent aujourd’hui d’observer, séquencer, isoler puis synthétiser les différentes toxines qui composent les venins.

Des médicaments à base de venins déjà sur le marché

Une dizaine de molécules issues des venins sont déjà sur le marché. Le Tirofiban, élaboré à partir de venin de serpent, aide à prévenir les risques d’infarctus du myocarde. La salive du monstre de Gila, un lézard, a permis de créer un traitement contre le diabète de type 2. Le venin du cône de mer, un petit mollusque, a donné naissance à un antidouleur hyperpuissant, administré aux patients pour qui la morphine ne suffit plus.

Aucun de ces médicaments n’est fait directement à partir du venin : les quantités produites par certains animaux sont trop infimes et les laboratoires ne travaillent que sur des molécules de synthèse, qui reproduisent la toxine sans ses effets délétères.

Contre la douleur, le diabète, les maladies cardiovasculaires

Les recherches actuelles sur d’autres venins en sont au stade fondamental et les délais pour mettre une molécule sur le marché du médicament sont longs : 15 à 20 ans en général. Mais les découvertes sont prometteuses dans différents domaines : lutte contre la douleur avec des molécules plus puissantes que les opioïdes, lutte contre le diabète, contre les maladies cardiovasculaires, contre certaines maladies auto-immunes, des maladies rénales… Des équipes australiennes sont aussi très avancées dans l’élaboration d’un insecticide à base de venin d’araignées qui pourrait remplacer les produits à base de néonicotinoïdes dangereux pour l’environnement et pour la santé humaine.

Les espèces animales venimeuses et leurs précieuses toxines pourraient donc bien constituer une « trousse à pharmacie » du futur à l’échelle de la planète. C’est l’occasion, s’il en était besoin, de rappeler à quel point la biodiversité des espèces est précieuse à l’espèce humaine et à sa santé.

Une banque européenne de toxines

Le projet scientifique Venomics, lancé en 2011 et soutenu par l’Union européenne, s’est donné pour but unique au monde de recueillir et analyser le venin de 200 espèces animales. À partir de ces données naturelles, les scientifiques vont synthétiser 4 000 peptides, les molécules qui constituent les toxines, afin de pouvoir tester ensuite leurs effets sur certaines pathologies (maladies cardiovasculaires et diabète, notamment) et faire avancer la recherche vers des traitements. Cela fait de Venomics la plus grande banque de toxines de synthèse au monde.

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