Intubés, alités, parfois paralysés… Les patients hospitalisés en réanimation sont, du fait de leurs pathologies, très souvent dans l’incapacité de s’exprimer. « Nos patients intubés ne peuvent pas parler car la sonde est placée entre leurs cordes vocales, explique Laëtitia Bodet-Contentin, médecin réanimateur au CHU de Tours. Et écrire leur est souvent compliqué car ils peuvent souffrir d’œdèmes ou être paralysés.». La communication est donc très difficile. « C’est très frustrant pour tous. Pour les patients bien sûr, mais aussi pour leurs proches et les soignants. »
En janvier 2015, lors d’une discussion avec un collègue psychiatre, le docteur Bodet-Contentin découvre le principe de l’eye-tracking, utilisé en psychiatrie dans le cadre du dépistage des troubles autistiques chez les très jeunes enfants. « On s’est alors dit que ce système pourrait être indiqué pour améliorer la communication avec nos patients intubés. Nous avons donc essayé de l’adapter à nos besoins spécifiques. »
Le dispositif d’eye-tracking se compose d’un ordinateur ou d’une tablette, équipés d’une caméra infrarouge qui se fixe via un port USB. Cette caméra analyse le suivi du regard et enregistre les mouvements oculaires du patient. « Grâce à un logiciel de communication spécialement développé pour cela, nous pouvons alors « dialoguer » avec le patient, qui dirige son regard vers des icônes comportant des messages très clairs comme « j’ai faim » ou « j’ai mal ». Il a également accès à un clavier qui s’utilise avec les yeux. » Ce système a été entièrement adapté par le service de réanimation du CHU de Tours en collaboration avec la société développant l’outil.
Le CHU de Tours a fait ses premiers essais auprès des patients en juin 2015. « C’est formidable quand ça fonctionne, car cela change complètement la communication avec le patient. Certaines familles se sont entièrement approprié l’outil, y compris en l’absence de soignant. Quant au premier patient qui l’a utilisé, ses premiers mots par eye-tracking ont été « je vous aime » et « vous êtes formidables ». Il est même revenu dans le service une fois rétabli afin de nous aider à faire certains paramétrages. »
Fort de ce bilan, le CHU de Tours a présenté ses résultats lors de congrès médicaux où l’outil a suscité un bel enthousiasme. Depuis, plusieurs autres hôpitaux français (Bourg-en Bresse, Brest, Marseille…) s’en sont équipés.
Les principales limites d’un tel dispositif concernent notamment son financement. « Nos 10 systèmes avec support sur-mesure ont été fournis par une fondation », détaille Laëtitia Bodet-Contentin. À Brest, où le CHU s’est équipé de cet outil en juin 2020, les trois systèmes complets d’eye-tracking ont été pris en charge par le fonds de dotation de l’hôpital. « Tous les équipements dans les hôpitaux français ont a priori été payés par des donateurs privés. »
Le temps passé à développer l’eye-tracking est un autre frein. Les équipes médicales et paramédicales du CHU de Tours ont en effet consacré de nombreuses heures à l’outil afin de le développer, se l’approprier et l’améliorer. « Mais le bilan reste très positif ! », rappelle le docteur Bodet-Contentin.
À terme, l’équipe aimerait que les patients puissent aller sur internet, un de leurs seuls liens avec l’extérieur.