Vaccin à ARN messager : un espoir pour le traitement des cancers ?

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Par Peggy Cardin-Changizi

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Révélée au grand public dans le cadre des vaccins contre le Covid-19, la technique de l'ARN messager (ou ARNm) promet d’autres avancées thérapeutiques innovantes, notamment dans la lutte contre certains cancers. De très nombreux projets de recherche et d’essais cliniques sont aujourd’hui en cours.

Difficile aujourd’hui, après deux ans de pandémie, de ne pas avoir entendu parler de l’ARN messager cette copie de l’ADN, naturellement présente dans notre organisme, qui permet la synthèse de protéines au sein des cellules. Si cette technologie d’immunisation s’est récemment fait connaître du grand public grâce aux vaccins contre le Covid-19, sa découverte remonte au début des années 60. Plusieurs chercheurs de l'institut Pasteur ont joué un rôle majeur dont François Jacob et Jacques Monod qui partageront avec André Lwoff le prix Nobel de médecine en 1965.

L’ARN messager : une technique longtemps boudée par les investisseurs

L’idée d’utiliser des molécules d’ARNm à visée médicale date des années 1990, et revient de nouveau à des équipes françaises. « Les premières preuves de l’efficacité d’un vaccin ARNm synthétique ont été démontrées en 1993 par le Français Pierre Meulien avec une réponse immunitaire contre le virus de la grippe chez des souris », a rappelé le Dr Steve Pascolo, immunologiste à l’hôpital universitaire de Zurich (Suisse) et co-fondateur du laboratoire CureVac, à l’occasion du colloque scientifique annuel du Comité de Paris de la Ligue contre le cancer, consacré cette année au thème « Vaccins & Cancers ».

En 1995, une équipe américaine a utilisé de l’ARNm pour réaliser des vaccins contre les cancers, toujours chez des souris. Et en 2010, une équipe franco-allemande publie le premier essai clinique d’un ARN médicament contre le mélanome cutané cette fois-ci chez l’homme. « Pendant longtemps, les vaccins à base d’ARNm ont été considérés comme les vilains petits canards de la vaccination et délaissés par les investisseurs, voire par le monde académique. Il faudra attendre 2020 pour voir l’approbation du premier vaccin synthétique à base d’ARNm, celui de BioNTech-Pfizer, contre le Covid-19 ». Il faut dire que jusqu’à des avancées technologiques récentes, il n’était pas facile d’utiliser les ARN messagers in vivo car en l’absence de protection, ils sont rapidement détruits dans le corps par des enzymes spécifiques.

Stimuler le système immunitaire du patient

Beaucoup d’espoirs sont désormais placés dans cette technologie pour faire avancer la prise en charge du cancer et progresser le traitement de la maladie. « De nombreux programmes de vaccins anticancer sont en cours de développement chez les deux leaders industriels du secteur, BioNTech et Moderna, ajoute le Dr Pascolo. Certains contre le mélanome, les cancers ORL ou colorectaux, pour lesquels les recherches sont les plus avancées, sont d’ailleurs en phase 2 de la procédure d’essais cliniques ».

À la différence des vaccins contre le Covid-19, les vaccins contre les cancers sont à visée thérapeutique. Ils ne cherchent pas à prévenir mais à soigner la maladie. L’objectif est de créer une immunothérapie : l’injection va cibler des antigènes spécifiquement tumoraux (liés à la tumeur) donc étrangers au patient normal, afin de déclencher une réponse immunitaire forte et précise contre le cancer. « On observe déjà des résultats intéressants sur le mélanome ou le cancer du poumon », reconnaît le Dr Pascolo.

Un vaccin « sur-mesure »

Autres atouts de cette technologie : la flexibilité pour adapter le « vaccin » à des mutations spécifiques de la tumeur et la rapidité de fabrication des vaccins. « Plusieurs essais cliniques ont été menés avec des vaccins totalement personnalisés à chaque patient, complète le spécialiste. Grâce à l’analyse moléculaire de la biopsie de sa tumeur, on pourra identifier ses mutations spécifiques afin de pouvoir fabriquer un ou plusieurs ARNm dans le but faire produire par le patient les protéines mutées spécifiques de ces mutations et d'activer ainsi une réponse immunitaire ». La logistique de ces essais est toutefois lourde et coûteuse. La Ligue contre le cancer a voulu encourager cette recherche très prometteuse en finançant 6 projets, pour un montant de 2,3 millions d’euros.

L’ARNm : un outil innovant pour cibler les cellules cancéreuses

Des ARNm synthétiques peuvent aussi être utilisés en thérapie contre les cancers. « On peut utiliser de l’ARNm, cette fois modifié, pour que le corps produise lui-même ses anticorps, précise le Dr Steve Pascolo. Cette technique est aussi utilisée par BioNTech dans le cadre d’essais cliniques. Les chercheurs du laboratoire ont déjà démontré, chez la souris, qu’une injection, en intraveineuse, d’ARNm encapsulé dans un liposome* qui est fait pour aller dans le foie, induisait une réponse immunitaire du foie (anticorps) contre le cancer du foie ».

Il existe d’autres formes d’ARN que l’ARN messager et on peut distinguer trois grandes catégories d’ARN médicaments, rappelle la Ligue contre le Cancer :

  • ceux qui bloquent l’expression d’un gène particulier (ARN « anti-sens »),
  • ceux qui ciblent une protéine et entravent son activité,
  • ceux qui apportent aux cellules les informations nécessaires à la production d’une protéine particulière (c’est le cas des vaccins à ARN anti-Covid-19).

Aujourd’hui, ces différents modes d’actions basés sur l’ARN constituent des armes anticancers polyvalentes capables d’attaquer les cellules tumorales sur plusieurs fronts.

On dénombre actuellement plusieurs dizaines d’essais précliniques et cliniques (phases 1 et 2) d’ARN médicaments. On peut donc espérer que les ARN messagers synthétiques puissent bientôt apporter de nouvelles solutions pour guérir certains cancers.

*liposome : minuscule gouttelette de graisse qui imite les membranes de nos cellules

Par Peggy Cardin-Changizi

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