Jean-Luc Romero-Michel : « C’est le moment de se poser les questions de la fin de vie et de son accompagnement »

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Par Estelle Hersaint

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© Simon Escalon - admd

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Alors que le débat sur la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté est relancé en France, le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (admd), Jean-Luc Romero-Michel milite depuis bientôt quinze ans pour que chaque Français puisse choisir les conditions de sa fin de vie.

Le 11 mars 2021, le Sénat rejetait une proposition de loi visant à reconnaître le droit à bénéficier du suicide assisté et de l’euthanasie. 

Pourtant, face aux nombreux décès dus au Covid-19 ou encore à la légalisation récente de l’euthanasie en Espagne, il est temps, selon Jean-Luc Romero-Michel que la France avance sur ces questions.

Vous êtes le président de ladmd, une association qui œuvre à ce que chacun puisse choisir les conditions de sa fin de vie. Est-ce que cela signifie qu’on na pas le choix en France ?

Jean-Luc Romero-Michel : Tout à fait, en France, on ne choisit pas les conditions de sa fin de vie. On entend souvent « l’admd est pour l’euthanasie ». Je ne suis pas un militant de l’euthanasie, mais un militant du choix. Puisqu’on ne choisit pas de naître, j’aimerais qu’on puisse choisir le moment et la manière de mourir lorsqu’on est arrivé au bout de sa vie. Pour cela, il faudrait une loi complète : un accès universel aux soins palliatifs, ce qui n’est pas le cas en France. Parfois, les soins palliatifs ne sont plus utiles ou certains ne veulent pas y avoir recours. Il faudrait alors une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.

Aujourd’hui, les Français veulent avoir le choix. La perte d’un proche, c’est souvent une véritable prise de conscience. Le moment pour beaucoup de personnes de réfléchir à ce qu’ils voudraient ou non pour eux-mêmes. Beaucoup veulent, aujourd’hui, être acteurs de leur santé comme de leur fin de vie. Or actuellement, ce sont ceux qui sont autour du lit qui décident et non la personne en fin de vie. 

Une loi pour l’aide active à mourir 

Dernièrement, la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie a présenté sa proposition de loi pour un droit à mourir dans la dignité. En quoi consistait cette loi ? Était-elle en accord avec vos attentes ?

J-L R-M : Oui, elle est très inspirée de celle que l’admd souhaiterait. On veut qu’il y ait une nouvelle loi autorisant l’euthanasie, le suicide assisté et l’accès universel aux soins palliatifs.

Pour rappel, l’euthanasie, c’est un soignant volontaire qui provoque intentionnellement la mort d'un patient, après que ce dernier a donné son accord. En revanche, le suicide assisté, c’est le patient qui prend le produit ou qui a la possibilité de tourner le bouton de la perfusion, de faire un geste actif.

A l’étranger, de nombreux médecins le disent, ce sont souvent des morts plus sereines. Plutôt que d’être retrouvé un matin mort dans son lit d’hôpital, on part entouré des siens, on a le temps de dire au revoir, de dire merci.

Les Français sont-ils prêts à accueillir une telle loi ?

J-L R-M : Plusieurs sondages le disent, c’est le sujet de société qui fait le plus l’unanimité. Pour une raison simple : on va tous mourir. C’est donc une question qui concerne tout le monde.

Le journal La Croix a publié au moment des lois bioéthiques (2018) un sondage indiquant que 89% des Français étaient favorables à la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté. Dans ce sondage, plus de 70% des catholiques pratiquants y étaient aussi favorables.

D’autant que de plus en plus de Français choisissent de partir à l’étranger. Il y a une dizaine d’années, quand l’admd appelait la Suisse parce que quelqu’un devait partir vite (la Suisse a légalisé le suicide assisté, ndlr), on trouvait toujours une solution. Aujourd’hui, c’est devenu compliqué. Sur place, les associations ont désormais des listes d’attente, elles ne peuvent plus répondre à la demande. 

Cette loi a finalement été rejetée par le Sénat, quelques jours après le choix d’une ancienne secrétaire d’État, Paulette Guinchard-Kunstler, de mourir en Suisse. Puisque la société semble prête, comment expliquez-vous un tel blocage ?

J-L R-M : J’entendais le président de l’Assemblée nationale (Richard Ferrand, ndlr) qui nous disait « ce n’est pas le moment, en plein Covid, de parler de la mort, il faut parler de la vie ». Mais ce n’est pas un choix entre la vie et la mort, c’est un choix entre deux morts. Avec plus de 90 000 morts dus au Covid-19, c’est justement le moment de se poser la question de la fin de vie et de son accompagnement.

On veut tous préserver la vie, mais quand c’est la fin, il faut que chacun puisse choisir les conditions, plutôt que d’agoniser des jours ou d’avoir une sédation durant laquelle on ignore véritablement si la personne souffre ou non.

On a toujours fait de la fin de vie une affaire médicale. On a toujours confié ces questions à des médecins qui évidemment ont donné une réponse médicale. Or là, c’est aussi une affaire éthique, une affaire citoyenne, votre propre affaire.

En avril, le député Olivier Falorni proposera une loi similaire. Je ne sais pas encore ce qu’il va se passer mais beaucoup de parlementaires ont l’air de se dire « maintenant ça suffit ». Le sujet est sur la table depuis trente ans, beaucoup de pays sont en train d’avancer autour de nous. Il y a quelques jours, l’Espagne s’est prononcée en faveur de l’euthanasie. En Belgique, elle est autorisée depuis 2002… Il peut se passer quelque chose, la situation change, il faut rester confiant.

«  On meurt mal en France »

Le 3 mars dernier, Marie-Pierre de la Gontrie a lancé en conférence de presse : «  On meurt mal en France ». A-t-elle raison ? 

J-L R-M : Beaucoup le reconnaissent. L’accès aux soins palliatifs est compliqué. En Guyane par exemple, il n’y a pas une seule unité en soins palliatifs. Les soignants en Ehpad ne sont pas bien formés à la fin de vie, l’hospitalisation à domicile est peu développée… Les soins palliatifs permettent une approche globale, en s’occupant de la personne mais aussi de son entourage. A la mort de ma mère, décédée récemment du Covid-19, aucun soignant ne m’a demandé comment j’allais. C’est aussi pour ça que l’admd se bat pour un accès universel.

Certains y arrivent, pas nous car aujourd’hui les moyens ne sont pas à la hauteur du défi.

Bientôt un nouveau plan national de développement des soins palliatifs

Le ministre de la Santé a annoncé, au cours de ces débats, un nouveau plan national (le cinquième) de développement des soins palliatifs et daccompagnement de la fin de vie. Sera-t-il suffisant ?

J-L R-M : Pour le moment, on n’a aucune idée de ce qu’il va se passer. Nous sommes une association agréée, représentante des usagers de santé, mais nous n’avons toujours pas été consultés.

Cela fait plus de deux ans qu’il n’y a plus de plan national de développement des soins palliatifs en France. Nous avons d’ailleurs envoyé de nombreuses lettres au ministre de la santé, Olivier Véran, pour l’alerter sur ce point. C’est parce qu’actuellement, il y a un grand débat sur l’euthanasie et le suicide assisté que le ministre a fait cette annonce.

Tout ce que nous savons, c’est qu’il s’agira d’un plan sur trois ans. Toutefois, je doute que trois ans suffiront à rattraper le retard que nous avons en matière de soins palliatifs. D’autant que je ne pense pas que les sommes mobilisées seront suffisantes. 

Dans les pays où les soins palliatifs sont selon moi bien menés, il demeure toujours une demande d’aide active à mourir. Les soins palliatifs ne répondent pas à toutes les situations ou ne conviennent pas à tout le monde.

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