Marc, 59 ans, et Philippe, 62 ans, n’habitent pas la même région. Pourtant, ils se connaissent. Ils se côtoient même régulièrement. Car tous deux sont engagés dans des associations d’anciens « buveurs ». Marc Margelidon est président de la section du Bassin de Moulins de La Croix Bleue. Philippe Sayer est président des Amis de la santé dans les Côtes d’Armor*. Et tous les deux ont eu un vrai problème avec l’alcool par le passé. Même si c’est désormais derrière eux.
Ils ont connu la même descente aux enfers. La dépendance à l’alcool qui s’installe progressivement. Jusqu’à peser lourdement sur leur entourage, jusqu’à leur causer de vrais soucis au travail, jusqu’à contrôler toute leur vie. Mais aujourd’hui, ils ne boivent plus une goutte d’alcool. 18 ans d’abstinence pour Marc, 12 ans pour Philippe.
Pour l’un comme pour l’autre, il n’y a pas eu d’élément déclencheur, un événement brutal comme le décès d’un proche, un divorce ou la perte d’un emploi. Des raisons qui poussent parfois des personnes, déjà fragiles, à sombrer dans l’alcool. Leur consommation s’est simplement accrue petit à petit.
Marc avoue avoir beaucoup aimé la fête, dès l’adolescence, et les excès qui vont avec. Par la suite, des problèmes de harcèlement au travail l’ont amené à boire davantage pour « supporter ». L’alcool était devenu son « remède ». Pour Philippe, le handicap de son deuxième enfant a peut-être un peu précipité son addiction, mais sans qu’il n’en soit « vraiment sûr ».
Tous les deux ont enchaîné les cures pour tenter de se libérer de cette épée de Damoclès qui menaçait non seulement leur santé, mais aussi leur vie. « Cela a été un long processus » pour Philippe. Il se souvient parfaitement de sa dernière cure. Il y est entré le 7 juillet 2007. Le jour où il a définitivement arrêté de boire. « J’étais parti pour trois semaines et j’y suis resté trois mois. » Et il était temps que Philippe en finisse avec l’alcool. « Je buvais un peu tout ce que j’avais sous la main. Certains jours, jusqu’à deux litres de vodka. Il me fallait ça pour tenir toute la journée. »
Marc aussi a enchaîné les cures. La dernière, il l’a faite dans un centre géré par La Croix Bleue, l’association dans laquelle il choisira de s’investir par la suite. Il a décidé d’arrêter de boire un matin, en voyant son visage dans le miroir de la salle de bains. « Je me souviens, c’était le jour de l’Ascension. Je m’étais traîné jusqu’aux toilettes pour aller vomir. Et en me relevant, j’ai vu ma tête et je ne me suis pas reconnu. Je me suis dit : « C’est toi ça ? C’est ça que tu es devenu ? ». » Il faut dire que Marc était descendu « au fond du trou ». L’alcool avait déclenché chez lui d’autres pathologies. Il était devenu un habitué des services de psychiatrie. Il a même failli se retrouver à la rue.
Le mariage de Marc n’a pas survécu. Mais il n’en veut pas à son ex-femme avec qui il garde un bon contact. « Elle aurait pu demander un divorce pour faute, elle ne l’a pas fait. » Et il a toujours réussi à rester proche de son fils. « C’est aussi pour lui que je me suis battu. » Philippe, lui, a réussi à sauver son couple. « Ma femme et mes enfants étaient très malheureux, ils se rendaient bien compte que j’étais malade. Pourtant, ils ne se sont jamais détournés de moi. Et je leur en serai éternellement reconnaissant. »
Au travail, les choses n’ont pas été aussi simples. Fonctionnaire, Philippe a certes pu conserver son emploi. Toutefois, ses collègues lui ont avoué par la suite qu’à l’époque plus personne ne voulait travailler ni même se retrouver en réunion avec lui. Car il était devenu « invivable ».
Marc a été en arrêt de travail pendant deux ans et demi à cause de l’alcool. Et un peu avant la reprise, il a été reçu par sa directrice. Il ne pensait pas retrouver son précédent emploi de cadre. « Je me disais que j’allais être rétrogradé. Je me sentais prêt à recommencer en bas de l’échelle car j’étais déterminé à retravailler. » Mais il a pu compter sur la compréhension de cette femme. Elle lui a laissé le choix entre reprendre son poste ou en changer, pour un équivalent dans une autre ville, afin de ne pas avoir à affronter le regard de ses anciens collègues. Marc a préféré assumer. « Après tout ce que j’avais vécu, que l’on parle derrière mon dos était le cadet de mes soucis. »
Marc a en effet le sentiment de revenir de loin. Alors lorsqu’on lui demande s’il a peur, un jour, de replonger, il est catégorique. « Si c’est pour revivre cet enfer, non merci ! Je ne veux plus de cette vie-là. » Il est beaucoup plus heureux aujourd’hui. Il a « repris goût à la vie » et réalise ses rêves. « Je pars régulièrement en voyage pour assouvir ma passion de l’histoire. Avant, ce n’était même pas envisageable car toute ma vie était régie par mon addiction. » Il n’a pas arrêté de faire la fête pour autant. Simplement, aujourd’hui, Marc peut s’amuser et profiter de ses amis sans pour autant boire de l’alcool.
Philippe apprécie lui aussi d’être tranquille à l’idée de reprendre le volant après une soirée. Et le lendemain d’être « frais et dispo ». Mais il sait également qu’il ne faut pas qu’il reboive une goutte d’alcool. Car il n’est pas totalement sûr qu’il ne retomberait pas dans la dépendance. « Mon cerveau n’a pas oublié. Il est marqué à vie. » D’ailleurs, Philippe ne se considère pas « guéri » de l’alcool. Il se voit plutôt comme « un alcoolique abstinent ».
Marc et Philippe sont des exemples. Ils montrent qu’il est possible de s’en sortir. Et depuis plusieurs années, ils essaient de faire profiter les autres de leur expérience, au sein de leurs associations respectives. Ils accompagnent des personnes dépendantes afin de les aider à rompre avec l’alcool. Ils animent notamment des groupes de parole.
Mais depuis peu, ils ont décidé d’aller plus loin. Tous deux ont passé un diplôme universitaire en addictologie pour approfondir leurs connaissances scientifiques sur la maladie. Ils sont ainsi devenus « patients experts ». Une compétence qui leur permet de mieux comprendre le processus de la dépendance, pour conseiller au mieux. Et un titre qui donne la possibilité d’intervenir dans les hôpitaux notamment, afin d’épauler les professionnels de santé. Car face à une personne malade, le discours d’un Philippe ou d’un Marc a parfois plus d’impact que celui du médecin.
* La Croix Bleue et les Amis de la santé sont membres de la Coordination des associations et mouvements d’entraide reconnus d’utilité publique (CAMERUP). Trois autres associations d’entraide aux victimes de l’alcoolisme en font partie : Alcool Assistance, Alcool Écoute Joie et santé, et Vie Libre.
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L’alcool n’est jamais loin dans la société anxiogène dans laquelle nous vivons. C’est une drogue facile, il y a un certain « bien-être »lorsque la personne est alcoolisée.
Pour ma part, je ne me suis jamais alcoolisé, j’ai toujours fixé les limites, je bois un peu d’alcool pour le goût pas pour me soûler à outrance pour oublier ou régler les problèmes de la vie.
L’alcool gâche tout, la vie de famille, la santé, perte de travail, ce n’est certainement pas un remède pour être heureux.
Le bonheur, il faut savoir l’attraper, le concevoir soit même, parfois avec de petites choses on peut se faire plaisir, c’est cela ma conception de la vie.
Eh oui, Denis ! Mais pour pouvoir « fixer les limites », comme vous dites, il ne faut pas être malade dépendant. Et ça, on ne choisit pas : c’est la roulette russe ! L’alcoolisme, c’est la perte de la liberté de s’abstenir de boire. Ce n’est pas une question de volonté. Ce serait trop simple ! On dit aussi que c’est la maladie des émotions et/ou de la communication. L’alcool n’est que la partie visible de l’iceberg. Ou encore, l’arbre qui cache la forêt…
Aujourd’hui, je dis :
« Merci pour cette seconde où je me rends compte que je suis au monde
Merci pour cette seconde où je suis ravie d’être en vie ici »