Alcool et confinement : « Certains risquent d’avoir des problèmes à la fin de cette période »

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Par Pauline Hervé

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Entre l’angoisse, l’isolement et l’ennui dus à la pandémie, les Français sont nombreux à boire plus que d’habitude. Un phénomène auquel il faut prendre garde pour ne pas aller vers la dépendance. Conseils.

Le Pr Amine Benyamina est chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'Hôpital Paul Brousse. Il préside par intérim le fonds Actions addictions.

Le confinement favorise-t-il une augmentation de la consommation d’alcool ?

Amine Benyamina : Oui. Il y a une augmentation globale de la consommation d’alcool : nous n’avons pas encore de chiffres mais nous l’observons, même si les chiffres de vente sont contradictoires (il y a eu des effets de stock au départ). En tant que spécialistes, nous constatons que toutes les conduites addictives aux produits licites, en tout cas tabac et alcool, ont été majorées. D’ailleurs les débits de tabac et d’alcool n’ont pas fermé et sont inclus dans les commerces de première nécessité. Et c’est très bien car mettre brutalement les gens en situation de sevrage absolu peut les mettre en danger.

Les personnes qui avaient déjà, avant le confinement, des problèmes d’alcool ont besoin de consommer, au moins un peu, pour ne pas se retrouver confrontées à des problèmes psychologiques ou physiques. Quand elles seront déconfinées, nous les prendrons en charge.

« Un effet anxiolytique pour certains »

Pour quelles raisons les Français boivent-ils plus ?

A.B. : Dans la population générale, un niveau de tolérance ou d’oubli des grandes mesures de prévention s’est installé parce qu’il faut bien passer le temps, s’accorder des moments de plaisir qui passent aussi par la consommation d’alcool (« apéros Skype »…) On boit à la fois pour des raisons festives, et en cherchant un effet de détente artificielle, un effet anxiolytique pour certains. Le verre permet un autosoulagement. Il « occupe » face à l’ennui aussi. Ce n’est pas forcément inquiétant, mais c’est une tendance qu’on observe pendant le confinement.

Parmi les personnes qui étaient déjà malades de l’alcool, certaines font des rechutes. Elles sont à la fois angoissées par le confinement, comme nous tous, en plus de situations personnelles, familiales, parfois compliquées qui peuvent être réveillées par la période. Et elles n’ont pas d’accès simplifié aux soignants.

Est-ce que cette augmentation de la consommation d’alcool vous inquiète ?

A.B. : Il n’y a pas forcément lieu de s’inquiéter. Mais le problème, c’est que dans le lot des Français confinés qui boivent plus que d’habitude, sans être forcément malades de l’alcool, on risque d’avoir un petit groupe qui aura des problèmes à la sortie du confinement. C’est statistique. Il y aura des phénomènes de dépendance.

Quand doit-on commencer à s’inquiéter de sa propre consommation ?

A.B. : Quand celle-ci augmente, et surtout quand on remarque qu’on utilise l’alcool pour gérer ses angoisses et sa peur. Il faut pouvoir identifier pourquoi on prend un verre d’alcool. De même, si on commence à avoir des signes psychologiques de manque quand on ne boit pas, des envies soudaines, si on y pense régulièrement… c’est un signe d’alerte.

S’occuper pour échapper à l’envie d’un verre

Quels conseils donnez-vous ?

A.B. : Le conseil le plus concret est de rester dans les critères définis par Santé publique France. « L’alcool, ce n’est pas plus de deux verres par jour, cinq jours par semaine, avec deux jours de pause ». Si vous pouvez être en-dessous, c’est encore mieux, car ces critères représentent la limite au-delà de laquelle les effets néfastes pour la santé sont multipliés. Et attention aux doses ! Il faut aussi avoir en tête les équivalences alcooliques de concentration en alcool : 25 cl de bière contiennent la même dose d’alcool que 3 cl de whisky.

Pour échapper à l’envie d’un verre par angoisse ou ennui, je propose de faire une activité. Se rendre utile avec ce que l’on maîtrise le mieux, avec ses voisins, à distance, se défouler grâce au sport, boire une boisson sans alcool dont le goût nous plaît… Tout ce qui peut faire échapper au réflexe de « boire un verre ». Car s’il y a un effet plaisant au départ, un peu décontractant et anxiolytique, en revanche cela créera une appétence, voire une dépendance plus tard.

Et pour les personnes qui avaient déjà une dépendance à l’alcool ?

A.B. : Beaucoup de patients continuent le suivi à distance. Cela n’est pas efficace pour tout le monde. Certains ont besoin du contact physique, on fait donc comme on peut. Mais il n’y a pas que la consultation addictologique qui importe, ils ont besoin aussi d’avoir un suivi psychologique et de pouvoir échanger avec des proches. Les réseaux sociaux peuvent être utiles pour y trouver une communauté où parler, échanger, verbaliser ses questions.

Pour aller plus loin :

Addict’aide : créé par le Fonds action addiction , ce portail permet de s’informer, de s’autoévaluer, de géolocaliser de l’aide, et via son forum d’entraide animé par des patients experts de s’exprimer, d’échanger et de trouver des réponses aux questions que vous vous posez.

Addictions et Alcool Ensemble on est plus forts : Un groupe Facebook également animé par des patients experts d’Addict’aide.

Les Alcooliques Anonymes proposent, pendant le confinement, des groupes de parole à distance. 09 69 39 40 20 (appel non surtaxé).

L’alcoomètre : évaluer rapidement sa consommation. Un site d’Alcool Info Service, qui propose toujours sa ligne d’écoute : 0 980 980 930, de 8 h à 2 h, 7 jours sur 7 (appel anonyme et non surtaxé).

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