Alcool : comment prévenir l’addiction et en sortir

Publié le , actualisé le

Par Pauline Hervé

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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© Getty Images

Même si sa consommation a baissé ces dernières décennies, l’alcool reste la substance psychotoxique la plus banale en France, très ancrée dans notre culture. Pourtant, il est encore responsable de 41 000 morts par an. Des prises en charge médicales existent, pour éviter la dépendance et en sortir, y compris pour les femmes, touchées de façon spécifique par l’alcool.

Pourquoi prévenir ?

Chaque Français de plus de 15 ans consomme, en moyenne, 11,5 litres d’équivalent d’alcool pur par an et l’Hexagone compte 10 % de buveurs quotidiens parmi les 18-75 ans. (Drogues, chiffres clés, 2019, Observatoire français des drogues et de la toxicomanie). L’alcool est partout dans notre culture et notre vie sociale, entre apéritifs, « pots » au travail et repas bien arrosés.

Pourtant, il est à l’origine de 41 000 décès par an encore en 2018 et son coût social est estimé à 120 milliards d’euros par an : le même que celui du tabac. Sa consommation provoque des risques à court terme : conduites à risque, accidents de la circulation (l’alcool est la première cause de mort sur la route chez les 15-18 ans), rapports sexuels non protégés ou non consentis, malaises. À plus long terme, c’est également un facteur de risque pour certains cancers (foie, sein…). Il est aussi désormais prouvé scientifiquement que l’âge du premier verre joue sur l’avenir. Plus il est pris tôt, plus les risques sont importants de basculer dans la dépendance à l’âge adulte. Sans compter que l’alcool joue sur le développement du cerveau qui n’est pas encore terminé à l’adolescence.

Le Binge drinking

On appelle Binge drinking, cette façon de boire de l’alcool en quantité importante, rapidement et ponctuellement lors d’une soirée. Elle est appelée par les spécialistes français API « Alcoolisation ponctuelle importante ». Elle commence à 5 verres au moins au cours de la même occasion. Importée de Grande-Bretagne, cette pratique inquiète beaucoup. 44 % des jeunes de 17 ans ont eu au moins une API dans le mois passé en 2017, selon l’OFDT. Cependant, ce chiffre est en légère baisse par rapport à 2014. (49 %)

Comment prévenir ?

« La consommation doit être raisonnable et raisonnée selon les circonstances et la personne, explique le Dr Patrick Daimé, praticien hospitalier en addictologie et secrétaire général de l’Anpaa (association nationale de prévention en addictologie). Et chacun doit connaître les risques d’une consommation excessive d’alcool. La sensibilisation doit commencer dès le plus jeune âge ».

Les seuils dits « de consommation à moindre risque » fixés par Santé publique France sont de 10 verres par semaine, et pas plus de deux verres par jour, en ne buvant pas d’alcool deux jours sur sept.

Comment savoir si l’on est « dépendant » ou pas à l’alcool ? « La dépendance se caractérise par une impossibilité de s’abstenir, un maintien de la consommation malgré les dommages physiques ou sociaux et la perte de contrôle sur ce qu’on boit. Mais ce qui est difficile, explique le Pr Michel Reynaud, addictologue et président du Fonds Actions Addictions, est qu’elle s’installe sur plusieurs années « et c’est ce qui est si difficile à comprendre pour le patient, pour ses proches et pour la société. Pendant très longtemps, la personne dit : « Je bois comme tout le monde, je gère, je m’arrête quand je veux, d’ailleurs elle s’arrête par exemple pendant l’été ou quand elle a un examen à passer ».

En cas de doute sur sa consommation, il ne faut donc pas hésiter à en parler à son médecin traitant qui questionnera : combien de verres consommez-vous en une journée ? Avez-vous eu besoin de boire le matin pour vous sentir bien ? De nombreuses personnes peuvent avoir un usage à risque mais ne pas être encore dépendantes. « On explique comment changer ses habitudes pour diminuer sa consommation d’alcool. Et on constate un changement dans 30 % des cas », explique le Pr Daimé. Il a été démontré qu’un simple conseil dispensé en quelques minutes peut réduire d’un tiers le nombre de buveurs excessifs, selon le Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017.

Il existe également des numéros verts ou des services de messagerie instantanée, comme celui de Alcool info service, qui permettent en toute confidentialité et de chez soi, de poser ses questions autour de sa consommation ou de celle d’un proche.

Se soigner

Pour les personnes qui auraient besoin d’une prise en charge qui va au-delà du simple conseil, les Csapa (Centres de soins, d’accompagnement de prévention en addictologie) regroupent en un même lieu médecins, psychologues et travailleurs sociaux. On peut trouver le plus proche de chez soi via cet annuaire en ligne de Drogues Info Service. En 2017, 142 000 personnes ont eu recours à leur service. Les consultations hospitalières d’addictologie proposent la même aide. En parallèle, rejoindre un groupe d’entraide avec d’anciens buveurs permet de sortir de l’isolement sans se sentir jugé.

Si nécessaire, les patients peuvent être accueillis pour une ou plusieurs semaines dans des unités hospitalières d’addictologie, et continuer par un séjour dans un centre de soins de suite et de réadaptation. Il faut être conscient que l’addiction à l’alcool est une maladie chronique et récidivante : un suivi médical (et psychologique dans l’idéal) est nécessaire même après ces séjours, et parfois à vie.

Quant aux médicaments, « Il n’y a pas de molécule miracle pour guérir de l’alcoolodépendance, prévient le Pr. Michel Reynaud. Il y a des médicaments de réduction de la consommation, avant la dépendance grave. Les médicaments donnent entre 40 et 50 % d’effets positifs sur la sortie de la dépendance, mais toujours avec les autres mesures thérapeutiques. Ils ne sont qu’un quart des éléments nécessaires à la guérison : médicament, soutien des proches, thérapie et gestion du stress et des émotions. »

Entourage et alcool : pas facile

Avoir un proche dépendant à l’alcool est très complexe. « Les rapports familiaux et la vie de tous se trouvent modifiés. Souvent, les proches ne savent plus quoi faire, n’osent pas en parler et présentent des signes de codépendance : ils s’isolent et culpabilisent. Or ils ont besoin d’être écoutés et ont un rôle à jouer dans le dispositif de soins », explique Patrick Daimé. Les proches aussi peuvent trouver de l’aide dans des centres comme les Csapa, mais aussi sur les sites internet et lignes téléphoniques spécialisés.

« La maladie alcoolique est différente chez les femmes »

Fatma Bouvet de la Maisonneuve est psychiatre et addictologue. Elle a créé en 2007 la seule consultation d’alcoologie réservée aux femmes, à l’hôpital Sainte-Anne. Elle est aussi présidente co-fondatrice de l’association Addict’Elles, qui écoute et reçoit les femmes touchées par les addictions et lutte contre les stéréotypes, notamment ceux liés à la maladie alcoolique chez les femmes.

« La consultation existe depuis 2007, et les groupes de parole depuis 2008. La prise en charge y est globale, avec même de la diététique, de la relaxation… On tient compte de tout ce qui est lié aux spécificités féminines. La maladie alcoolique est différente chez les femmes. D’abord, l’impact de l’imaginaire collectif sur une femme qui boit n’est pas le même que sur un homme. C’est une question qui reste extrêmement taboue. Les femmes qui boivent ont honte de parler de leur trouble. Cette honte retarde la prise en charge et provoque potentiellement des pathologies plus lourdes.

Les femmes boivent souvent seules, le soir, dans un contexte dépressif ou triste, pour se détendre de la pression terrible qu’elles subissent. Déprime, angoisses, difficulté à trouver et garder sa place dans le monde du travail, problématiques intimes… tout cela donne un tableau clinique très particulier en lien fort avec la faible estime de soi. Il faut d’ailleurs casser un autre tabou : les femmes qui ont des problèmes d’alcool ne sont pas celles que l’on croit. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2015, ce sont les plus instruites, les plus diplômées, avec des postes importants… ce que nous constatons à notre consultation.

Les répercussions de l’alcoolisme sont plus graves chez les femmes. D’abord sur le corps, parce qu’on n’a pas la même morphologie, mais aussi sur le couple : un homme reste beaucoup moins longtemps avec une femme qui boit que le contraire, c’est encore très mal toléré par les conjoints. Et au travail, la discrimination face à la maladie psychique, à l’addiction, est encore plus importante quand il s’agit d’une femme, et particulièrement avec l’alcool.

Si on se fait des soucis pour une proche il faut essayer de lui en parler de façon très simple comme d’une maladie, donner l’adresse d’une association comme Addict’Elles. Nous recevons beaucoup de messages privés sur Facebook et Twitter, nous nous sommes adaptées à ces femmes ultra-connectées. Il faut banaliser la question de l’alcool et ne surtout pas fliquer, parce que c’est ce qu’il y a de pire pour les femmes, qui manquent déjà de confiance en elles. »

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