Comment le médecin du travail veille sur la santé des salariés

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Par Isabelle Blin

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Marielle Dumortier, médecin du travail, dresse un bilan mitigé de la santé des salariés. L’occasion pour elle de rappeler que la santé au travail est un enjeu majeur pour les entreprises.

Si les conditions de travail et les techniques de management ont beaucoup évolué au cours de ces trente dernières années (changements organisationnels, télétravail, contexte global difficile…), la santé des travailleurs comme de leurs employeurs recquiert plus que jamais surveillance et bienveillance. A l’heure de la crise sanitaire et économique que nous traversons, les médecins du travail sont en première ligne dans le suivi des salariés, l’aménagement des mesures de distanciation sociale au sein des entreprises et la prise en compte des souffrances psychologiques.

Quelles sont les principales plaintes des salariés aujourd'hui ?

Dr Marielle Dumortier : Il y a trente ans, à mes débuts en tant que médecin du travail, les plaintes étaient surtout physiques : « c’est trop lourd », « il fait trop chaud »… Aujourd’hui, elles ont presque disparu grâce à d’énormes progrès d’aménagement, mais elles ont été remplacées par des plaintes d’origine psychologique : « je n’en peux plus », « ils me tuent », « on m’en demande trop »... Chacun avec ses mots me décrit un monde où il faut donner toujours plus en ayant de moins en moins de moyens.

A quoi est due cette nouvelle souffrance au travail ?

M.D : Essentiellement au stress, aux conflits, au harcèlement, au surmenage, etc. Le corps et la tête sont hypersollicités en permanence. Pour faire un parallèle avec le Tour de France : à chaque étape, il faut se donner à fond, mais au travail, il n’y a jamais de ligne d’arrivée ! Nombre de salariés ne trouvent plus de sens à leur travail. Souvent aussi, ils ne se sentent pas reconnus dans leur travail, leurs efforts, leur investissement… tout ce qu’ils font et qui ne se voit pas : c’est l’agent d’entretien qui lave toutes les tasses sales laissées sur les bureaux, l’employé qui décale son heure de déjeuner pour terminer un dossier, l’aide-soignant qui termine son service quinze minutes plus tard pour prendre le temps de parler un peu avec ce résident d’Ehpad qui n’a jamais de visite…

« Les femmes sont plus nombreuses à souffrir des troubles musculo-squelettiques »

Pourtant les troubles musculo-squelettiques (TMS) demeurent la première cause de maladie professionnelle ?

M.D : C’est vrai, mais ces troubles qui affectent muscles, tendons, nerfs et articulations du dos, des épaules, des coudes, des mains... sont aussi une conséquence d’une mauvaise organisation. En cause, des gestes répétitifs sans temps de récupération, des cartons trop volumineux et trop lourds, des vêtements de protection et des postes de travail inadaptés à la morphologie du salarié. Les femmes sont d’ailleurs plus nombreuses à souffrir de ces troubles et cela n’a rien à voir avec une prétendue fragilité naturelle. C’est parce qu’elles sont tout simplement plus souvent affectées à des travaux répétitifs sous contrainte de temps et exposées à de fortes exigences psychologiques, tout en ayant moins d’autonomie.

Quel est votre rôle en tant que médecin du travail ?

M.D : Quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, toutes les entreprises doivent avoir un contrat avec un service de santé au travail. Le médecin du travail analyse les liens entre le travail et la santé des salariés, en prenant également en compte les temps de transport, les relations avec la hiérarchie et les collègues, etc. Si nécessaire, nous conseillons ensuite sur les mesures à prendre pour prévenir autant que possible toute apparition ou aggravation d’une maladie, d’un trouble physique ou psychologique. Et bien sûr, nous assurons le suivi médical individuel de chaque personne de l’entreprise, employés et employeurs.

En quoi consiste le suivi médical des salariés ?

M.D : Suivant les risques auxquels est soumis le salarié, la prériodicité des visites médicales varie. Un salarié qui n’est soumis à aucun risque professionnel sera vu dans les trois mois qui suivent son embauche, puis tous les cinq ans, un salarié ayant des risques sera vu avant l’embauche, puis tous les quatre ans. Si son état de santé le nécessite, un salarié peut être vu de façon plus rapprochée par le médecin du travail. L’employeur nous demande aussi d’effectuer une visite de reprise après un congé maternité, une absence pour maladie professionnelle ou une absence d’au moins trente jours consécutive à un accident du travail, une maladie ou un accident non professionnel. A l’issue de chaque consultation, nous remettons au salarié un certificat avec ou sans restrictions partielles, temporaires ou définitives et parfois un certificat d’inaptitude temporaire ou définitive.

« Je propose des solutions aux employeurs, mais ce sont eux qui décident ou non de les mettre en place »

Quel est votre pouvoir auprès des employeurs ?

M.D : Quand un employeur envisage des changements dans l’organisation du travail ou la mise en place de nouveaux procédés de production, notre mission est de l’alerter sur les éventuels risques pour la santé de ses salariés. De même, si la dégradation de l’état de santé physique ou mental d’un salarié le nécessite, nous pouvons demander un aménagement de son poste et nous faire aider par un ou plusieurs membres de notre équipe pluridisciplinaire : assistante sociale, infirmiers, intervenants en prévention des risques professionnels (ergonomes, psychologues, techniciens). Le dirigeant reste le seul décisionnaire, mais s’il ne peut suivre nos préconisations, il doit se justifier par écrit.

Votre rôle est donc exclusivement préventif ?

M.D : Oui, nous ne prescrivons pas de médicaments sauf en cas d’urgence ou à titre préventif (comme les vaccins). Nous ne prescrivons pas non plus d’arrêts de travail. Nous émettons un avis et ensuite le salarié doit consulter son médecin traitant, qui le prendra en charge. Comme tout médecin cependant, nous sommes soumis au secret médical absolu et en plus, en tant que médecin du travail, au secret industriel, c’est-à-dire que je n’ai pas le droit de parler à l’extérieur de ce que j’ai pu voir dans une entreprise.

La crise sanitaire actuelle a-t-elle élargi vos compétences ?

M.D : Oui, exceptionnellement, nous avons reçu l’autorisation d’établir des certificats d’isolement permettant aux personnes à risque de ne pas aller au travail, de rédiger des arrêts de travail et de prescrire des tests biologiques pour les salariés exerçant en établissement de soins, Ehpad, prison ou autres structures d’hébergement collectif. De leur côté, les entreprises nous ont sollicités pour savoir comment gérer les salariés à risque, mettre en place les gestes barrières et des procédures au cas par cas, au plus près du réel.

* Auteure de Le monde du travail est devenu fou, coll. Documents, Editions du cherche-midi.

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