Comment lutter contre l’alcoolisation excessive des jeunes ?

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Par Pauline Hervé

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Les jeunes Français consomment de l’alcool trop tôt et en trop grande quantité. Médecins, universitaires, parlementaires et mutualistes tentent de trouver ensemble des pistes pour se battre contre ce phénomène aux conséquences lourdes.

L’alcoolisation excessive des jeunes était au cœur d’une réunion parlementaire organisée ce mardi 5 février à l’Assemblée nationale par Audrey Dufeu-Schubert, députée de Loire-Atlantique. À l’origine de cette démarche, un constat : les démarches de prévention contre l’alcool chez les jeunes ont du mal à prouver leur efficacité, alors que la boisson reste, entre autres, la première cause de mort sur la route chez les 18-24 ans. Cette première réunion a rassemblé médecins spécialistes de la question, députés, représentants mutualistes et chercheurs pour tenter d’esquisser, ensemble, des pistes de travail.

L’alcool, première substance expérimentée

Quelques chiffres, d’abord. 12 % des jeunes entre 14 et 24 ans consomment de l’alcool plusieurs fois par semaine et trois quarts d’entre eux déclarent qu’il est aisé d’en acheter, alors que la loi en interdit la vente aux mineurs. En outre « cette consommation semble rester invisible des parents, dont 10 % seulement pensent que leur enfant consomme de l’alcool une fois par semaine alors que 30 % d’entre eux le font » rappelle Isabelle Hébert, directrice générale du groupe MGEN et directrice des services innovants du groupe VYV.

La consommation d’alcool par les jeunes est très banalisée. À 17 ans, 90 % d’entre eux ont déjà bu. « C’est la substance la plus expérimentée devant le tabac, le cannabis et autres », souligne le Pr Nicolas Simon, addictologue, président de l’Anpaa (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie).

Les jeunes boivent tôt et de façon excessive à la mode du « binge drinking » : une consommation massive d’alcool sur une soirée ou quelques heures dans le but d’atteindre l’ivresse le plus vite possible. On les appelle Alcoolisation ponctuelles importantes (API), décrit le Pr Nicolas Simon : « Plus de cinq verres sur une soirée. 44 % des jeunes en déclarent une dans le mois précédent. C’est énorme. »

Plus généralement, vis-à-vis de l’alcool, « la France est dans une situation qui n’est pas encore acceptable. Les représentations sont encore erronées, comme quand on pense que la bière, ça n’est pas vraiment de l’alcool », souligne le Dr Nicolas Prisse, médecin de santé publique et président de la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et conduites addictives). Celle-ci a présenté début 2019 un Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022, dont tout un pan s’adresse aux jeunes et à l’alcool.

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De gauche à droite : Isabelle Hébert, directrice générale du groupe MGEN et directrice des services innovants du groupe VYV ; Nicolas Simon, addictologue, président de l’Anpaa ; Nicolas Prisse, médecin de santé publique et président de la Mildeca ; Audrey Dufeu-Schubert, députée de Loire-Atlantique ; Stéphane Junique, président de VYV Care et d’Harmonie Mutuelle et vice-président du groupe VYV ; Michel Reynaud, psychiatre, addictologue et président du fonds Actions addictions et Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’Ecole des hautes études en santé publique. ©Pauline Hervé

Colloque: l’alcoolisation excessive des jeunes

Les risques spécifiques à la jeunesse

Les dangers de l’alcoolisation, pour les jeunes, sont multiples. Celle-ci fait d’abord courir des risques à court terme : accidents de la route, coma éthylique, violence, impulsivité, rapports sexuels non protégés ou non consentis…

Mais boire de l’alcool à un jeune âge présente aussi des dangers particuliers, notamment sur le développement du cerveau. Celui-ci est, c’est prouvé médicalement, plus vulnérable aux substances psychoactives de la naissance à 21 ans environ qu’à l’âge adulte.

Il existe également de nombreuses conséquences à long terme. « Plus l’âge de la première consommation est précoce, plus il existe un risque de développement vers des abus et une dépendance à l’âge adulte », rappelle le Pr Nicolas Simon, addictologue.

Qu’est-ce qui incite à boire jeune ?

Malgré leur volonté de prévention affichée, les alcooliers sont pointés du doigt pour leur responsabilité dans la consommation d’alcool par les plus jeunes. Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), travaille sur les stratégies marketing des alcooliers envers les jeunes. Pour capter ce public, les professionnels de l’alcool ont recours à plusieurs outils : jouer sur le goût, avec des produits aromatisés aux fruits « très sucrés qui ressemblent aux sodas » ou « premix », ces mélanges d’alcool et de sodas ou jus de fruits ; proposer un packaging attrayant aux couleurs vives et aux slogans humoristiques, et enfin adapter leur prix à ce public. Autrement dit proposer de l’alcool pas cher ou le vendre à l’unité quand il s’agit des bières, par exemple. Leurs publicités ciblent aussi les plus jeunes, sous des formes variées avec le placement de bouteilles dans les films, la présence de stands dans les festivals de musique, des pages dédiées sur les réseaux sociaux et le financement d’influenceurs pour présenter les boissons alcoolisées sous un jour positif.

Au total, en France, près de 30 % des mineurs sont exposés quotidiennement à la publicité pour l’alcool. Or, rappelle Karine Gallopel-Morvan, « les études montrent clairement que l’exposition à la publicité est très liée aux API (alcoolisations ponctuelles importantes) et à l’initiation à l’alcool. »

Par ailleurs, dans la vie de tous les jours, la culture française ne facilite pas franchement la prévention de la consommation, comme le remarque le Pr Michel Reynaud, psychiatre, addictologue et président du fonds Actions addictions. « Il y a une incitation permanente à boire en France et ça commence dès l’apéritif. » Très souvent d’ailleurs, l’initiation à l’alcool se fait en famille. Et il conviendrait de retarder le plus possible l’âge des premiers verres.

Des pistes pour une meilleure prévention

Pour autant, n’y a-t-il aucun levier pour modérer la consommation, en particulier celle des jeunes ? « On peut très bien réduire la consommation sans pour autant prôner l’abstinence, martèle le Pr Michel Reynaud. Pourquoi pas imposer un prix minimal de l’unité d’alcool ? On sait que les consommations excessives se font sur des alcools à bas prix. Les jeunes comme les gros buveurs diminueront leur consommation. » L’addictologue suggère par ailleurs de taxer la publicité pour l’alcool. Investir les réseaux sociaux prisés par les plus jeunes, pour y proposer des images positives de la modération ou de l’abstinence est aussi une stratégie possible.

Les différents acteurs s’accordent sur un point : en matière de prévention, il faut agir plus précocement. Et cela ne passe pas uniquement par une action sur la publicité mais aussi sur les pratiques en famille. « Essayons de reculer le premier verre. Ce n’est pas très grave de ne pas avoir goûté un bon vin à 14 ans », rappelle le Dr Nicolas Prisse.

Enfin, acteurs de terrain, politiques, et mutualistes doivent unir leurs forces comme souhaite Stéphane Junique, président de VYV Care et d’Harmonie Mutuelle et vice-président du groupe VYV, qui appelle de ses vœux « une action publique forte d’intervention précoce et de réduction des risques, afin de commencer par la jeunesse. Sur le même modèle que pour le tabac, constituons un fonds de prévention alcool doté de 100 millions : 1 euro investi en prévention, c’est 14 euros économisés sur les dépenses de santé. La prévention est rentable ! Quand on sait que le coût social de l’alcool est de plus de 120 milliards d’euros par an en France… Le Groupe VYV travaille avec l’Assurance maladie, premier acteur de santé publique, pour mettre en place de nouvelles mesures de prévention. Faisons par exemple ensemble du mois de janvier une mobilisation de tous les acteurs autour du “Dry January”, le mois sans alcool ».

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