Covid-19 : Anxiété, dépression, « la vague psychiatrique est devant nous »

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Par Pauline Hervé

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La pandémie va faire augmenter les troubles psychiatriques, prévient le Pr Marion Leboyer. Elle appelle les Français à prendre au sérieux ces risques, liés directement au virus et indirectement à la crise socio-économique.

Marion Leboyer est psychiatre, responsable du pôle psychiatrie au CHU Henri-Mondor de Créteil et directrice de la fondation FondaMental. Elle met en garde les Français et le monde médical : la pandémie de Covid-19 a des conséquences psychiatriques, et il est important d'informer sur ces risques et de mettre fin à la stigmatisation qui leur est encore liée en France.

Vous alertez sur les risques psychiatriques liés, directement ou indirectement, à la Covid-19. Quels sont-ils ?

Marion Leboyer : Les infections, d'une façon générale, font le lit des maladies psychiatriques. Des études rétrospectives sur les précédentes infections à coronavirus, comme le SARS ou le MERS, et récemment sur des patients infectés par la Covid-19 en Italie, montrent une augmentation du risque de développer dépressions, stress post-traumatiques ou troubles anxieux. L'infection par les Coronavirus a un impact direct sur le cerveau, avec notamment ce qu'on appelle la « tempête cytokinique », une inflammation qui peut déclencher des pathologies psychiatriques. Cela ne concerne pas tous les patients mais un nombre significatif d’entre eux.

Cette augmentation du risque est également liée aux aspects psychologiques et sociaux de la pandémie : quand on attrape la Covid, on est inquiet pour sa santé, celle de ses proches, son avenir professionnel, on vit un isolement social…

Une augmentation des troubles anxieux

Certaines parties de la population sont-elles plus à risque que d'autres ?

M.L. : Il y a eu une augmentation significative des troubles anxieux durant le confinement, selon une enquête de Santé publique France. Cette étude a identifié des populations particulièrement à risque : les femmes — avec les violences conjugales, la charge mentale… —, les jeunes adultes qui ont eu des difficultés à entrer dans la vie active, et les personnes en situation de précarité économique. Sans oublier les personnes âgées parfois isolées ou en Ehpad. Ces populations doivent être particulièrement attentives aux difficultés psychologiques, et doivent être suivies.

Quel bilan tirez-vous du confinement, du point de vue du suivi psy des Français ?

M.L. : Il est mitigé. On a réussi très vite à déployer des innovations technologiques qui ont permis de garder le contact avec les patients : vidéoconsultations, plateformes d'appels comme Covid Ecoute, qui mettait en contact en téléconsultations avec des professionnels de santé mentale bénévoles.

D'un autre côté, les patients en difficulté économique, sans téléphone portable, sans Internet, ont été perdus de vue. Souvent, plus ils ont des pathologies lourdes, plus ils ont de difficultés économiques, moins ils ont accès à ces innovations. On les voit revenir aujourd'hui en consultation ou en hospitalisation avec des rechutes assez sévères, car ils n'ont pas eu de prise en charge ou ont interrompu leur traitement.

Redoutez-vous les conséquences d'une possible deuxième vague ?

M.L. : On est toujours dans la même vague ! Pour nous psychiatres, les conséquences sont devant nous. Plus on anticipe, mieux ce sera. Il faut donc informer le grand public de ces conséquences psychiatriques et de comment les dépister. Dans les services hospitaliers, on est mieux préparés qu'en mars, où nous n'avions ni masque, ni gel hydroalcoolique. On s'installe maintenant dans un temps long qui est celui des conséquences psychiatriques. La « vague psychiatrique » - une augmentation des dépressions, troubles anxieux, et autres troubles psychiatriques - va se déclencher très progressivement, c'est ce que montre l'étude italienne. Elle est devant nous.

« Troubles psys : des maladies comme les autres, qui se soignent »

La psychiatrie française est-elle prête ?

M.L. : Le secteur psychiatrique en France va mal, Comme j'en faisais le constat dans le livre Psychiatrie : l'état d'urgence, en 2019. Depuis, un délégué ministériel à la santé mentale a été nommé, quelques appels d'offres de soutien à la recherche et l'innovation ont été lancés, avec des sommes assez dérisoires face à l'enjeu de la santé mentale. On peut craindre que ce système qui était déjà fragile ne tienne pas le choc face à une augmentation des nouveaux cas, des rechutes, sans oublier les arrêts de soignants qui ont été confrontés à des situations très difficiles. On compte déjà énormément de postes vacants… On a vraiment besoin de faire de la recherche pour que les innovations améliorent la prise en charge au quotidien. Or, on n'a pas de soutien pour cela.

Quels conseils donner aux Français qui se poseraient des questions sur un proche, ou sur eux-mêmes ?

M.L. : Il est crucial de passer un message aux gens qui ont eu la Covid et sont très fatigués : il faut être sûr que cette fatigue n'est pas le symptôme d'un épisode dépressif. Si l'on se sent plus fatigué le matin que le soir, avec des troubles du sommeil, de l'appétit, plus de plaisir à faire les choses que l'on aime, il faut consulter. On est en train de construire des outils d'autodiagnostic en ligne pour permettre aux gens de faire le point. Comme pour toutes les maladies chroniques, plus vite on est pris en charge, meilleur est le pronostic. Surtout, il faut oublier toute honte, encore trop souvent présente autour des troubles psy en France. Ce sont des maladies comme les autres, qui se soignent. Quand on a du mal à respirer, on va voir son généraliste. Pour la dépression, c'est pareil.

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