Crise sanitaire : « Il faudra donner du sens à ce que nous avons vécu »

Publié le

Par Propos recueillis par Émilie Gilmer

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

Illustration
© Astrid di Crollalanza

Tandis qu’une sortie progressive du confinement se profile, le retour à une vie « normale » peut constituer une nouvelle épreuve. À moins que nous trouvions les bons leviers psychologiques pour rebondir. L’éclairage de Dana Castro*, psychologue clinicienne et psychothérapeute.

Quels sont vos conseils pour aborder la sortie du confinement ?

Dana Castro : Mon premier conseil est de travailler sur la représentation que l’on se fait de « l’après », en se méfiant d’ores et déjà des discours extrêmes. D’un côté, les idéalistes qui pensent que le monde de demain ne sera que bonheur et humanisme. Et de l’autre, les catastrophistes, pour qui la pandémie annonce la fin des temps.

Le problème de ces discours est qu’ils risquent de générer des comportements tout aussi extrêmes. Le premier serait d’assimiler la sortie du confinement à une libération et de vouloir compenser le temps perdu en s’adonnant à de multiples activités : sortir et boire beaucoup par exemple. Le deuxième serait, à l’inverse, de considérer qu’il est encore trop tôt pour s’aventurer à l’extérieur et de développer des conduites de vigilance excessives (difficulté à fréquenter certains endroits, phobie sociale…).

Qu’est-ce qui peut nous aider à nous projeter dans « l’après » ?

On peut commencer à se demander ce qui est (et sera) le plus utile pour soi et sa famille et comment réorganiser son quotidien. En effet, la sortie du confinement va exiger de notre part que nous nous réadaptions à un nouveau rythme, en y intégrant les déplacements, les sollicitations diverses. Car même si nous parvenons à structurer nos journées pendant le confinement, nos activités sont limitées et nous sommes éloignés d’un rythme ordinaire.

La deuxième chose qui me semble importante est d’essayer au maximum de se mettre dans un état d’esprit positif. Si on sort du confinement en se disant que cela n’a servi à rien, qu’on a été des victimes et qu’il faut trouver un bouc émissaire, l’après sera très compliqué. Mieux vaut envisager cette sortie de crise comme un renouveau.

En quoi cette sortie de crise est « un renouveau » ?

L’enjeu du « déconfinement » est de vivre comme avant tout en tenant compte du poids du confinement. On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. Notre travail sera de donner du sens à cet épisode. L’altruisme dont on fait preuve actuellement sera, par exemple, un des facteurs de résilience (« en restant chez moi, j’ai sauvé des vies »). En effet, la contribution que l’on apporte à l’effort général donne du sens à l’épreuve. Il faut aussi se dire que traverser des périodes difficiles rend plus fort.

Je suggère à chacun de se poser la question : qu’est-ce que le confinement m’a appris sur moi-même ? Que je suis capable de résister à la frustration, que je suis créatif, que je peux combattre l’ennui autrement qu’avec des séries TV ou de l’alcool… Le renouveau passera également par le lien social : parler avec les autres de cet épisode et leur demander comment ils l’ont vécu, ce que cela leur a apporté.

Est-ce qu’on peut toutefois s’attendre, chez certains, à une forme de stress post-traumatique et comment y faire face ?

Oui, c’est possible. Les personnes les plus à risque sont celles qui ont perdu un être cher et qui n’ont pas pu organiser des funérailles en bonne et due forme. Ce sont aussi celles qui risquent de tout perdre matériellement après le confinement (comme certains commerçants dans la restauration ou l’hôtellerie par exemple).

Ce stress peut aussi apparaître chez ceux qui vivent mal le confinement en raison de conditions difficiles (un logement exigu par exemple) ou qui se sont sentis inutiles pendant la période. En effet, le fait d’agir – en continuant à travailler ou en menant des actions de solidarité (préparer à manger pour les soignants, fabriquer des masques…) – donne dans une certaine mesure un sentiment de contrôle. Cela protège contre les films catastrophe que l’on peut se faire dans la tête.

Concernant les symptômes à surveiller : des troubles du sommeil, la perte d’intérêt pour tout type d’activité et un sentiment d’insécurité qui perdure doivent amener à consulter.

Et les enfants, comment les accompagner dans ce retour à la « vie normale » ?

Le plus simplement possible, en répondant à leurs questions au jour le jour. L’idée est de les rassurer sans leur cacher la vérité. On peut dire par exemple : « Ça sera comme avant mais avec quelques différences. Par exemple, on ne pourra peut-être pas inviter tout de suite tes copains à la maison mais ça viendra plus tard. »

Comme chez les adultes, les enfants ont besoin de se projeter dans un avenir sécure pour que le passage ne soit pas trop brutal. Mon conseil est de commencer à évoquer le retour à l’école avant, d’interroger l’enfant sur la façon dont il souhaite s’habiller, sur ce qu’il pense dire à ses camarades ou à sa maîtresse. Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que les enfants ne sont pas à l’abri d’un traumatisme laissé par le confinement.

Différents symptômes peuvent apparaître : une forme d’anxiété ou une difficulté à reprendre les contacts sociaux. De manière générale, si on observe des changements profonds dans la manière d’être de son enfant, il est temps de se poser des questions et peut-être de demander de l’aide.

On entend beaucoup que la vie ne sera plus jamais comment avant. Pensez-vous vraiment que cette crise va avoir un impact sur nos vies dans les mois et les années à venir ?

C’est une question que je me pose tous les jours. Mais je connais l’être humain et je sais qu’après les périodes de bonnes résolutions, il y a bien souvent un retour aux vieilles habitudes. J’ai tout de même l’espoir que cette crise ait un effet sur notre sentiment de toute-puissance en nous ramenant à davantage d’humilité. Non, nous ne sommes pas invincibles. Non, nous ne contrôlons pas la nature et oui, nous avons besoin des autres pour vivre en sécurité.

Si on intègre tout cela, peut-être que nous nous conduirons avec plus de respect et d’humanisme. Mais c’est encore trop tôt pour savoir quels enseignements seront réellement tirés de cet épisode.

* Auteure de Ces expériences de vie qui nous font grandir (éditions Vigot, 2017)

Par Propos recueillis par Émilie Gilmer

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.
Tous les champs sont obligatoires.

Ce site utilise un système anti- spams pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

A découvrir