Gilles Paris : « Je suis devenu plus empathique après mes dépressions »

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Par Anaïs Daniel

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© Didier Gaillard-Hohlweg

L’auteur Gilles Paris publie Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, un récit sur ses années de dépression. Il y expose l’accablement, l’épuisement et les angoisses, mais aussi la lutte pour la guérison contre celle qu’il nomme « la bête ».

Gilles Paris est écrivain et travaille dans l’édition. Le film adapté de son roman Autobiographie d’une courgette a remporté deux César.

Dans Certains cœurs lâchent pour trois fois rien*, l’auteur se livre au sujet de ses dépressions. Il y raconte sa jeunesse et ses excès, mais aussi ses relations familiales brutales. Chaque chapitre présente un aspect de la maladie : la fréquentation des hôpitaux psychiatriques, les rapports entre patients, la difficulté de restaurer un équilibre de vie… Si, comme le rappelle Gilles Paris, chaque dépression est différente, ses huit rencontres avec la maladie lui ont permis de mieux l’appréhender et d’apprendre à la combattre.

Dès le début du livre, vous précisez que les dépressions sont très complexes à expliquer. Et pourtant, vous cherchez à comprendre l’origine des vôtres… Avez-vous réellement renoncé à en déterminer les raisons ?

Gilles Paris : La dépression est un réseau très complexe. Cela arrangerait beaucoup de monde, les médecins, le patient et surtout l’entourage, d’en comprendre les origines. Chercher à tout prix à en trouver les causes serait vain. J’ai fait un travail avec un psychanalyste pendant vingt ans pour essayer d’en comprendre les origines. Ce que je présente dans le récit relève de ma propre vérité.

La culpabilité peut être très présente lors de la maladie. Mais d’où vient ce sentiment ?

G.P. : C’est le travail qui m’a renvoyé cette image. Il y a une forme d’hostilité latente dans les entreprises vis-à-vis des personnes dépressives. Les autres ne vous pardonnent pas ce qu’ils considèrent comme un repos, les tâches qu’ils doivent se partager à votre place. Évidemment, je savais que ce que je vivais à l’époque n’était pas du repos. J’ai eu de la chance d’avoir un patron très compréhensif, mais je sentais quand même que les gens autour de moi me ramenaient à cette culpabilité. Ce n’est pas un sentiment qui venait de moi-même.

« La dépression ralentit le temps »

Chez une personne dépressive, le rapport au temps est bouleversé…

G.P. : C’est fou comme le temps est long lors d’une dépression, on ne se rend pas compte à quel point les heures filent lorsqu’on travaille et qu’on a des horaires ! La notion du temps est très singulière au moment de la maladie. On est dans un présent immédiat, on ne peut pas se projeter dans un avenir, le futur est abstrait, abscons. Ce sentiment est accentué par les médicaments que l’on prend et qui nous rendent plus lents qu’à l’ordinaire. Ces temps de pandémie offrent une sensation un peu similaire…

Dans votre récit, vous semblez très perméable au monde qui vous entoure. Comment rester sensible tout en se préservant ?

G.P. : Lors de mes dépressions, je fuyais les gens qui me donnaient l’impression de vider leurs ordures à mes pieds en me confiant leurs expériences affreuses. La vie dissolue des autres n’aide pas à aller mieux…

En réalité, je suis devenu plus humain et plus empathique après mes dépressions. Auparavant, je me repliais beaucoup sur moi-même. Depuis, j’ai appris à me mettre à la place des autres et à pardonner.

« Le sport aide beaucoup lors des dépressions »

C’est une conséquence heureuse mais, à l’inverse, avez-vous perdu quelque chose à la suite de vos dépressions successives ?

G.P. : Effectivement, dans mon cas, il reste quelque chose de la dépression. Il y a une vague de tristesse qui apparaît par moments, comme un léger voile. Par exemple, si je suis assis dehors sur un banc et que quelqu’un s’installe à côté de moi, je vais engager la conversation car je suis sociable. Mais quelque chose a changé. Il y a une fatigue, un peu moins d’allant. Ce n’est « pas comme avant », comme dit la chanson de France Gall que je cite dans le livre.

S’en tenir à un cadre de vie précis, se fixer des règles : certaines habitudes peuvent aider à maintenir un équilibre émotionnel…

G.P. : Je pense que chaque dépression est différente et je ne me permettrais pas de donner des conseils aux personnes en souffrance. Néanmoins, je pense qu’il y a des passerelles entre les dépressions. Le sport, notamment, aide beaucoup. Personnellement, la natation me faisait beaucoup de bien. Quand j’étais en hôpital psychiatrique à Montpellier, la sensation de plonger dans du liquide m’aidait à m’échapper de la réalité. Indépendamment des endorphines apportées par l’exercice, la discipline physique sert beaucoup car on se prouve à soi-même qu’on peut y arriver. Alors qu’on croit flancher, on tient et on y arrive ! Le gainage physique aide à maintenir un gainage mental.

« La dépression reste taboue alors qu’elle touche près de 300 millions de personnes »

La question de la dépendance aux médicaments s’est-elle posée ?

G.P. : Les dépressions sont longues et les remontées ne sont pas simples, mais je n’ai jamais repris de médicaments durant ces périodes de guérison. Au contraire, j’ai pu arrêter progressivement sur les conseils du médecin car je respectais une certaine discipline.

Cependant, je ne vais pas le cacher, j’ai eu du mal à me défaire des somnifères. Renoncer aux antidépresseurs a aussi été compliqué, mais il s’agissait plus d’une dépendance psychologique que physiologique. C’est comme le fait de revenir sans cesse vers un psychanalyste, cela fait office de béquilles qu’il faut lâcher à un moment.

Comment abordez-vous la parution du livre et le fait de partager cette intimité, jusqu’ici tue ?

G.P. : Je suis très serein. Si je peux aider avec ce témoignage, tant mieux. J’ai atteint la soixantaine et je n’ai plus rien à prouver. La dépression reste taboue alors que cela touche tout de même près de 300 millions de personnes dans le monde !

Quand vous avez un souvenir, c’est comme une photo en noir et blanc. On peut choisir de l’embellir ou de lui donner des couleurs. Dans le livre, je voulais revenir à du noir et blanc pour parler de la dépression. Je ne souhaitais pas l’enjoliver, ni la faire scintiller. En même temps, le dernier chapitre de mon livre se rapproche de la joie et de la légèreté. Ce sont des mots un peu galvaudés aujourd’hui, et pourtant je pense que nous en avons besoin en ces temps particuliers.

*Editions Flammarion, 224 pages.

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