Jeunes et alcool : comment modérer leur consommation ?

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Par Pauline Hervé

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Malgré les campagnes de prévention, l’alcool reste en France la première substance psychoactive expérimentée, trop largement et trop tôt, par les adolescents. En cause : la facilité à s’en procurer, la culture française du vin et le marketing ciblé des alcooliers.

Banalisé, ancré dans la culture « festive », l’alcool entre très tôt dans la vie des jeunes Français. Plus de trois quarts des élèves en ont déjà consommé à la fin du collège et quatre sur dix à l’entrée en sixième, selon l’enquête ENCLASS menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Quelques années plus tard, au lycée, la moitié des jeunes déclare avoir déjà été ivre. De l’alcool, trop tôt, en trop grande quantité et trop souvent : ce constat inquiète les addictologues.

Risque accru de dépendance à l’âge adulte

L’alcool reste la première cause de mort sur la route chez les 18-24 ans en France. Et il provoque de nombreux comportements à risque : violences, rapports sexuels non protégés… Il est aussi dangereux à un âge où le cerveau est encore en plein développement et « plus vulnérable aux substances psychoactives avant l’âge de 21 ans », martèle le Dr Nicolas Prisse, président de la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives).

Les conséquences à long terme de l’alcool sont parfois oubliées : plus l’âge de la première consommation est précoce, plus il existe un risque de développement vers des abus et une dépendance à l’âge adulte.

L’alcool, trop facile à acheter

Les campagnes de prévention se succèdent. Pourtant, l’alcool reste prisé des jeunes et très consommé. D’abord parce qu’il est facile à acheter malgré l’interdiction de vente aux mineurs. C’est ce qu’ont révélé les magazines 60 millions de consommateurs et Que choisir après avoir mené des opérations de « testing ». Dans 60 % des cas, des jeunes de moins de 18 ans peuvent acheter de l’alcool sans difficulté et sans montrer de pièce d’identité.

La consommation est activement encouragée par le marketing des alcooliers. Les fabricants visent les jeunes consommateurs avec de nouvelles gammes de produits, plus sucrés, aux bouteilles colorées et aux noms enfantins : vin blanc « sucette fruits de la passion », vin rouge « arôme cola », bières édulcorées… Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), étudie ces stratégies marketing. Elle a par exemple trouvé sur le marché des produits ressemblant à des sodas et vendus à moins de trois euros la bouteille pour capter une clientèle jeune.

Pub : un tiers des mineurs exposés chaque jour

La chercheuse mentionne également une forte exposition des mineurs français aux publicités pour l’alcool : placement de produits au cinéma, stands dans les festivals de musique, pages sur les réseaux sociaux, sponsoring de jeunes influenceurs pour présenter les boissons alcoolisées sous un jour positif…

La loi Évin interdit pourtant certaines de ces publicités, mais les industriels de l’alcool respectent peu cette régulation. En conséquence, selon Karine Gallopel-Morvan, près de 30 % des mineurs français sont exposés quotidiennement à la publicité pour l’alcool. Or, souligne-t-elle « les études montrent clairement le lien entre cette exposition et les alcoolisations ponctuelles importantes (ou binge drinking) et l’initiation à l’alcool ».

Consommation en famille

La culture française n’aide pas à reculer l’âge des premiers verres. Près d’un tiers des consommations d’alcool a lieu en présence des parents, selon l’OFDT. Les spécialistes recommandent de changer les pratiques en famille. « La première transgression a le plus souvent lieu dans le cercle familial. Or ces premières expérimentations sont prédictives de conduites à risque ultérieures car elles contribuent à banaliser le produit. Essayons au maximum de reculer le premier verre, demande le Dr Nicolas Prisse. Ce n’est pas grave de ne pas avoir goûté un bon vin à 14 ans ».

Reculer l’âge du premier essai d’alcool, même de la bière, est un enjeu important. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022, piloté par la MILDECA. Bière, vin, ou autre : il n’y a pas d’alcool « doux ».

Alors comment lutter contre ces facteurs qui encouragent l’alcool dès un âge très jeune ? On peut changer les pratiques en famille, donc, et ouvrir les yeux. 10 % des parents seulement pensent que leur ado consomme de l’alcool une fois par semaine alors qu’ils sont 30 % à le faire. Interdire et punir ne sont pas les solutions les plus efficaces auprès des adolescents. En revanche, il est recommandé d’expliquer ses inquiétudes à un jeune chez qui on repère une répétition des ivresses ou des conséquences sur son quotidien (absentéisme, petits accidents). Et de lui suggérer de consulter si besoin.

Imposer un prix minimal de l’alcool

Nombreux sont les addictologues comme le Pr Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions, à demander un prix minimal de « l’unité d’alcool » afin qu’on ne puisse plus vendre de boisson alcoolisée à moins de 2 ou 3 euros. L’Écosse a été la première en Europe à prendre cette mesure, début 2018. Dans l’année qui a suivi, la consommation d’alcool y a baissé de 3 % pour atteindre son niveau le plus bas depuis un quart de siècle.

Dans l’Hexagone, depuis 1997, les « premix », mélanges d’alcool et de soda, sont davantage taxés que les vins. Cette mesure avait divisé leurs ventes par dix en un an. Fin 2018, des sénateurs ont souhaité étendre cette taxe aux vins aromatisés et sucrés. Mais l’amendement a été rejeté par le gouvernement.

Promouvoir des exemples positifs

On peut imaginer de multiplier les initiatives positives comme le Dry January (« janvier sans alcool »). Ce défi, venu du Royaume-Uni, a connu une popularité étonnante en France cette année, à l’instar du mois sans tabac, et les pouvoirs publics sont en train de préparer une première édition d’un « Dry January à la française » pour le début de l’année 2020.

Enfin, face à l’enjeu de santé publique que représentent l’alcool et son coût social de 120 milliards d’euros par an, le Gouvernement a annoncé en décembre 2018 la transformation du fonds de lutte contre le tabac en fonds de lutte contre les addictions. Doté d’un budget de 120 millions d’euros, il permet non seulement de renforcer et de poursuivre des programmes dédiés à la lutte contre le tabac, mais également de déployer des actions de prévention portant sur les autres addictions, notamment l’alcool et le cannabis.

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