Karine Lacombe : « Avec l’épidémie de Covid-19, on a flirté avec les limites de nos connaissances »

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Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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En première ligne dans la lutte contre le coronavirus, l’infectiologue Karine Lacombe fait le point sur les traitements en cours, la maladie et ses parts d’ombre, son sentiment sur un possible rebond de l’épidémie.

Le professeur Karine Lacombe dirige le service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine à Paris.

Où est-on dans la recherche de traitements et de vaccin pour la Covid-19 ?

Karine Lacombe : Les traitements avancent petit à petit. Le virus est allé vite. Monter un essai thérapeutique pour évaluer un médicament n’est pas si simple, bien que les process aient été réduits. On est passé d’un an à quinze jours pour certains médicaments.

Ces essais portent notamment sur les médicaments repositionnés, c’est-à-dire qui existent et dont on connaît les effets secondaires potentiels. Certains ont des résultats prometteurs et sont à suivre. D’autres, comme la chloroquine ou le lopinavir, n’ont pas démontré leur efficacité.

Un essai est en cours sur le transfert d’immunité passive*. Les résultats ne sont pas encore connus mais on utilise déjà le plasma de convalescents chez des patients qui ont des formes chroniques et durables de Covid-19. C’est encourageant car ça marche plutôt bien.

La vaccination reste la meilleure arme préventive. Or, il est trop prématuré de parler d’une mise sur le marché d’un vaccin. Un des points importants pour son développement est que les personnes guéries de la Covid-19 développent des anticorps neutralisants.

*Le transfert d’immunité passive consiste à utiliser le plasma de patients guéris de la Covid-19 pour apporter des anticorps aux malades du même virus.

Isolement des personnes infectées

Que peut-on dire de la progression de l’épidémie ? Va-t-on vers un rebond à l’automne ?

K. L. : L’épidémie est aujourd’hui sous contrôle en France. Elle persiste par flambées sporadiques, à l’état de foyers que l’on diagnostique. De ce fait, on arrive à isoler les personnes infectées et à dépister leurs contacts. Les indicateurs, utilisés pour évaluer l’intensité de l’épidémie**, sont en dessous de ce qui a été modélisé. Nous sommes plutôt confiants.

Je ne pense pas que nous aurons à subir un rebond comme en mars dernier. Même s’il faut rester vigilants. Si on doit remonter au front, nous serons prêts, bien plus armés. Cette fois, nous aurons à disposition des tests, des masques, des traitements… Et notre système de santé a montré que nous étions solidaires, efficaces et investis.

L’épidémie n’est pas maîtrisée partout dans le monde. Et dans d’autres pays, comme la Chine, il semble qu’il y ait une recrudescence. Toutefois, il faut faire attention car il n’y avait pas eu de première vague à Pékin, juste quelques cas. Rien à voir avec la situation qu’a connu la ville de Wuhan.

**Par l’analyse des nombres de nouveaux cas, d’entrées par les urgences, de personnes en réanimation, de décès…

Est-ce qu’il y a autant de cas de Covid-19 qu’il y a de patients ? 

K. L. : On a vu beaucoup de profils cliniques différents: des personnes totalement asymptomatiques, d’autres avec une résurgence de symptômes et des manifestations dont il est difficile de se débarrasser, des patients vraiment très malades…

Il n’y a pas de cas psychosomatiques de Covid-19. En revanche, on est confronté à des phénomènes immunologiques, voire immunoallergiques, qui nécessitent un gros investissement de recherche. Sur le plan physiopathologique (ndlr : troubles fonctionnels engendrés par l’infection), on ne sait pas trop ce qui se passe. Et sur le plan clinique (ndlr : en examinant directement le patient), ces manifestations sont très diverses. C’est assez étonnant.

« Une crise sanitaire majeure »

Qu’est-ce que l’épidémie a changé et permet de constater dans le domaine de l’infectiologie ?

K. L. : C’est une crise sanitaire majeure avec un virus nouveau, une maladie inconnue jusqu’alors. Nous n’avions pas été confrontés à une épidémie de cette ampleur depuis très longtemps, avec une dissémination aussi importante.

L’épidémie d’Ebola était restée concentrée sur le territoire africain. Les autres pandémies grippales sont tout de même très différentes de la Covid-19. Déjà, car il existe un vaccin pour les traiter. À travers ce coronavirus, on voit l’impact de la globalisation et les effets négatifs qu’elle peut engendrer comme la mise à mal du système sanitaire mondial.

Pourquoi tant d’avis divergents sur ce coronavirus ?

K. L. : Notre pays est une démocratie où prévaut la liberté d’expression. Dans son expertise, chacun a des opinions teintées d’affect, de sa culture scientifique antérieure… Lorsque l’on est dans une situation d’incertitude scientifique, on répond avec les armes dont on dispose. C’est impossible de faire entendre une seule voix quand on n’a pas encore établi la vérité sur l’origine du virus, ses signes cliniques, les traitements derrière lesquels se cachent aussi des enjeux politiques et financiers énormes.

C’est difficile de dire que l’on ne sait pas quand on est face à des citoyens extrêmement anxieux qui demandent de l’information et qui ne sont pas rassurés. Dire avec humilité et mesure « voilà ce que l’on sait, ça ne ressemble pas à ceci ou à cela, on pense aller dans cette direction », c’est beaucoup mieux que d’asséner des vérités qui vont changer dans une semaine ou de ne rien dire du tout.

« Une période anxiogène »

Comment avez-vous vécu cette crise en tant que médecin, chercheur et cheffe d’équipe ?

K. L. : Pour un chercheur, c’est une période excitante sur le plan intellectuel car nous sommes face à un nouvel agent infectieux, des conséquences cliniques dont on n’a pas encore fait le tour. Et la recherche thérapeutique a explosé.

Du point de vue médical et citoyen, je dirais que cette période était anxiogène. On n’avait jamais vu arriver le matin des patients sur leurs deux jambes, avoir besoin de dix litres d’oxygène à midi et être intubés en réanimation le soir. C’était très difficile. On a flirté avec les limites de nos connaissances.

En tant que cheffe de service, c’était un enjeu majeur de gestion d’équipe en situation de crise. On prend conscience de l’importance de soutenir tous les membres du service, de la confiance qui est mise en nous, de la nécessité d’aller dans le même sens. Il faut faire preuve d’empathie et de compromis. Pour moi, ça a été une vraie épreuve du feu car cela fait à peine un an que j’ai été nommée à mon poste.

Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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