« L’alcool est la plus dangereuse des drogues » pour le Pr Michel Reynaud, addictologue

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Par Angélique Pineau

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Un quart des Français boit trop*. Pourtant, une consommation excessive d’alcool présente de vrais dangers pour la santé. Le point avec le Pr Michel Reynaud, psychiatre, addictologue et président du fonds Actions Addictions.

La consommation d’alcool ne diminue plus en France. Faut-il s’en inquiéter ?

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Le Pr Michel Reynaud est psychiatre, addictologue et président du fonds Actions Addictions. Crédit photo : DR.

Pr Michel Reynaud : Elle a beaucoup diminué ces quarante dernières années. Car notre pays était un très grand buveur de vin (midi et soir). Néanmoins, la consommation d’alcool reste à un niveau très élevé, l’un des plus élevés d’Europe (qui est d’ailleurs le continent qui consomme le plus). Et surtout, elle ne baisse plus depuis cinq ans.

Les alcooliers ont réussi à enlever des parties de la loi Évin**. Cela a commencé en 2009 avec l’autorisation de la communication sur Internet. Or, on sait que le Web est désormais une source d’information essentielle pour beaucoup de gens. Puis, en 2016, ils ont pu faire passer l’idée que l’information sur les particularités des terroirs ou sur la fabrication du vin par exemple n’était pas de la publicité. Il n’y a donc plus de limites. Chez les jeunes et chez les femmes, on s’aperçoit même que la consommation augmente.

Or, il ne faut pas oublier que la mortalité liée à l’alcool est évaluée à 40 000 morts chaque année dans notre pays. Sans compter toutes les maladies, souffrances ou violences qui en découlent. Les dommages sont donc très importants.

* Près d'un quart des Français de 18 à 75 ans dépasse les repères de consommation, les hommes plus que les femmes (33 % contre 14 %). Source : baromètre de Santé publique France 2017.

Comment se traduit cette « communication » en faveur de l’alcool sur Internet ?

M.R. : On voit de la publicité sur les réseaux sociaux, mais aussi sur des sites d’organisation de fêtes, de sport… Les blogueurs et les influenceurs sont de plus en plus utilisés pour faire la promotion de nouveaux produits, donc pour faire la promotion de l’alcool.

Il y a un ciblage particulier sur les jeunes et notamment sur les jeunes femmes. Le rosé est ainsi devenu très à la mode. C’est même le deuxième vin le plus consommé aujourd’hui. Avec une stratégie qui montre une image valorisante pour elles, à la différence du vin rouge qui serait plus « viril ».

Les conséquences de l’alcool sont-elles plus graves chez les jeunes ?

M.R. : Oui, tout à fait. Les données scientifiques convergent toutes dans ce sens : plus on boit tôt, plus on abîme son cerveau. Le cerveau se formate, se construit pendant l’adolescence et le début de l’âge adulte, puis il se stabilise. Entre 12 et 20-25 ans, on apprend à gérer ses émotions, ses envies, son autonomie, ses relations aux autres, son impulsivité… C’est sur ces circuits en pleine maturation que les drogues et l’alcool agissent.

Tout montre que les cerveaux adolescents sont plus sensibles à toutes les drogues. Celles-ci les altèrent beaucoup plus vite et de façon beaucoup plus durable. Ce qui se traduit cliniquement par un risque de dépendance augmentée. Par ailleurs, ce sont aussi des âges où l’on aime prendre des risques. L’alcool, du fait des accidents de la route est la première cause de mortalité chez les 14-25 ans. Sans parler des violences, des conduites sexuelles à risques…

Vu sa dangerosité, diriez-vous que l’alcool est une « drogue licite », c’est-à-dire en vente libre ?

M.R. : Sans aucun doute. C’est même la plus dangereuse des drogues. Même si souvent, dans la tête des gens, les drogues représentent plutôt tout ce qui est illicite. L’alcool est celle qui entraîne – et de très loin – le plus de dommages. Les comparaisons réalisées par tous les spécialistes des addictions dans le monde le montrent.

Cependant, j’ai l’impression que les mentalités sont un peu en train de changer. Les Français commencent à percevoir les dangers de l’alcool et du tabac, comme pour le cannabis, la cocaïne ou encore l’héroïne. Il ne faut pas cesser de dire et de redire malgré tout qu’ils sont très néfastes.

Donc vous considérez que la réglementation n'est pas assez stricte ?

M.R. : En effet, elle ne l’est pas assez. Il y a encore une facilitation et même une incitation à la consommation trop importantes aujourd’hui en France.

L’alcool est encore présent dans les entreprises par exemple…

M.R. : Il me semble qu’il y a quand même eu une prise de conscience. Les entreprises et la plupart des branches professionnelles ont compris que les dommages causés par la consommation d’alcool (accidents, arrêts de travail, tensions, violences…) sont plus nombreux que les bénéfices (convivialité, lien social…).

Mais pour ne pas être perçu comme une punition, il faut toutefois qu’un pot sans alcool puisse proposer des alternatives suffisamment sympathiques : différentes eaux minérales, des jus de fruits, des cocktails… C’est la même chose d’ailleurs quand vous allez dans un bar. Parfois, pour ceux qui ne souhaitent pas boire d’alcool, il n’y a pas beaucoup de choix.

Alcool dans les entreprises : que dit la loi ?

L’employeur peut autoriser l'alcool sur le lieu de travail, mais seulement certains alcools : le vin, la bière, le cidre et le poiré. Et uniquement au restaurant d'entreprise ou lors d'une occasion particulière (pot de départ, fête de fin d'année…). L’entreprise peut aussi décider de limiter voire d'interdire toute consommation d'alcool dans ses locaux, pour la sécurité de ses salariés et afin d’éviter les accidents. Dans ce cas, cela doit figurer dans le règlement intérieur ou être précisé par note de service.

Pour en savoir plus, voir le Code du travail (articles R4228-19 à R4228-25).

Diriez-vous que tout le monde peut basculer d’une consommation raisonnable à la dépendance à l’alcool ?

M.R. : Clairement, on n’est pas tous égaux par rapport à la dépendance. Certaines personnes sont beaucoup plus à risques que d’autres. C’est le cas des chercheurs de sensations, qui ont besoin de vivre des choses fortes. On sait que ceux-là vont plus s’accrocher. Il y a aussi ceux qui ont une souffrance interne. Elle peut être due à une phobie sociale, à une histoire douloureuse, à un stress post-traumatique… Ils ont l’impression de se sentir mieux avec l’alcool, ou d’autres produits d’ailleurs. Cela les calme pendant un temps. Puis, la dépendance s’installe petit à petit.

À l’occasion de difficultés de vie (séparation, deuil, licenciement…), et alors que l’on avait une consommation relativement contrôlée, on peut aussi se mettre à boire pour calmer cette souffrance nouvelle. Et ainsi basculer dans la dépendance.

Enfin, il existe également une vulnérabilité génétique héréditaire. C’est un élément dont il faut tenir compte. Si l’on a des parents qui sont des dépendants à l’alcool ou à d’autres produits, il faut avoir conscience que l’on est plus à risques.

Il faut aussi rappeler qu’il n’y a pas de consommation d’alcool sans risque ?

M.R. : En effet, les études épidémiologiques ont montré que le risque augmente au premier ou au deuxième verre régulier. En particulier pour le risque de cancer et notamment de cancer du sein chez les femmes. Et à partir de trois ou quatre verres réguliers par jour, il y a une augmentation exponentielle du risque. Aussi, on ne peut pas considérer l’alcool comme un produit anodin. Le risque est simplement limité lorsqu’on respecte les préconisations officielles de Santé publique France, qui se base sur la littérature internationale.

Alcool : quels sont les repères de consommation ?

Les recommandations officielles ont été revues début 2019. Désormais, Santé publique France indique que la limite à ne pas franchir, c’est 10 verres d'alcool standard par semaine maximum, sans dépasser 2 verres par jour. Et avec deux jours dans la semaine sans boire. Par ailleurs, c’est toujours zéro alcool pour les femmes enceintes.

À lire aussi nos articles : Consommation d’alcool : dix verres maximum par semaine et Grossesse et alcool : quels sont les risques ?

La société a encore du mal, parfois, à considérer que la dépendance à l’alcool est une maladie. Et non pas juste une question de volonté…

M.R. : La société devrait admettre que c’est une maladie qui doit être prise en charge. Ce qui n’est pas encore le cas puisque la dépendance à l’alcool n’est pas reconnue comme une affection de longue durée (ALD). Or, à certains stades, elle peut être invalidante ou nécessiter des soins importants qui devraient être pris en charge. Il n’y a pas non plus de reconnaissance de la démence alcoolique… En quelque sorte, on ne veut pas voir la gravité de la maladie.

Il est vrai que cela commence par un choix volontaire. Et cela le reste pendant un certain temps. La perte de contrôle est progressive, au fur et à mesure que l’on devient dépendant. Le patient lui-même a tendance à dire « je gère » et c’est vrai il gère (un peu) au début. Mais cela ne dure pas. La dépendance est une reprogrammation du cerveau qui fait que la partie raisonnable est progressivement anéantie. Boire de l’alcool devient alors un comportement réflexe.

Il faut dire malgré tout aux personnes qui seraient tombées dans l’alcool qu’il est possible de s’en sortir. Mais comment ? Existe-t-il une méthode ?

M.R. : Oui, bien sûr, il est possible de s’en sortir. Et il y a diverses manières de rentrer dans le soin. Cela peut se faire par l’intermédiaire de son généraliste, à qui on peut parler de son problème au cours d’une consultation, par un addictologue, mais également par le biais d’associations de patients qui peuvent accompagner dans la démarche d’arrêt de l’alcool.

Il arrive aussi parfois que quelqu’un aille aux urgences à cause d’une complication (un problème hépatique, un diabète ou une hyperlipidémie qui s’installe ou une hypertension…) et tombe sur quelqu’un qui s’intéresse aux addictions et qui va l’accompagner.

Pour arrêter, il faut surtout être soi-même motivé à changer. À partir du moment où l’on souhaite en finir avec l’alcool, le plus souvent on arrive à s’en sortir si l’on est accompagné par des gens compétents. Même si cela ne marche pas forcément dès la première fois…

Les addictologues : des médecins spécialisés

Spécialisés dans la prise en charge des addictions (alcool, tabac, drogues, jeux…), les addictologues sont souvent diplômés en psychiatrie. Mais il peut aussi s’agir d’autres médecins (généralistes par exemple) avec une formation spécifique en addictologie.

À savoir : pour trouver un soignant ou une structure près de chez vous, voir l’annuaire sur le site d’Addict’Aide.

Pour en savoir plus :

Il existe plusieurs sites pour vous informer sur l’alcool et ses dangers ou encore pour vous faire aider ou pour aider une personne de votre entourage.

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