La charge mentale, en santé aussi

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Par Victoire N’Sondé

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En plus des tâches domestiques et de l’éducation des enfants, nombreuses sont les femmes qui gèrent la santé et les rendez-vous médicaux de toute la famille. Une charge mentale qui risque de dégrader leur propre santé.

Il aura fallu attendre près de 40 ans pour que Monsieur ou plutôt Madame Tout le monde s’empare du concept de "charge mentale", une notion développée en sociologie dans les années 80.
Pour la psychiatre Aurélia Schneider, sa première occurrence remonte précisément à 1984, sous la plume de la sociologue française Monique Haicault*. « Elle [Monique Haicault] définit la charge mentale comme le fait de devoir penser à un domaine alors qu’on se trouve physiquement dans l’autre. Ainsi, la charge mentale n’est ni un cumul ni une (simple) addition de tâches ; ce n’est pas non plus vivre deux journées en une seule. C’est le fait de coexister dans deux mondes à la fois et pas seulement l’un après l’autre », rapporte Aurélia Schneider dans son livre « La charge mentale des femmes…et celles des hommes » (éditions Larousse).
Malgré l’intitulé de son ouvrage, la spécialiste déplore que la charge mentale se conjugue encore majoritairement au féminin. « A l’exception des couples résolument avant-gardistes, ou inspirés de modèles étrangers, c’est principalement sur les femmes que retombe l’anticipation constante de toutes les charges inhérentes à la gestion d’une famille et bien souvent menées en parallèle de leurs obligations professionnelles ».

Un concept popularisé par une BD

Ce n’est pourtant qu’en 2017, avec le succès de la bande dessinée « Un autre regard. 2, Fallait demander » (Emma, éditions J’ai lu), que l’expression devient populaire. Est-ce à dire qu’en 40 ans, rien n’a évolué ? « Nous sommes encore habités par les stéréotypes : à la femme, la sphère privée et la reproduction, à l’homme, l’espace public et la production », répond Christine Castelain-Meunier, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)**. En pratique, pèse sur la femme la responsabilité d’organiser les tâches domestiques (repas, ménage, lavage du linge…) et également, quand elle est mère, celle de suivre la scolarité des enfants. Lui incombe aussi souvent la gestion des rendez-vous médicaux de la famille…

Des mères en charge de la santé des enfants, du conjoint…

C’est ce que raconte Sylvie, 53 ans, qui a accepté de témoigner pour Essentiel Santé Magazine. Après la naissance de son fils, il y a 13 ans, tout s’emballe. Et ce d’autant plus que, petit, l’enfant souffre de maux de ventre inexpliqués et qu’il rencontre des difficultés pour apprendre à lire et à écrire. « Avec l’arrivée du petit, ça a fait une charge supplémentaire. Pour mon fils, je prenais tous les rendez-vous chez le pédiatre puis chez le dentiste, l'ophtalmologue, l'ORL, l'orthophoniste, la psychomotricienne, l'orthoptiste, la psychologue (de temps en temps), l'ostéopathe, le gastro-entérologue, la dermatologue...sans compter les prises de sang, les radios, les visites chez le médecin traitant, les vaccins...Jamais mon mari ne m'a suggéré de prendre rendez-vous à ma place ».

Cumuler contraintes familiales et professionnelles

De surcroît, Sylvie doit jongler avec de réelles contraintes d’emploi du temps, du fait de son métier. « Je suis hôtesse de l'air, avec un planning professionnel connu le 25 du mois, pour le mois d'après ! ».
Sylvie se charge aussi de caler des consultations annuelles d’importance de son conjoint. « Etant patient à risque et ayant 50 ans passés, il doit faire l'examen du contrôle de la prostate tous les ans. Or, il y a deux ans, il a tellement tardé à s'en occuper que l'ordonnance a périmé et il a eu une année sans contrôle ! ». S’ensuit une prise de conscience. « Devant le peu d'investissement de mon mari, j’ai décidé que si j'arrivais à faire mes contrôles gynécologiques régulièrement, il pouvait très bien s’occuper de ses rendez-vous médicaux lui-même ».

Gérer la santé des proches au détriment de la sienne

Quand on demande à Sylvie comment elle vivait sa situation, elle évoque de l’angoisse et de l’irritabilité, en particulier quand son conjoint oubliait les rendez-vous qu’elle avait eu tant de mal à obtenir. Hyperréactivité émotionnelle, fatigue importante, troubles du sommeil mais également des symptômes physiques pouvant aller de la migraine à des douleurs… quand la charge mentale devient trop lourde, les conséquences sur la santé physique et mentale varient d’une personne à l’autre. Mais elles ne doivent pas être minimisées. « L’alerte principale réside dans des symptômes d’une intensité et d’une durée anormales », résume le Dr Aurélia Schneider.

Le père doit s’impliquer davantage

Sylvie a trouvé en elle la force pour dire stop… Mais toutes les femmes ne disposent pas des mêmes ressources. Des mesures fortes s’imposent, juge Christine Castelain-Meunier. « Il faut que le père s’implique davantage et construise sa paternité dès le plus jeune âge de l’enfant. En 2002 déjà, j’avais proposé qu’on allonge le congé paternité. Il vient de passer à 25 jours (+3 jours) mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi veiller à l’éducation des garçons ». Pour l’avenir, la sociologue se veut néanmoins optimiste. « Chez les 25-45 ans, les femmes s’affirment et les hommes ne veulent plus être des aidants mais des partenaires », conclut-elle.

*Haicault Monique. « La gestion ordinaire de la vie en deux ». In: Sociologie du travail, N°3, 1984.
**Christine Castelain-Meunier est l’autrice de « L’instinct paternel, plaidoyer en faveur des nouveaux pères » (éditions Larousse), « Et si on réinventait l’éducation des garçons ? » (éditions Nathan) et « Devenir écoféministe. 15 actions au secours de la planète » (éditions De Boeck).

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