La fibromyalgie en 10 questions

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Par Propos recueillis par Nathania Cahen

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

Sommaire

C’est une de ces pathologies mal connues du grand public et des professionnels. Souvent source de grande fatigue et de douleurs, la fibromyalgie est une maladie inflammatoire entourée d’idées reçues et d’approximations. Qui concerne-t-elle ? Et peut-on en guérir ? Explications.

 

Dr Stéphanie Ranque-Garnier
Crédit photo : Florian Launette

Le Dr Stéphanie Ranque-Garnier est médecin au Centre d’évaluation et traitement de la douleur (CETD) du CHU de La Timone à Marseille. Elle mène depuis 4 ans le programme de recherche sur la fibromyalgie : Fibromy’activ.

Ce programme étudie l’efficacité de l’activité physique sur la qualité de vie des patients ainsi que les mécanismes biologiques et cérébraux qui sous-tendent cette efficacité. Elle répond à nos questions sur la fibromyalgie et dresse l’état des lieux.

La fibromyalgie ressemble-t-elle aux rhumatismes ?

Non. Même si les patients sont souvent adressés dans les services de rhumatologie. Les douleurs peuvent apparaître un peu partout, n’importe quand, mais ne se concentrent pas uniquement sur les articulations ou les muscles. C’est une maladie inflammatoire du système nerveux, qui se caractérise, entre autres, par un dysfonctionnement de l’appareil gérant l’alarme de la douleur. Les symptômes sont multiples : douleurs éparses, fatigue non améliorée par le repos, troubles cognitifs et sommeil non réparateur.

Autre signe clinique, les cinq sens sont exacerbés mais à mauvais escient : les sons sont saturés, la lumière éblouit, la douleur n’est pas correctement ressentie (trop ou trop peu). Si l’on rajoute le manque de reconnaissance, un sentiment d’inefficacité et d’injustice, la dramatisation, l’impact social familial professionnel… la dépression n’est jamais loin.

Est-on obligé d’arrêter de travailler ?

Non. Mais le travail doit pouvoir être adapté au patient, à ses rythmes, à ses capacités. Et rester valorisant. Il est déconseillé de rester dans la même position plus d’une heure d’affilée (assis devant un bureau ou en mouvement trop longtemps). C’est donc inventer une organisation dans le travail qui alterne des mobilisations avec des périodes statiques. Continuer à travailler est préférable car cela donne un sentiment d’utilité sociale, mais si le contexte est favorable.

La fibromyalgie ne touche-t-elle que les femmes ?

Non. Mais il est vrai que cette maladie affecte plutôt les femmes : à plus de 80 %. Il n’y a pas encore d’explications à cet état de fait. Pour ceux qui font des raccourcis péjoratifs, une femme qui se plaint de fatigue et de tas de symptômes incompréhensibles va s’expliquer par le fait qu’elle est flemmarde et/ou hystérique…

On entend encore le très injuste, voire malveillant, « ce n’est pas une vraie maladie, c’est juste dans leur tête ». Pourtant, cette affection est bien réelle.

Cette maladie ne concerne-t-elle que les adultes ?

Non. Les enfants aussi, peuvent en être atteints sans distinction d’âge. Mais le diagnostic porte moins souvent le titre de fibromyalgie, pour ne pas leur coller une étiquette si tôt. D’autant que dans les formes juvéniles, on constate souvent des améliorations avec l’âge, surtout quand une dépression ne s’y est pas associée.

Peut-on guérir de la fibromyalgie ?

Oui et non. Il existe un terrain propice qu’on ne peut pas modifier. Quand la maladie s’est déclenchée, il est rare d’en guérir totalement, une crise est toujours susceptible de survenir. Mais ce n’est pas une maladie neurodégénérative. Et il est fréquent que les symptômes s’amenuisent avec le temps, surtout si le patient ne tombe plus dans les pièges que lui tend cette pathologie (inactivité, mauvaise gestion des émotions, du stress, fonctionnement en dents de scie…).

La prescription d’activité physique fait-elle partie du traitement ?

Oui. Le traitement, essentiellement non médicamenteux, repose sur l’activité physique ainsi que sur l’éducation thérapeutique, l’apprentissage des techniques psychocorporelles et cognitivo-comportementales. Il faut utiliser son usine musculaire pour lutter contre la fatigue et autres symptômes, inverser la tendance de la neuro-inflammation. Mais pas en pratiquant un sport intensément ni une activité physique contrainte : on n’est pas dans la performance. Il s’agit juste de contracter ses muscles chaque jour, de manière adaptée, pour qu’ils puissent sécréter suffisamment de myokines*.

Les règles de base sont :

  • Suivre ses goûts (activité en milieu aquatique : longe cote, aquagym, vélo sur route ou appartement, mouvements sur sa musique préférée, marche avec un ami, avec un chien, dans la nature…) et varier les plaisirs.
  • Respecter ses besoins physiologiques : 30 minutes par jour minimum (à fractionner si nécessaire), en s’hydratant correctement, en prenant soin de s’échauffer avant et de s’étirer après.
  • Suivre sa condition physique : ni trop ni trop peu, sans se mettre en situation d’échec ni dépasser les limites, ce qui exacerberait les symptômes (respecter par exemple des sessions de 20 à 30 minutes de marche, même si on peut faire bien plus, car 40 minutes exacerbent la douleur, et 2 heures aboutissent à l’épuisement).

* Substance produite par l’effort musculaire qui régule certaines fonctions immunitaires.

La fibromyalgie est-elle une maladie orpheline ?

Non. 4 à 8 % de la population mondiale est touchée, ce qui est énorme. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a reconnue en 1992. Les coûts moyens directs et indirects varieraient de 5 500 à 10 000 euros par an et par patient selon la sévérité de la maladie.

Est-ce une maladie héréditaire ?

Non. On ne peut considérer la fibromyalgie comme affection héréditaire car ce n’est pas une maladie réduite à une cause génétique. En revanche, il y aurait un terrain favorisant constitué de 400 gènes. Et la question de la transmission d’un tel terrain se pose.

De plus en plus de personnes en sont-elles atteintes ?

Non. Cette affection a toujours existé, mais elle aurait été très fortement sous-diagnostiquée. On la dépiste désormais mieux et plus tôt, même si on compte encore une moyenne de huit ans entre les premiers symptômes et le diagnostic.

Aujourd’hui, les médecins (généralistes, rhumatologues, internistes…) sont un peu mieux informés et des centres antidouleurs, bien qu’en fort sous-effectif, sont apparus sur le territoire depuis les années 1980 avec une reconnaissance de cette affection par l’OMS en 1992. Tout cela reste bien récent !

La recherche sur la fibromyalgie est-elle au point mort ?

Non. Notre programme de recherche (mais d’autres sont menés ailleurs) en atteste. Il démontre à ce jour que l’activité physique, si elle est bien adaptée, au mieux améliore les symptômes douloureux au pire ne les aggrave pas, mais soulage quasi systématiquement et instantanément en fin de séance l’humeur, la concentration, la fatigue. Le sommeil de la nuit qui suit est de meilleure qualité, plus réparateur. C’est donc un traitement d’action immédiate sur des symptômes souvent non traités, dont la fatigue (on peut déjà affirmer cela).

Pratiquée régulièrement, l’activité physique permet une amélioration de la qualité de vie. Avec, nous l’espérons, un impact sur la diminution des consommations médicamenteuses, du recours au système de soin et une reprise professionnelle favorisée. Quant aux mécanismes d’action, nous sommes en train d’étudier nos données…

Par Propos recueillis par Nathania Cahen

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