Le Covid-19 a dégradé la santé mentale des plus jeunes

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Par Patricia Guipponi

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Les études menées et les remontées de terrain des professionnels de la santé et de l’enfance tirent la sonnette d’alarme. Troubles anxieux, dépressions, gestes suicidaires en hausse montrent combien la pandémie a fragilisé les enfants, les adolescents et les jeunes.

La pandémie de Covid-19 et les mesures sanitaires prises pour enrayer sa propagation ont eu, et continuent à avoir, un impact sur la santé mentale de la population dont celle des enfants, des adolescents et des jeunes. C’est ce qui ressort des diverses études menées depuis mars 2020, date du premier confinement et de la fermeture des établissements scolaires. C’est aussi ce que pointent les retours de terrain des professionnels de la santé, de l’enfance, de l’éducation nationale.

La santé mentale des plus jeunes s’est sérieusement dégradée. Santé publique France s’en fait régulièrement l’écho dans ses bulletins de surveillance*. Depuis mars 2020, les diverses données récoltées démontrent, entre autres, une augmentation des passages aux urgences pédiatriques chez les 11 à 17 ans pour des gestes ou idées suicidaires, des troubles de l’humeur. La tranche des 11 à 14 ans est la plus touchée.

En novembre 2021, Claire Hédon, la Défenseure des droits, a tiré la sonnette d’alarme dans son rapport annuel sur les droits des enfants. Elle y a relevé une hausse significative des troubles anxieux et des phobies sociales. 20 % des 15-24 ans présentaient un syndrome dépressif en 2020, contre 10 % en 2019. Plus récemment, le 5e rapport de l’Observatoire national du suicide a mis notamment en exergue une hausse très marquée des gestes suicidaires chez les adolescentes et les jeunes femmes dès mars 2020 et jusqu’au premier semestre 2022.

Une fréquentation de plus de 30 à 40 % des urgences pédiatriques

Cette situation très préoccupante s’illustre à l’échelle mondiale. À la suite d’une enquête menée dans 21 pays, l’Unicef indiquait qu’un jeune sur cinq, âgé de 15 à 24 ans, déclarait se sentir souvent déprimé ou désintéressé. Plus d’1,6 milliard d’enfants ont vu leur éducation affectée négativement. Des troubles mentaux d’anxiété, d’hyperactivité avec trouble de l’attention, de dépression ont été notamment observés.

La professeure Priscille Gerardin, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service CHU de Rouen et cheffe de pôle au CH du Rouvray, le confirme. « Les troubles anxiodépressifs ont explosé chez les jeunes avec une nette augmentation des tentatives de suicides, des violences intra-familiales et des troubles de conduite alimentaire, en particulier l’anorexie mentale ». Les urgences de pédiatrie n’ont pas désempli avec une fréquentation de « 30 à 40 % de plus en période post-Covid ». Nombre d’établissements hospitaliers ont enregistré un fort taux d’hospitalisation des moins de 15 ans pour motifs en lien avec la santé mentale.

Dès avril 2020, la psychologue Yoanna Micoud a pu noter des signes de troubles qui ne trompent pas et recueillir la parole de jeunes bouleversés par la situation sanitaire. « On oublie souvent qu’un enfant n’est pas un adulte miniature mais un être humain en construction. Tout ce qui se passe durant sa toute petite enfance et son enfance laisse des marques et structure sa personnalité. La maturité du système nerveux n’est atteinte que vers 23/25 ans. »

Enfermement et renfermement ont entravé le développement des jeunes

Les ailes des plus jeunes ont été coupées. « Bien qu’étant une génération hyperconnectée, les jeunes ont besoin de faire des expériences, de sortir, d’être porté par des liens sociaux, de voir les copains… La succession d’évènements a provoqué un renfermement et un enfermement aux antipodes des besoins vitaux du développement », relève la professeure Gerardin. Et la psychologue Yoanna Micoud d’ajouter : « On a assisté à une sorte de renversement des valeurs. On leur disait de rester cloîtrés chez eux et devant ce qui était contesté jusqu’alors : les écrans, les jeux vidéo… »

Les adolescents et les jeunes adultes sont les plus touchés. « Or, il ne faut pas négliger l’impact sur les plus petits. On voit se manifester chez certains d’entre eux de l’anxiété, des troubles de conduite… » Des troubles de l’apprentissage sont à craindre. Entre autres. « Nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer les conséquences à long terme et si cela est réversible », poursuit la psychiatre du CH du Rouvray.

Les enfants et jeunes gens, qui étaient déjà suivis sur le plan médical ou en difficultés, ont été évidemment très impactés par le Covid-19 et ses conséquences. « Même si dans un premier temps, certains ont pu trouver dans le confinement un confort. C’est le cas de ceux qui souffrent de phobie sociale, de harcèlement scolaire… »

L’ambiance anxiogène maintenue par la succession d’événements sombres

Les plus fragilisés par la crise sanitaire ont développé des symptômes particuliers dont celui de l’évitement qui consiste à tout faire pour ne pas être confronté à l’objet de sa peur. « Cela peut s’illustrer par la crainte de sortir de chez soi, de retourner à l’école… », indique la psychologue Yoanna Micoud. « Une hyperactivité émotionnelle s’est installée chez certains, manifestée par des crises de panique, d’angoisse. »

D’autres se sont enfermés et mis en retrait du monde. « Ils se sont inconsciemment déconnectés, coupés de tout, d’eux-mêmes. C’est un mécanisme de protection psychique. » Sans compter le phénomène d’altération des pensées dont souffre plus d’un jeune. « Les croyances sont tombées face à la situation catastrophique vécue jusqu’à leur faire penser qu’on allait tous mourir, qu’embrasser quelqu’un était dangereux. Il faut dire que l’on a eu la tendance malheureuse à leur reprocher d’être des dangers, des vecteurs de contamination auprès des plus âgés. On ne les a pas épargnés et protégés. »

Les adultes ont leur part de responsabilité dans le ressenti des plus jeunes. « Leurs proches sont angoissés. Les médias ont un traitement trop sensationnel et négatif de l’information. Les soignants sont pris dans la tourmente. Tout cela ne rassure pas », remarque la professeure Priscille Gerardin. Et la situation s’installe dans la durée, sans date de fin. « Le stress, la peur, le climat anxiogène que l’on vit depuis deux ans et demi sont maintenus avec la succession d’évènements tels que la guerre en Ukraine, les crises climatiques ».

Santé mentale des jeunes : quelles réponses apporter ?

La crise sanitaire est venue se rajouter à une situation déjà très tendue vis-à-vis de la demande en santé mentale des jeunes. « Les Agences régionales de santé ont débloqué des postes supplémentaires pour faire face à ces troubles. Toutefois, une vraie réflexion de fond doit s’engager rapidement avec tous les acteurs concernés : des soignants aux parents en passant par l’éducation nationale et les pouvoirs publics », souligne la professeure Priscille Gerardin, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service CHU de Rouen et cheffe de pôle au CH du Rouvray.

En 2022, Santé publique France a lancé Enabee, une étude pour faire remonter les indicateurs sur les difficultés et la santé mentale des 3-11 ans. Cette étude est encadrée par un comité scientifique (pédopsychiatres, psychologues, épidémiologistes…) et menée sur des classes du CP au CM2. Elle est d’abord mise en place chez les enfants de moins de 11 ans car les données les concernant sont manquantes ou trop parcellaires. Elle permettra notamment aux pouvoirs publics de mettre en œuvre des stratégies de prévention et de prise en charge des enfants.

* Ces données sont tirées, entre autres, des consultations de l’Organisation de la surveillance coordonnée des urgences (Oscour), de SOS médecins.

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