Les dérives sectaires ont fortement augmenté avec la crise sanitaire

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Par Patricia Guipponi

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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La situation anxiogène, engendrée par le Covid-19, est un terrain propice à l’expansion des thèses complotistes et apocalyptiques, à la défiance envers les vaccins, aux thérapies alternatives… C’est ce que démontre un récent rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dont les saisines ont progressé de 38 % dans le domaine de la santé.

Un rapport alarmant a été remis le 25 février 2021 à Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, en charge de la Citoyenneté. Il fait état d’une forte augmentation des dérives sectaires* et des saisines de la Miviludes en 2020. Une partie des recours de cet organisme, qui analyse le phénomène sectaire et coordonne l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre des dérives sectaires, a un lien direct avec la crise sanitaire du Covid-19.

Le rapport a été conduit par les directions générales de police et de gendarmerie nationales et le secrétariat du comité interministériel de la prévention de délinquance et de la radicalisation. Il révèle que la situation anxiogène, l’isolement et les peurs, engendrés par la pandémie de coronavirus, constituent un terrain favorable à l’expansion des théories complotistes et apocalyptiques entre autres. La défiance envers les vaccins anti-Covid-19, comme le développement des thérapies parallèles et le repli communautaire sont de parfaites illustrations de l’accroissement des dérives sectaires.

80 signalements de dérives sectaires liés au Covid de mai à juin 2020

La ministre Marlène Schiappa a annoncé que 140 000 personnes sont touchées par les dérives sectaires sur tout le territoire national, dont 90 000 mineurs. La Miviludes a enregistré 3 008 signalements en 2020, dont 686 cas évalués comme sérieux. Des poursuites pénales ont été engagées pour 16 d’entre eux. Et 80 de ces signalements, répertoriés entre mars et juin 2020, sont consécutifs à la crise sanitaire.

Les saisines de la Miviludes ont progressé de 38 % dans le domaine de la santé et du bien-être. L’essentiel des inquiétudes exprimées porte sur les conseils pour se prémunir du Covid-19 et les pseudo-remèdes pour l’éradiquer souvent en lien avec les théories complotistes. La durée de la crise sanitaire, qui a un impact considérable sur l’économie, le quotidien des Français et sur leur état psychique, ouvre la voie aux gourous et autres groupes sectaires, existants et nouveaux, qui diffusent de fausses informations et des interprétations erronées de la réalité.

Les offres suspectes d’accompagnement de ceux qui souffrent du confinement sont aussi nombreuses. L’emprise de « pseudo coachs », répondant aux demandes accrues de quête existentielle, s’est durcie. « C’est un phénomène que l’on constate depuis des années déjà avec la recherche éperdue d’un mieux-être. Le contexte actuel n’arrange rien. Bien au contraire », reconnaît Daniel Sisco, président de l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (ADFI) de Paris-Ile-de-France.

La crise du Covid a renforcé l’emprise des gourous

« On note une fuite des gens vers tout ce qui permet un espoir », poursuit Daniel Sisco, s’appuyant sur les chiffres recensés par l’ADFI Paris-Ile-de-France dans le chapitre Ésotérisme, obscurantisme et paranormal. « Cette section représentait 2, 3 % des cas traités en 2019 et atteint les 8,4 % en 2020. Les mouvances religieuses traditionnelles, comme les groupes les plus farfelus, gagnent du terrain. »

Le rapport de la Miviludes pointe, en effet, un regain d’activité des courants apocalyptiques qui associent la pandémie à la fin du monde. L’étude souligne aussi un repli communautaire et cite des mouvements religieux qui ont profité de la crise sanitaire pour se constituer, asseoir leur position ou/et se prêter à du prosélytisme agressif auprès des populations. Certaines de ces mouvances s’élèvent contre les vaccins, incitent leurs adeptes à ne pas respecter les mesures sanitaires ou encore prônent que le virus ne s’attaque qu’à ceux qui ne croient pas en Dieu.

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Certains gourous incitent leurs adeptes à ne pas respecter les mesures sanitaires, les mettant ainsi en danger. Crédit photo : Getty Images.

illustration masque découpé - dérives sectaires

Internet et les réseaux sociaux représentent une ressource de manipulation sans fin pour les gourous et groupes sectaires, devenus experts en marketing digital. Ils y exercent largement et facilement leurs mécanismes d’approche et de captation, conscients qu’il est difficile de les localiser et de les identifier sur la toile. La crise sanitaire, avec son lot d’isolement et de confinements, n’a fait que renforcer ces entreprises d’emprises réelles via le virtuel.

Tout le monde peut être victime de dérives sectaires

Les personnes plus vulnérables et touchées par les conséquences du Covid-19 seraient des proies plus évidentes selon le rapport de la Miviludes. Daniel Sisco avertit toutefois : « Il n’y a pas de profil type de victimes de dérives sectaires. Cela peut concerner n’importe qui, même les plus avertis ou éduqués. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des esprits éclairés, poussés par la curiosité, se faire enrôler. »

Marlène Schiappa a indiqué avoir pris toute la mesure de la gravité de la situation. Elle a demandé aux préfets d’exercer une vigilance accrue sur leurs territoires. Le 6 avril 2021, elle a annoncé un renfort des moyens humains et financiers accordés à la Miviludes. Et a nommé la magistrate Hanène Romdhane à sa tête.

Un conseil d’orientation a été constitué avec dans ses rangs des experts comme la psychiatre Marie-France Hirigoyen, le sociologue Gérard Bronner ou encore le président de la Ligue nationale contre le cancer, Axel Kahn. L’Union nationale des Associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes y est également représentée par sa présidente Joséphine Cesbron.

* Il n’existe pas dans le droit français de définition de la secte. Le terme de dérives sectaires est utilisé. On entend par dérives sectaires les atteintes portées par tout groupe ou tout individu, à l’ordre public, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes par la mise en œuvre de techniques de sujétion, de pressions ou de menaces, ou par des pratiques favorisant l’emprise mentale et privant les personnes d’une partie de leur libre arbitre.

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