« On se vaccine également pour protéger les autres »

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Par Charlotte de l'Escale

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Vaccin contre la Covid-19, défiance à l’égard des laboratoires pharmaceutiques, effets secondaires… Kristell Guével-Delarue, médecin et auteure de « L’Hésitation vaccinale », répond à nos questions sur le meilleur moyen de prévenir les maladies.

La vaccination est un moyen de prévention qui, depuis 1885 et la découverte par Louis Pasteur du vaccin contre la rage, a sauvé des millions de vies. Elle a même permis l’éradication de certaines maladies mortelles. Pourtant, elle provoque aujourd'hui en France la défiance de 41% de la population*. Kristell Guével-Delarue, médecin généraliste et auteure de L’Hésitation vaccinale. Les Mots pour l’expliquer (éd. Presses de l’Ecole des hautes études en santé publique, 20 €), aimerait que les Français renouent « avec l’évidence de la vaccination ». Dans son livre à la fois précis et pédagogique, elle explique le fonctionnement des vaccins, détaille les polémiques qu’ils suscitent et les a priori qui les discréditent.

La vaccination revêt un caractère à la fois individuel et collectif…

Oui. Individuel, parce qu’elle protège la personne de certaines maladies, tout simplement. Collectif, d’abord parce que certains vaccins procurent une immunité de groupe : le nombre d’individus protégés est plus grand que celui de vaccinés, car les seconds, s’ils sont en nombre suffisamment important, cassent la chaîne de transmission de la maladie. Ensuite, on se vaccine également pour protéger les autres. Par exemple, un nourrisson ne sera pas vacciné avant ses 2 mois, car ce ne serait pas efficace. Donc ses parents vont se faire vacciner contre certaines maladies pour le protéger pendant cette période. C’est ce que l’on appelle le cocooning. De même, on peut vacciner l’entourage d’une personne sous chimiothérapie.

« La pharmaco-vigilance fonctionne »

Pourtant, la vaccination suscite une grande méfiance en France. Pourquoi ?

De fait, il y a déjà eu des accidents vaccinaux par le passé qui ont pu faire le lit de la méfiance : l'accident de Lubeck, en 1930 en Allemagne, avec des BCG surdosés, a provoqué des décès d'enfants et a servi de leçon aux fabricants de vaccins. Mais les polémiques les plus célèbres sont celles sur le ROR (rougeole oreillons rubéole) qui serait vecteur d’autisme et sur le vaccin hépatite B qui serait cause de sclérose en plaques. Même quand on prouve le contraire, la méfiance reste. Alors que la pharmaco-vigilance fonctionne. S’il y a un effet secondaire, on le déclare à l’ANSM (Agence nationale du médicament et des produits de santé) pour qu’il soit fiché, et s’il y a un effet secondaire grave, on arrête de distribuer le vaccin. Ensuite, il y a beaucoup de manipulation de l’opinion. On voit traîner sur Internet des textes de médias antivax [antivaccins, NDLR], avec du vocabulaire très manipulateur et des choses qui sont clairement fausses. Cependant, il est vrai qu’il y a réellement des effets secondaires aux vaccins : ils peuvent faire mal, créer des réactions allergiques…

Que répondre à l’argument du danger de l’aluminium ?

Les sels d’aluminium sont un adjuvant nécessaire dans les vaccins inertes [ceux qui, à l’inverse des vaccins vivants, ne comportent pas un germe à même de faire réagir le système immunitaire, NDLR]. Ils servent à activer le système immunitaire. Ils sont utilisés depuis 1926, donc on sait qu’ils sont sûrs, efficaces et pas chers. Une polémique leur attribue une pathologie, la myofasciite à macrophages, qui regroupe un faisceau de symptômes aspécifiques (essentiellement de la fièvre et de la fatigue, des douleurs un peu diffuses). Mais aucune étude n’a fait la preuve du lien entre ces symptômes et les sels d’aluminium. Par ailleurs, la quantité d’aluminium injectée à un bébé avec tous les vaccins obligatoires, entre 0 et 18 mois, est de 3 milligrammes, et la dose maximale autorisée par les autorités de santé est de 1 mg par kilo et par semaine. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter du tout.

Que pensez-vous de l’argument selon lequel les vaccins servent surtout à « engraisser » les laboratoires pharmaceutiques ?

Un vaccin, à fabriquer, ça coûte très cher. Cela rapporte moins à un laboratoire de fabriquer un vaccin que de soigner un malade. Et puis, les promoteurs des huiles essentielles et de l'homéopathie ne sont pas non plus dénués d’intérêts financiers.

« Tout est histoire de bénéfice/risque »

Les vaccins peuvent-ils rendre malade ?

Ils peuvent donner de la fièvre, être à l’origine d’une réaction locale d'inflammation. Ce sont des effets secondaires. Après, malade… par exemple, le vaccin de la grippe peut donner des syndromes de Guillain-Barré, une pathologie neurologique avec des paralysies. Or, tout est histoire de bénéfice/risque. La grippe maladie peut elle-même être responsable de syndrome de Guillain-Barré, et en fréquence beaucoup plus importante que le vaccin. La balance bénéfice/risque est donc largement en faveur du vaccin.

Quid de la douleur ?

Je vaccine beaucoup les petits, donc c’est une préoccupation importante pour moi. Plusieurs solutions et techniques nous aident à rendre cet acte moins douloureux. Elles diffèrent en fonction de l'âge du patient et peuvent être associées : eau sucrée, patch anesthésiant, distraction...

Quels sont les dangers réels des vaccins ?

Il y a de vraies contre-indications. Les vaccins vivants sont contre-indiqués pour les personnes immunodéprimées**, car ils pourraient leur faire développer les maladies contre lesquelles ils sont censés protéger. De même, certains vaccins sont contre-indiqués pendant la grossesse. Enfin, certaines personnes peuvent être allergiques à des composants des vaccins. C’est un médicament, donc il ne faut pas le prendre à la légère. On doit toujours peser les bénéfices attendus et les risques encourus avant de vacciner.

« Dans le cursus initial des formations médicales, il y a très peu d’heures sur la vaccination »

Comment expliquer que certains médecins se méfient des vaccins ?

Pour les mêmes raisons que la population générale. Et puis, par mésinformation ou par manque de formation. Dans le cursus initial des formations médicales, il y a très peu d’heures sur la vaccination. 25% des médecins sont hésitants par rapport à l’efficacité et à la sécurité vaccinale. C’est beaucoup trop !

Quelle est la proportion de personnel soignant non vacciné ?

Tout dépend des vaccins. Pour la grippe, il y a seulement 25% des personnels de santé qui sont vaccinés. Ce qui est un scandale. On devrait montrer l’exemple, car le personnel soignant non vacciné fait le lit des maladies nosocomiales. On sait très bien que la grippe, en milieu hospitalier, est souvent apportée par les soignants.

Où en est la couverture vaccinale en France ?

Elle s’est améliorée depuis que l’obligation vaccinale pour les bébés est passée de trois à onze vaccins [le 1er janvier 2018, NDLR]. Non seulement sur les vaccins obligatoires, mais aussi sur les autres. Après, c’est loin d’être parfait. Concernant le ROR, on est à 87%. Il faudrait qu’on soit à 95% pour que la maladie arrête de circuler en France.

« Une terrible incertitude »

Dans votre livre, vous parlez d’un vaccin universel contre la grippe…

Chaque année, des souches différentes de la grippe surgissent. Le vaccin est préparé six mois à l’avance. On arrive à viser à peu près juste sur les souches, mais pas toujours, ce qui fait qu’il n’est efficace qu’à environ 60%. Or l’idée de ce vaccin universel — qui est encore en développement —, ce serait de viser une particule du virus commune à toutes les souches. Il protégerait donc contre elles toutes et, s’il est efficace sur la durée, on ne serait pas obligé de le refaire tous les ans.

Le vaccin contre la Covid-19 pourra-t-il être universel ?

On n’a pas la réponse. On ne sait pas si la Covid mutera ou pas. Si la souche actuelle mute, le vaccin ne sera pas efficace sur celles des années suivantes. C’est une terrible incertitude.

Peut-on trouver un vaccin contre une maladie qui immunise peu ou pas ceux qui l’attrapent ?

On peut, et cela signifie qu’il faut faire des rappels très fréquemment.

« Le manque de recul pose problème »

Pensez-vous que le vaccin contre la Covid-19 pourrait arriver rapidement ?

Pour être réaliste, ce n’est pas avant début 2021, parce que les phases 3 (les tests du vaccin sur l’être humain) ne sont pas encore réalisées.

La rapidité de conception de ce vaccin comporte-t-elle des risques ?

C’est plutôt le manque de recul qui pose problème : on n’aura pas beaucoup de pharmaco-vigilance. Les seuls effets secondaires notifiés seront ceux observés pendant les études. Et lors de cette phase, on peut passer à côté d’effets secondaires rarissimes qui n’ont pas touché les effectifs observés.

Que diriez-vous aux personnes qui affirment déjà qu’elles refuseront ce vaccin ?

On n’est pas pour ou contre les vaccins, on réfléchit en fonction du contexte, de l’individu… Il n’y a pas une réponse univoque. On peut entendre que quelqu’un qui est en pleine forme, qui sait mettre en place les mesures barrières et qui n’a pas une profession à risque n’ait pas envie de se faire vacciner. Mais on aura un discours différent avec quelqu’un de plus de 65 ans, qui a des facteurs de risque type obésité ou hypertension…

* Enquête réalisée par le Dr Heidi J. Larson (anthropologue) et ses collaborateurs internationaux, sur plus de 65 000 personnes, dans 67 pays.

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