Polluants chimiques : tous exposés !

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Par Cécile Couturier

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Pour la première fois, une étude se penche sur la présence de perturbateurs endocriniens au sein de la population. Et elle nous apprend que nous sommes tous concernés et particulièrement les plus jeunes.

C’est une étude inédite qu’a menée Santé Publique France (SPF), l’agence nationale de santé publique. De 2014 à 2016, elle a « ausculté » 1104 enfants et 2503 adultes, de 6 à 74 ans : analyses sanguines, d’urines et de cheveux, questionnaire sur leurs profil et habitudes de vie… L’objectif : mesurer dans leur organisme la présence de « polluants du quotidien », ces substances chimiques qui entrent dans la composition d’un très grand nombre de produits d’usage courant. Ce vaste programme de biosurveillance sur l’imprégnation de la population a pour nom Esteban(1), et ses résultats ont été publiés mi-septembre 2019.

Des substances néfastes pour la santé

L’étude s’est penchée depuis 2014 sur des substances omniprésentes dans notre environnement (voir encadré), ayant un impact présumé et/ou observé sur la santé et appartenant à différentes familles de produits. D’abord, les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, appelés CMR, qui favorisent la survenue de cancers, de mutations génétiques, de troubles de la fertilité et du développement de l’enfant (à naître). Puis les composés organiques volatils (COV) qui, par leur grande volatilité, se répandent aisément dans l'air que nous respirons. On y retrouve les substances allergisantes, asthmogènes et CMR.

Et les substances dont il est question dans ce récent rapport font partie des « fameux » perturbateurs endocriniens, ou PE. « Les perturbateurs endocriniens ont pour particularité de déséquilibrer le fonctionnement du système hormonal, avec des conséquences néfastes potentielles pour la santé, explique le Docteur Ragnar Weissmann, directeur scientifique de l’association Objectif santé environnement. Ils interférent avec la synthèse, la dégradation, le transport ou le mode d’action des hormones. Les effets ne sont donc pas immédiats. Ils ne surviennent pas à court terme comme c’est le cas pour les substances toxiques classiques, mais de manière différée. Ils peuvent apparaître des années, voire des décennies plus tard, chez les enfants de la personne ou ses descendants via des mécanismes épigénétiques(2). »

Quelles sont les substances présentes dans l’organisme des Français » ?

Six familles de polluants chimiques ont été mesurées, parce qu’elles sont abondamment présentes dans notre environnement quotidien et que leur nocivité pour la santé est reconnue ou suspectée. Elles sont utilisées par certains fabricants pour améliorer la tenue, la texture ou la conservation des produits, renforcer leur souplesse, leur résistance à la chaleur ou aux tâches… Les voici :

  • les bisphénols (A, S et F) : on en trouve dans les emballages alimentaires, équipements électroniques, tickets de caisse, peintures ou vernis ;
  • les phtalates : emballages alimentaires, cosmétiques, peintures, vêtements, jouets, objets en PVC ;
  • les parabènes : aliments, médicaments, nombreux cosmétiques ;
  • les éthers de glycol : peintures, vernis, produits d’entretien, produits cosmétiques et de soins;
  • les retardateurs de flamme bromés (RFB) : appareils électriques et électroniques, matériaux de construction, mousses, tissus ;
  • les composés perfluorés (PFC) : moquettes, tissus d’ameublement, vêtements, emballages, poêles en Téflon, etc.

Les plus jeunes en première ligne

Premier enseignement de l’étude : nous sommes tous touchés, sans exception. « Les polluants du quotidien sont présents dans l’organisme de tous les Français », avance Santé Publique France. Et ils ne viennent pas uniquement de l’alimentation : un grand nombre sont issus des produits ménagers, cosmétiques et de soins, et pénètrent dans le corps via la peau ou l’air que nous respirons. Autres voies d’exposition : dans l’eau que nous buvons ou de la mère à l’enfant pendant la grossesse.

Chez les enfants, les taux sont plus importants. Et plusieurs hypothèses sont retenues : les petits mettent souvent leurs doigts à la bouche après avoir touché des jouets en plastique, des murs peints, des meubles avec colles ou vernis… Ils évoluent plus près du sol, où s’accumulent poussières chargées des résidus de polluants. Enfin, du fait de leur faible poids corporel, ils sont proportionnellement plus exposés aux substances contenues dans les aliments.

Et après ?

« Non seulement l’étude confirme que toute la population est imprégnée, mais elle permet d’associer les niveaux d’imprégnation à certains comportements et certaines sources d’exposition. » note Ragnar Weissmann. Il ajoute : « Il faut rester prudent quant à l’interprétation de ces associations ». Ainsi, un geste tel qu’aérer régulièrement son logement pour évacuer les polluants permettrait de réduire son exposition et son niveau d’imprégnation. D’autres déterminants d’imprégnation sont par exemple l’utilisation de cosmétiques ou de produits ménagers ou encore la réalisation de travaux récents dans l’habitat par exemple. Mieux choisir ses produits permettrait donc de limiter l’exposition et le niveau d’imprégnation des polluants.

On pourrait donc par mesure de précaution, utiliser moins de produits, privilégier les cosmétiques à base d’ingrédients naturels et réutiliser les produits de ménage d’antan (savon noir, vinaigre). Les produits de soin, de nettoyage et les matériaux et produits de bricolage éco-labellisés (écolabel européen, Ecocert ...) peuvent aussi être une solution.

Par ailleurs, les enfants qui mangent régulièrement du poisson préemballé présentent des taux de bisphénols S et F plus élevés que la moyenne. Si le lien de causalité reste à confirmer, ces résultats nous invitent tout de même à mettre en question certaines habitudes de vie. Il est donc possible d’agir au quotidien pour limiter notre exposition aux polluants et protéger notre santé.

« L’étude est précieuse car elle ouvre aussi la voie à une évolution de la gestion sanitaire et de la réglementation, conclut Ragnar Weissmann. Désormais, il sera possible de définir des valeurs de référence d’exposition pour la population. Elles permettront de fixer une grille de décision pour la gestion sanitaire et, à terme, de faire évoluer le cadre réglementaire. Malgré les incertitudes et limites de nos connaissances actuelles sur ces polluants, les connaissances scientifiques sont suffisamment avancées pour pouvoir dire qu’il est urgent et nécessaire d’agir dès aujourd’hui. Comment ? En mettant en place des actions de prévention à la fois à son domicile de manière personnelle, mais aussi dans les entreprises ou plus largement dans le cadre professionnel. »

Pour lire le rapport complet de Santé Publique France, rendez-vous sur : www.santepubliquefrance.fr/presse/2019/polluants-du-quotidien-donnees-inedites-chez-les-enfants-et-les-adultes

(1) Etude de Santé sur l'Environnement, la Biosurveillance, l'Activité physique et la Nutrition.
(2) Selon l’Inserm, l’épigénétique est l’étude des changements dans l’activité des gènes qui n’impliquent pas de modification de la séquence d’ADN et qui peuvent être transmis lors des divisions cellulaires.

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