Pourquoi notre cerveau aime les fake news

Publié le

Par Propos recueillis par Angélique Pineau-Hamaguchi

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

Illustration
© Getty Images

Sommaire

Nous sommes tous confrontés aux fake news, ces informations mensongères qui circulent sur le Web. Mais pourquoi y croyons-nous ? Les explications d’Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives.

Illustration
Crédit photo : Bojana Tatarska / Allary Éditions

Albert Moukheiber est docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien. Il est aussi l’un des fondateurs de Chiasma, un collectif de neuroscientifiques qui s’intéressent à la façon dont se forment nos opinions. Dans son livre, Votre cerveau vous joue des tours*, il explique comment celui-ci nous induit en erreur et peut nous conduire à croire aux fake news (traduites par « infox » en français).

* Publié chez Allary éditions en avril 2019.

 

 

 

Croire ou non à une fake news, cela n’a rien à voir avec l’intelligence ?

Albert Moukheiber : Absolument. Tout le monde peut se faire avoir. Parfois, si une information nous paraît cohérente, on peut tout à fait tomber dans le piège et y croire alors même qu’elle est fausse. Tout simplement parce qu’on ne maîtrise pas le sujet. On a tous des ressources limitées et on ne peut pas retenir toutes les informations auxquelles on est exposé.

D’ailleurs, souvent les fake news jouent avec cela. Elles vont esquisser des choses qui sont soit ambiguës, soit très techniques, pour nous tromper.

Par conséquent, on peut peut-être se protéger d’une ou deux fake news sur des sujets que l’on connaît bien. Mais le reste du temps, on risque tous de tomber dans le panneau.

Si ce n’est pas notre intelligence alors est-ce notre cerveau qui est en cause ?

A.M. : Notre cerveau nous joue des tours en effet. Dans le cas des fake news, il peut par exemple opérer un raisonnement motivé : réorganiser la réalité pour nous convaincre de quelque chose auquel on croit déjà. Prenons un exemple : si je pense que les OGM* sont dangereux pour la santé et que je vois une information qui le confirme, je vais plus avoir tendance à y croire qu’à une autre information qui prouverait au contraire leur innocuité. D’ailleurs, mon cerveau ne va peut-être même pas prêter attention à cette dernière.

Autre piège des fake news : la flemme intellectuelle. Parfois, on se fait aussi avoir parce qu’il n’y a pas particulièrement d’enjeu. Et du coup on ne prend pas le temps de vérifier. On n’en a pas le courage. On prend alors cette information pour argent comptant.

* OGM : organismes génétiquement modifiés.

Pour autant, notre cerveau est-il attiré par les fake news ?

A.M. : C’est une hypothèse, ce n’est pas confirmé. On pense que cela peut être dû à des facteurs évolutionnistes. Il se pourrait qu’il y ait une sorte d’attractivité cognitive des fake news. Ainsi, on aurait tendance, dans le doute, à y croire, quitte à se tromper, que de prendre le risque de ne pas y croire. Nos ancêtres avaient déjà ce principe de précaution. Du temps des chasseurs-cueilleurs, si on entendait un bruit dans les feuillages, il valait mieux se dire qu’il pouvait s’agir d’un prédateur et courir pour rien, plutôt que de ne pas se méfier et de se faire tuer.

C’est pour cela qu’aujourd’hui, lorsqu’on est stressé, on n’arrive pas à dormir. C’est comme si notre cerveau pensait qu’il y avait une sorte de prédateur qui pourrait nous attaquer et qu’il faut donc rester sur nos gardes. Mais aujourd’hui il y a peu de chances que cela nous arrive concrètement ! Cette hypervigilance n’est plus vraiment adaptée mais elle nous a tellement servis que, dans le doute, on se dit « pourquoi pas ». C’est un peu la même chose avec les fake news. Si je lis une information qui me fait peur, je vais y croire car, dans le doute, mieux vaut le savoir et même le faire savoir !

Les fake news dans le domaine de la santé sont nombreuses. Comment l’expliquer ?

A.M. : Quand on parle des fake news, beaucoup de gens pensent à la politique, notamment pour tenter de manipuler des élections. Mais la santé est aussi très touchée. On assiste même aujourd’hui à l’émergence de sites entiers qui ne reposent que sur des fake news. Ils parlent de solutions miracle contre le mal de dos, contre le cancer… Et leur motivation principale est purement mercantile. Le but est d’avoir des contenus attractifs pour générer des clics. « Vous avez mal au petit orteil ? Mettez un clou de girofle dans votre oreille… » C’est parfois aussi farfelu que cela.

Leur objectif est d’amener les gens non seulement à cliquer mais également à partager ces contenus avec un maximum de personnes : via les réseaux sociaux ou en envoyant le lien d’un article par mail à leur entourage. Souvent, ils le font de bonne foi, en pensant que cela peut aider quelqu’un.

Les conséquences peuvent être graves lorsqu’il s’agit de santé ?

A.M. : Les fake news sur la santé sont plus dangereuses que celles qui concernent la politique. Aucune étude n’a encore montré un déplacement des voix dû à une fake news politique. Cela peut simplement polariser une opinion déjà formée : si je crois déjà à une information ou à un candidat et qu’une fake news va dans ce sens, je peux être encore plus convaincu.

Pour ce qui est des fake news sur la santé, quand elles sont organisées et systématiques, elles semblent avoir plus d’effets. C’est le cas par exemple des fake news autour des vaccins. On pense qu’elles ont causé une sorte de défiance vis-à-vis de la vaccination et la réémergence de certaines maladies qu’on croyait quasiment éradiquées.

Diriez-vous que les fake news en santé jouent sur nos peurs ?

A.M. : Beaucoup utilisent ce levier. Ces fake news sont souvent agencées autour de notions de danger, de mort : « cela va vous sauver la vie », « faites attention »… Concernant les vaccins, c’est d’autant plus vrai que cela touche aux enfants. On peut lire des phrases du genre « on est en train d’empoisonner les bébés ». Ceux qui viennent de devenir parents vont se dire : « Je ne vais pas prendre le risque. Dans le doute, je ne vais pas mettre de l’aluminium dans le sang de mon enfant ». Ou bien : « Je ne veux surtout pas que mon enfant soit autiste à cause du vaccin contre la rougeole. S’il la contracte, il sera un peu malade mais au moins ça passera ».

Ces parents vont donc refuser de faire vacciner leur enfant alors que cette idée selon laquelle le vaccin contre la rougeole provoquerait l’autisme repose en réalité sur une croyance.

Vous êtes au fait de tous ces mécanismes du cerveau. Malgré tout, vous arrive-t-il de vous faire avoir par des fake news ?

A.M. : Je tombe peut-être autant dans le panneau que les autres. Il n’est pas possible de tout prévenir. Mais j’espère – ce serait arrogant de dire que je réussis – que je me laisse une certaine place pour corriger. Probablement, mon expertise fait que je me fais moins confiance car je sais que ce serait absurde de me croire à l’abri. D’ailleurs, pour tout vous dire, j’ai beaucoup moins d’opinions depuis que j’étudie le cerveau !

On devrait tous se faire un peu moins confiance et faire plus confiance à ceux qui savent, aux experts. En sachant que se faire moins confiance ne veut pas dire ne pas avoir confiance en soi. Il en faut au contraire pour pouvoir douter de nos opinions, de nos émotions, de nos intuitions.

Par Propos recueillis par Angélique Pineau-Hamaguchi

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.
Tous les champs sont obligatoires.

Ce site utilise un système anti- spams pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

A découvrir