Prévention : comment parler d’agressions sexuelles à un enfant ?

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Par Patricia Guipponi

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Communiquer avec les plus jeunes sur les risques d’agressions sexuelles reste un sujet délicat. Face à cette complexité, la simplicité et la justesse des mots sont à privilégier. Des outils d’information et de sensibilisation sont aussi à la disposition du grand public.

Les agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans touchent 5 % des garçons et 13 % des filles selon l’Organisation mondiale de la santé. L’Unicef estime que 165 000 enfants sont victimes de viol ou de tentative de viol chaque année en France.

De récentes affaires judiciaires et livres ont mis une fois de plus en évidence cette grave problématique de société, en remuant et faisant avancer les consciences. Toutefois, la prévention des risques de violences sexuelles auprès des plus jeunes reste un sujet délicat et tabou. Mélanie Dupont, présidente du Centre de victimologie pour mineurs (CVM)* et psychologue à l’unité médico-judiciaire de l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris, estime que cette sensibilisation devrait être faite au même titre que les alertes aux dangers de la route.

« Très tôt, les parents apprennent à leurs enfants à être vigilants quand ils traversent la rue. On doit aborder les agressions sexuelles de la même façon. » C’est-à-dire discuter simplement avec les plus jeunes des potentielles violences et des dangers qu’ils pourraient rencontrer. « Sans psychoter et les angoisser pour autant mais en leur donnant accès de façon claire à l’information. »

La prévention doit commencer chez les tout-petits

Échanger sur ce sujet permet à l’enfant de prendre conscience à son niveau de la situation. Cela ouvre sa capacité d’agir, de rompre le silence et l’isolement que tout fait ou geste suspect ou avéré pourrait engendrer. « Les mots doivent être adaptés en fonction de l’âge. La prévention doit commencer quand l’enfant est tout petit », souligne Mélanie Dupont.

Cela passe notamment par la question du consentement et du rapport au corps. Par les comportements que le parent, ou professionnel de l’enfance, doit adopter. « On n’a pas à forcer un enfant à faire des bisous s’il ne le veut pas. C’est son envie qu’il faut prendre en compte, pas celle de l’adulte. »

Certains gestes doivent être réfléchis. « On peut embrasser son bébé sur les fesses, pourquoi pas… mais à 4 ou 5 ans, ce n’est plus adapté. Il est primordial de demander à l’enfant sa permission. Il a le droit de refuser. » De même qu’il faut préserver son jardin secret et sa pudeur. Ne pas rentrer dans la salle de bains ou la chambre de l’enfant sans taper à la porte ou demander si cela est possible. Et il est nécessaire d’apprendre à l’enfant à respecter l’intimité d’autrui.

Laisser l’enfant s’exprimer et réfléchir sur le sujet des agressions sexuelles

La psychologue conseille à l’adulte d’inviter l’enfant à s’exprimer et à réfléchir sur le sujet des agressions sexuelles en lui disant par exemple : « Voilà ce qu’il pourrait se passer. Qu’est-ce que tu ferais si ça arrivait ? » « Le vocabulaire employé doit être précis et expliqué. "Qu’est-ce que c’est qu’un pénis, qu’une vulve… ". Cela peut être aussi utile pour l’adulte. Beaucoup n’ont qu’une vague idée de la composition de leur appareil génital », constate la praticienne.

Cet exercice peut s’avérer compliqué car « c’est pris comme de la sexualité. Or, il faut se mettre à la place de l’enfant pour qui ça n’en est pas. Pour lui, ça reste au stade du corporel et de la découverte. »

La grande difficulté tient aux paradoxes et contradictions que soulève la question des agressions sexuelles. « C’est difficile de dire aux enfants de faire confiance aux adultes mais de s’en méfier aussi. » Surtout qu’un enfant peut potentiellement être agressé par un proche : un parent, un oncle, un cousin, un frère… « L’enfant se retrouve devant des conflits de loyauté, la peur de décevoir l’adulte, pris dans l’étau de la notion de secret… L’agresseur joue souvent sur ces ressorts pour parvenir à ses fins. »

Des vidéos et des livres pour sensibiliser à la violence sexuelle

Mélanie Dupont recommande de s’appuyer sur les nombreux outils de sensibilisation et d’information. « Le Centre de victimologie pour mineurs met à disposition sur son site divers formats vidéo et il existe nombre de littératures très bien faites sur le sujet. » La psychologue a d’ailleurs collaboré à la dernière version du livret à succès Stop aux violences sexuelles faites aux enfants**, édité par Bayard et coécrit par Delphine Saulière.

Le premier livret est sorti il y a 20 ans, à la suite de l’affaire d’Outreau. « À l’époque, Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille, à l’enfance et aux personnes handicapées, nous a demandé de réfléchir sur un concept qui aiderait l’enfant à être vigilant face aux violences sexuelles », témoigne l’auteure, qui travaillait alors au sein de la rédaction d’Astrapi, magazine pour les 7-11 ans.

Se joignent entre autres à ce travail l’assistante sociale Marceline Gabel, l’auteur et psychiatre Boris Cyrulnik, le pédopsychiatre Marcel Rufo, l’illustratrice de Tom-Tom et Nana, Bernadette Després. Le livret est distribué avec le magazine Astrapi et dans divers lieux d’accueil d’enfants comme les centres aérés, les cabinets médicaux.

Ne pas craindre de dire les choses qui troublent

L’ouvrage a récemment été amélioré et réédité. « Nous avons modifié le titre d’origine qui mentionnait le terme d’abus, inapproprié. Car cela suppose une autorisation or il n’en est nullement question quand il s’agit de violences faites aux enfants », souligne Delphine Saulière.

Et de poursuivre : « L’idée n’est pas de se substituer à l’éducation des parents ou de l’école mais de proposer des histoires qui pourraient être vraies afin d’en parler et d’échanger. »

Les moyens de prévention à disposition sont diversifiés et s’adressent à tous types de public. Les vieux contes peuvent aussi jouer leur rôle. « Peau d’Ane parle parfaitement de l’inceste par exemple. Et montre qu’il existe des adultes de confiance à qui il ne faut pas avoir peur de dire les choses qui ne paraissent pas normales et troublent. »

* Le Centre de victimologie des mineurs (CVM) est une association qui crée et propose des ressources pédagogiques, notamment numériques, afin de participer à la prévention, l’information et la sensibilisation des violences faites aux enfants. Pour cela, le CVM met à la disposition du grand public et des professionnels (enseignants, éducateurs, etc.) un certain nombre d’outils qui s’adressent aux enfants mais aussi aux adultes.

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